Appelant de ses voeux une transition énergétique et environnementale ambitieuse pour l’immobilier, l’IFPEB soutient la trajectoire de décarbonation du bâtiment prônée par la future réglementation environnementale RE2020. Laurent Morel, son Président, a accepté de répondre à nos questions et souligne la nécessité de traduire la réglementation en mesures opérationnelles efficaces. Entretien.
j3e – L’Ifpeb a mis en place un hub des prescripteurs bas carbone : de quoi s’agit-il ?
Laurent Morel – Avec le Hub, l’IFPEB fédère les intelligences pratiques des grands acteurs au profit d’une construction compatible avec la nécessaire décarbonation. La France a édicté la Stratégie Nationale Bas Carbone qui a vocation a guidé le pays vers la neutralité carbone. On en trouve une première traduction dans le bâtiment avec la réglementation environnementale RE2020. Avec cette réglementation, qui opère un basculement sémantique de “RT” à “RE”, les seuils autorisés pour la construction tiennent compte du critère carbone, en plus du critère d’efficacité énergétique. C’est une réglementation extrêmement importante, qui va complètement changer la façon dont nous construisons. Les producteurs de matériaux ont déjà fait des efforts louables pour constituer la base “INIES”, source nationale de référence sur les caractéristiques environnementales et sanitaires pour le bâtiment, qui permet d’évaluer l’empreinte carbone des matériaux.
A l’Ifpeb, nous pensons que toutes les lois et règlements ne seront d’aucune utilité sans la compréhension et l’engagement des acteurs de terrain. C’est là qu’intervient le « Hub des Prescripteurs Bas Carbone » que nous avons lancé aux côtés de Carbone 4 pour faire vivre cette nouvelle réglementation dans la pratique opérationnelle des acteurs de la construction, au sein de toute la chaîne de valeur. Un matériau n’est rien sans la capacité des constructeurs à le mettre en oeuvre et à comprendre à quoi il est le mieux adapté. C’est pourquoi les matériaux doivent être envisagés comme des éléments constitutifs d’un système constructif. Dans cette optique, nous nous attachons à analyser de façon critique les données officielles mises à disposition dans la base INIES pour nous assurer qu’elles encouragent bien une recherche permanente de la meilleure performance carbone et pas simplement une conformité statistique. Notre objectif est, à partir d’une bonne base de départ réglementaire et statistique officielle, d’aller vers une pratique opérationnelle et une adhésion des acteurs.
Le Hub rassemble ainsi un collectif d’entreprises, de donneurs d’ordre et de constructeurs qui partagent leurs expériences de la construction bas carbone et qui font valoir leur expertise, pour montrer au marché ce qu’il est possible de faire. Nous publierons dans les semaines à venir, en partenariat avec des acteurs industriels, des monographies sur les possibilités des matériaux par filière. Notre enjeu n’est rien d’autre que de traduire la construction bas carbone réglementaire sur un plan opérationnel.
j3e – Vous évoquez une RE2020 “révolutionnaire” pour le secteur. Regrettez-vous son report ?
L. M. – La RE2020 est fondamentale car elle est “E+C-”. Autrefois, la RT ne prenait en compte que les consommations d’énergie des bâtiments. Avec “C” pour “carbone”, on s’occupe d’un aspect fondamental dont on ne se souciait pas avant, à savoir la composante carbone de l’énergie d’une part et la composante carbone des matériaux de construction ou “énergie grise” d’autre part. Donc avec E+C-, on a potentiellement un référentiel complet qui mesure l’empreinte carbone du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie. C’est en cela qu’il s’agit d’une révolution, qui va dans le sens d’une meilleure appréhension par l’ensemble des acteurs de la décarbonation. Ces derniers n’ont pas d’autre choix que de s’adapter, autant que la réglementation accompagne cette transformation, en les incitant à avoir de meilleures pratiques. La RE2020 est en cela une réglementation innovante, ambitieuse et même révolutionnaire, dans le bon sens du terme.
Il est vrai que la réglementation suscite de nombreux débats. Son application a pris un peu de retard, mais je pense que c’est très bon signe. Si elle engendre autant de réactions, qu’elle fait travailler autant de monde bien avant sa mise en place, c’est que son influence est majeure. Pour tous les acteurs de la construction, elle représente un défi, car elle questionne leur vision et leur position sur le marché, ce qui peut créer des réticences et encourager à faire valoir des situations particulières. Mais la discussion a lieu, et le dynamisme des échanges témoigne de la pertinence de cette réglementation. Nous espérons que les derniers arbitrages à trancher seront ambitieux et exigeants sur le carbone tout autant que sur l’efficacité énergétique.
j3e – La rénovation énergétique figure au coeur des propositions de relance verte post-covid. Est-ce une bonne nouvelle selon vous ?
