Pouvez-vous nous expliquer les points clés du décret « BACS dans les bâtiments tertiaires et les systèmes de régulation de température dans le neuf et dans l’existant » et de l’ordonnance n° 2020-866 qui vient compléter ce décret ?
Hakima Ghersbraham – Ce décret est divisé en deux parties. La première concerne les BACS (Building automation and control systems) à proprement parler, pour le tertiaire, et la deuxième concerne les systèmes de régulation Ces articles sont issus de la directive EPBD (Energy performance of buildings directive) dont la transposition dans le droit français devait être effectuée avant mars 2020. Pour la partie BACS, il s’agit des articles 8, 14 et 15. Au GIMELEC, nous accueillons avec grande joie la sortie dans les temps de ce décret et saluons le travail effectué par la DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages), qui nous a consultés ainsi que les assujettis de ce texte.
Valérie Michel – Nous avons travaillé étroitement avec les pouvoirs publics à l’élaboration de ce texte. La partie nous concernant est un petit article qui peut passer inaperçu et qui fait dire que le décret ne porte que sur les BACS, alors que cet article aborde les systèmes de régulation automatique de la température. L’article 1 de l’ordonnance modifie l’article L 111-10-6 du code de la construction et prévoit que tout bâtiment, logement compris, qu’il soit neuf ou existant, doit être équipé d’un système de régulation automatique de la température par pièce. Il existe déjà des dispositifs dans le neuf et dans l’existant, mais la notion de régulation par pièce est importante. Le décret définit plus précisément les cas concernés.
Quelles sont les obligations prévues pour les bâtiments tertiaires, résidentiels collectifs et résidentiels individuels ?
H. G. – Pour la première fois, on reconnaît dans un texte européen et dans la transposition en droit national le positionnement incontournable des systèmes d’automatisation et de contrôle comme système technique du bâtiment. La directive EPBD dans sa version révisée est assez novatrice. On entend par BACS les produits, logiciels et systèmes d’ingénierie qui sont à même de soutenir le pilotage des différents systèmes techniques (chauffage, climatisation, éclairage, ECS), ainsi que la production d’Énergies renouvelables locales. Cela implique le pilotage énergétique grâce aux technologies telles que, notamment, GTB et le monitoring.
V. M. – Pour la régulation, il faut bien comprendre que l’obligation dans les bâtiments existants, logements inclus, concerne uniquement les changements de générateurs ou d’émetteurs. Lorsqu’un propriétaire change son générateur ou son émetteur, qu’il s’agisse d’une PAC, d’un émetteur effet Joule, d’une chaudière, d’une ventilation ou d’une climatisation, il doit mettre en place un système de régulation. Seul le poêle à bois n’est pas inclus dans le dispositif.
Quelles sont les différentes mesures pour le neuf d’une part, mais surtout pour l’existant ?
H. G. – Concernant les assujettis, nous considérons que ce décret est l’un des bras armés du décret tertiaire, car il détermine les objectifs de moyens en cohérence avec les objectifs de résultats de réduction de la consommation énergétique. Ce texte prévoit l’obligation d’installation de technologies qui permettent notamment le pilotage énergétique dans sa brique « consommer moins ». Cela concerne les bâtiments non résidentiels. L’installation de BACS est obligatoire à partir du moment où les systèmes de chauffage, de climatisation, combinés ou non avec un système de ventilation excèdent les 290 kW de puissance nominale. Cela concerne des superficies variables selon que les usages sont intensifs ou non, mais nous estimons que cela s’adresse aux bâtiments à partir d’une superficie moyenne de 2 000 à 3 000 m². Ce texte recoupe donc le décret tertiaire, qui intègre au dispositif toutes les surfaces tertiaires qui dépassent les 1 000 m². Pour ces bâtiments non résidentiels, les obligations mentionnées s’appliquent dans le neuf pour les bâtiments dont le permis de construire est déposé un an après l’entrée en vigueur du décret. Pour l’existant, si le propriétaire est assujetti, dès qu’un système technique fait l’objet d’un renouvellement total ou partiel, ce dernier doit être relié à un système d’automatisation et de contrôle. L’obligation de mise en conformité est fixée au 1er janvier 2025. Enfin, si le temps de retour sur investissement (TRI) est supérieur à 6 ans, l’assujetti peut ne pas mettre en place de BACS. Cependant, le retour sur investissement de ces technologies est généralement inférieur à 6 ans.
V. M. – Dans le neuf, ces dispositions sont déjà prévues depuis la RT2012. Pour l’existant, qui constitue l’essentiel du parc, l’installation d’un thermostat par pièce pour la régulation est nécessaire pour tous types de production de chaleur lors du changement de générateur. Cette disposition concerne le résidentiel, comme le non résidentiel, mais l’impact est moindre pour cette dernière catégorie de bâtiments. Il faut bien comprendre que ce dispositif ne permet pas d’avoir une régulation globalisée, mais par pièce. L’entrée en vigueur du texte est prévue un an après la publication du décret, pour juillet 2021.
Sur qui repose la responsabilité de mise en œuvre concrète de ces systèmes ?
