En 2018, la rénovation de la Cité de la Mer, a été confiée à l’agence d’architecture Hardel Le Bihan afin de mettre en valeur les aquariums, de moderniser le parcours scénographique et d’offrir un meilleur cadre de travail aux équipes du musée. L’agence de conception lumière 8’18’’ a repensé les éclairages afin de les adapter à la nouvelle scénographie.
Depuis son ouverture au public en 2002, le site touristique cherbourgeois, consacré à l’aventure humaine dans les grands fonds, a conquis plus de 3,6 millions de visiteurs. Le parcours commence désormais à R+2 par la montée d’un grand escalator à la mesure du plus haut aquarium d’Europe, et entraîne le visiteur de la surface de l’océan jusqu’aux profondeurs abyssales à travers six espaces d’exposition, dont l’Océan du futur. L’entrée est modifiée pour éviter les circulations en chicane et maîtriser davantage les ambiances lumineuses.
En 2019, Bernard Cauvin, président-directeur général de La Cité de la Mer décrivait ainsi le parcours, qui « mêle histoire, biologie et beauté de l’Océan avant de s’achever sur l’alerte de Jacques Perrin : “Nous n’avons pas d’Océan de rechange…” Nous l’avons conçu avec une quarantaine de partenaires et experts qui, en le découvrant dans sa globalité, ont tous été enchantés. Chacun y trouve son compte, qu’il soit écolier ou ingénieur, passionné de géologie, d’archéologie ou d’apnée, ou simple curieux. Tous les sens sont en éveil, du toucher dans le bassin tactile avec ses limules qui me fascinent toujours, jusqu’au goût avec la table d’hôte numérique ».
Tout le travail de Rémy Cimadevilla et d’Agnès Charvet, concepteurs lumière, 8’18’’, s’appuie sur la scénographie de Pascal Payeur, ce voyage tout en verticalité au fond des océans : « L’originalité du site, écrit-il, repose sur l’existence de nombreux aquariums ; nous avons cherché une réponse dans les relations entre le vivant réel et tangible contenu dans les bassins inaccessibles et l’imaginaire d’une plongée sous-marine que l’on vivrait au sec. »
L’obscurité lumineuse
Le principe général de la Cité de la Mer repose sur un accompagnement du voyage scénographique par le contrôle des ambiances et des reflets de lumière comme dans la deuxième salle, où le visiteur avance au milieu d’images d’apnéistes et d’espèces marines projetées sur cinq lames de verre hautes de 3 m. Ces lames surplombent cinq tables tactiles qui permettent d’en savoir plus sur l’apnée, les dauphins, les requins, les cachalots et les images sous-marines.
De cet espace, on peut apercevoir la salle Jules-Verne avec l’Aquarium Abyssal. Le nouveau parcours offre plus de recul qu’auparavant sur cette colonne de 10,70 m de profondeur remplie de 350 000 litres d’eau, et comprenant plus de 1 000 poissons polynésiens. Un film de cuivre a été positionné sur les parois vitrées à droite et à gauche de l’aquarium. La conceptrice lumière a créé un scénario qui fait apparaître et disparaître les objets qui se trouvent derrière les vitrines : lorsque la paroi est éclairée, on n’aperçoit que les dessins sérigraphiés de Jules Verne, mais lorsqu’elle est éteinte, on voit distinctement les objets disposés derrière la vitrine.
Les circulations bénéficient d’un éclairage au sol de 4 000 K tandis que les vitrines sont éclairées d’une lumière chaude de 3 000 K.
Contrôler les luminances
« La mise en lumière, explique Agnès Charvet, devait accompagner cette descente vers les fonds sous-marins de plus en plus sombres. Le défi consistait donc à limiter les luminances et les éclairements tout en apportant un certain confort lumineux ! On en voit tout de suite un exemple lorsqu’on emprunte l’escalier et que l’on pénètre dans la faille pour s’enfoncer dans les profondeurs : la lumière y est douce et diffuse, et les projecteurs, dissimulés dans le somment de la faille, restent invisibles. »
Dans les espaces immersifs, notamment la salle dotée des bassins tactiles et d’écrans qui laissent voir les animaux nageant sous la surface de l’eau, il était essentiel de limiter les luminances. « Pour ce faire, ajoute la conceptrice lumière, nous avons disposé des appareils à cardan au-dessus du plafond miroir : ils n’éclairent que les circulations piétonnes, incitant le visiteur à bouger dans l’espace. Même si tous les matériaux mis en œuvre sont noirs et peu réfléchissants, nous devions trouver le moyen de réduire le plus possible les reflets,
de dissimuler les sources et d’apporter des niveaux d’éclairement confortables pour le visiteur. » Le luminaire retenu permet de régler la hauteur, l’inclinaison, l’orientation des faisceaux, afin d’obtenir un éclairage à très basse luminance qui n’interfère en rien avec celui des écrans. En complément, les hublots sont équipés d’appareils intégrés dans le pourtour des aquariums et orientés vers des miroirs disposés en partie inférieure du bassin, éclairant ainsi les poissons par en dessous.
Travailler la lumière noire
À la fin du parcours, le visiteur de la Cité de la Mer foule le plancher océanique et longe l’image d’un cachalot et d’un calamar géant reproduits graphiquement à taille quasi réelle. 80 % des espèces abyssales sont bioluminescentes et plusieurs figurent sur les parois, mais le visiteur ne les voit pas d’emblée : il les réveille en passant le long du mur. Les micro-organismes composant le plancton, par exemple, utilisent la bioluminescence pour être mieux vus des poissons : ces derniers, attirés par ces lumières arrivent et les avalent. Cette lumière, le plus souvent bleue, permet aux animaux de se protéger des prédateurs, de les appâter pour leur nourriture ou pour leur reproduction. Le plancton, notamment, se reproduit plus vite dans l’abdomen du poisson que dans l’eau !
« Certains des animaux représentés sur la toile ne sont visibles partiellement qu’en lumière noire, grâce à de la peinture phosphorescente », précise Agnès Charvet. La lumière noire est une lumière composée de violet (avec un léger pic autour de 405 nm de longueur d’onde mais peu éclairant) et de proche ultraviolet (principale composante autour de 375 nm) dans une bande spectrale quasi continue. Un détecteur de présence met en fonctionnement des zones de rétroéclairage à l’arrière des espèces bioluminescentes, faisant apparaître comme par magie l’animal dans son entièreté.
Et Pascal Payeur de commenter : « Ainsi, des ondes miroitantes, des ponctualités bioluminescentes sont mises en abîme par le truchement de surfaces réfléchissantes ou opalescentes qui, telles des chambres noires, génèrent des images virtuelles, des mirages audiovisuels dans l’obscurité des abysses : nous y croyons parce que nous les voyons émis par les aquariums eux-mêmes. »