H. G. – Contrairement au décret tertiaire, où la responsabilité est partagée entre le propriétaire et le locataire qui doivent d’un commun accord mettre en place le plan d’action d’économies d’énergie, ici, c’est bien le propriétaire du système de chauffage ou de climatisation qui doit mettre en application les mesures prévues par le décret. Néanmoins, aucune sanction n’est prévue à ce stade en cas de manquement à la réglementation
V. M. – Pour la partie régulation, les assujettis sont les propriétaires, soit les occupants pour le résidentiel privé, soit le bailleur pour le résidentiel collectif. S’il change son générateur, le bailleur devra s’assurer que les occupants ont un système de régulation pour chacune des pièces.
En quoi cela constitue-t-il une avancée pour la régulation et la performance énergétique des bâtiments ?
H. G. – Il s’agit d’une avancée, car ce texte implique une obligation d’installation dans le bâtiment tertiaire et explicite ces technologies. Ce qui n’est pas le cas de la réglementation thermique et de la réglementation environnementale 2020 qui ne seront pas à la hauteur de nos attentes et des réalités technologiques sur ces questions.
Par ailleurs, et au-delà du pilotage énergétique permis par les BACS, ce décret met en avant d’autres services attendus par le marché, comme le pilotage numérique du bâtiment et de ses usages. La crise du Covid a confirmé l’émergence de nouveaux enjeux dans le tertiaire, dont l’optimisation des surfaces occupées et de leur confort, ainsi que l’enjeu de l’intégration de l’électromobilité et donc, de la gestion intelligente de la recharge des véhicules électriques.
V. M. – Effectivement, le moteur de la RE 2020 pose problème. Tout ce qui concerne les dispositifs de pilotage à haut niveau comme les BACS n’est pas mis en valeur. La raison à cela est que les calculs se font par silo et non globalement. Il n’existe pas de vision combinée des différentes fonctions, ce qui manque cruellement dans le moteur de calcul, malgré nos demandes incessantes. Nous savons que ce moteur est très complexe à réviser. Le décret BACS doit servir de référence aux pouvoirs publics pour réviser le moteur de calcul de la RE 2020. Nous avons besoin d’outils performants qui intègrent le pilotage global. La partie régulation par zone est bien intégrée au moteur pour le neuf. Dans l’existant, il y a un peu de retard. Le pilotage est jusqu’ici l’un des oubliés de la rénovation énergétique des logements. C’est le triptyque « isolation, chauffage et pilotage » qui permettra d’améliorer considérablement la performance énergétique des bâtiments. Le pilotage doit être traité au même niveau que les autres. Un premier signal fort du gouvernement a été envoyé avec la création du Coup de Pouce sur le thermostat, même s’il n’intègre pas encore le pilotage dans sa globalité.
Quel est le potentiel d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments avec la mise en application de ces deux textes ?
V. M. – Nous évaluons le potentiel d’économies d’énergie induit par ce dispositif allant jusque 10 %. Une subtilité intégrée au texte, qui fait le parallèle aux dispositions de l’ordonnance BACS, prévoit également des temps de retour sur investissement inférieurs à 6 ans. Il n’était pas essentiel de le préciser, car les temps de ROI pour ces équipements dans le résidentiel sont de 3 à 5 ans.
H. G. – Concernant le gain d’économies d’énergie dans le tertiaire, nous avons fait une étude avec les installateurs-intégrateurs et industriels de la filière qui révélait des gains d’économie d’énergie jusqu’à 30 %, voire 60 % pour certaines typologies de bâtiments, notamment les bâtiments d’enseignement et les bâtiments publics qui sont une cible prioritaire du plan de rénovation post-Covid-19.
Avez-vous défendu des mesures qui ne se retrouvent pas aujourd’hui dans la version finale de ces textes ? Si oui, lesquelles ?
H. G. – Les BACS le permettant, le GIMELEC souhaitait que le décret adresse également le sujet de la flexibilité énergétique des bâtiments. L’adaptation de la consommation et de la production renouvelable électrique du bâtiment représentent un gisement important de flexibilité pour répondre aux contraintes locales du réseau électrique. Toutefois, l’argument n’a pas été entendu par l’administration qui a opté pour une retranscription stricto sensu de la directive européenne.
V.M. – De notre côté, nous voulions aller plus loin. Nous aurions notamment souhaité rendre obligatoire la régulation par pièce sans pour autant changer de générateur. Nous incitons les installateurs pour qu’ils aillent au-delà de la réglementation en sensibilisant les occupants au suivi de leurs consommations énergétiques de manière détaillée. Cela passe par la mesure des consommations par usage (eau chaude, chauffage…), l’affichage et le suivi de ces consommations dans le temps, que ce soit sur un écran fixé au mur ou sur une appli sur un smartphone. Cela permet au consommateur de se rendre compte de ses usages réels et des efforts qu’il peut fournir pour réduire sa facture. Enfin, un suivi de ces indicateurs dans le temps nous semble nécessaire.
Quelles seront les prochaines étapes ?
V. M. – Un guide est prévu pour définir les obligations des parties prenantes, notamment des installateurs. Nous attendons de ce guide d’application qu’il aille au-delà du texte réglementaire et qu’il définisse les bonnes pratiques et les usages à adresser pour des installations performantes. D’autre part, nous espérons une révision du moteur de calcul de la RE 2020 pour intégrer les nouveaux éléments apportés par ces textes.
Propos recueillis par Alexandre Arène