L. M. – L’intention est bonne bien-sûr et nous soutenons une accélération des rénovations dans le cadre de la transition énergétique. Cette intention doit néanmoins être traduite en objectifs concrets pour les acteurs. Les mesures d’accompagnement de l’industrie rendues nécessaires par la crise économique qui se profile doivent être accompagnées de contreparties sérieuses exigées par les pouvoirs publics et exprimées dans des contraintes qui guideront les acteurs de la construction dans les années à venir. Paradoxalement, si l’on souhaite être performant sur la rénovation, il faut déjà l’être sur le neuf. Il est important de comprendre que la construction neuve est centrale du point de vue de la constitution des filières. Pour que la rénovation ait lieu, il faut que les acteurs de la construction soient formés, soient compétents… et c’est à travers la réglementation sur le neuf qu’il est possible d’encourager la création d’une filière et de savoir-faire. Le niveau C2 est pour nous indispensable pour les nouveaux dispositifs de relance, car il va créer les conditions de constitution du marché. Dans l’ancien, il est quelquefois plus difficile d’abandonner des vecteurs énergétiques très carbonés, mais concernant le neuf, il n’y a aucune raison de ne pas exiger le niveau C2, surtout si l’argent public relance l’activité constructive.
j3e – Sur quels leviers agir concrètement pour réduire l’empreinte carbone des bâtiments ?
L. M. – Les leviers sont connus, aussi bien pour le bâtiment neuf que pour l’existant. La sobriété énergétique à tous les étages est atteignable. Sur le neuf, il est important d’être très exigeant dès à présent. En matière de systèmes de chauffage, il faut évidemment privilégier les systèmes décarbonés comme les pompes à chaleur, les bio-énergies et les réseaux de chauffage urbains, quand ils sont eux-mêmes décarbonés.
A partir du moment où une forme de sobriété dans la consommation d’énergie est atteinte, ce que nous savons faire, les matériaux peuvent représenter jusqu’aux trois-quart des impact globaux carbone. C’est énorme. C’est là que le Hub va jouer un rôle considérable, parce qu’il va formuler des règles de sélection des matériaux pour construire bas carbone. Il y a trois mouvements de base : le premier, c’est l’enjeu de l’évitement, c’est à dire économiser des matériaux quand il est possible d’en mettre moins. Des volumes considérables de matériaux pourraient être concernés. Le second mouvement est celui de la substitution d’un procédé vers un autre moins carboné ( en remplaçant le pvc par le bois quand c’est possible par exemple ). Et puis, troisième point, dans une même famille de produits, choisir la performance en optant pour le produit le moins carboné. Nous encourageons à retrouver une forme de simplicité dans le bâtiment.
Encore une fois, ces leviers doivent être appliqués prioritairement dans le bâtiment neuf, pour créer des réflexes chez les professionnels. Le secteur du bâtiment rassemble aujourd’hui des centaines de milliers de praticiens, de compagnons, d’entrepreneurs, qui ont besoin d’être guidés. C’est en cela que le neuf va jouer un rôle considérable pour créer de nouveaux réflexes.
j3e – Comment réduire la dépendance des bâtiments aux énergies fossiles très polluantes ?
L. M. – Il ne s’agit pas d’une simple pollution, mais d’une véritable menace d’extinction L’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère est en train de remettre en cause la viabilité de la planète pour les populations humaines existantes et projetées. Il est important de rappeler les enjeux. La réduction des émissions devient un sujet d’exigence politique, de préférence collective des citoyens-consommateurs. Il ne faut se faire aucune illusion. La réduction des émissions va devenir la condition première d’exercice de toute forme d’activité productive dans le monde. C’est une certitude. Et le bâtiment, qui est la première activité humaine à l’échelle planétaire, est concerné au premier chef.
Pour réduire la place des énergies fossiles, il faut proscrire leur utilisation dans l’énergie consommée au niveau du bâtiment, à commencer par le chauffage au fioul ou au gaz quand il ne s’agit pas de bio-gaz. Il est incroyable que dans un monde qui se réchauffe à cause du fossile on utilise encore du fioul ou du gaz pour se réchauffer. Pourquoi pas du charbon tant qu’on y est ? Le bio-gaz reste une possibilité, à condition de ne pas confondre le bio-gaz et le gaz naturel. Et à condition que surtout, dans l’équation générale de la SNBC, on n’ait pas de meilleurs usages possibles pour le bio-gaz. Car la quantité de bio-gaz fabriquée dans un pays est limitée. Il vaut mieux la réserver à des usages non substituables. Dans la construction et le bâtiment, le gaz est en l’occurrence substituable par d’autres formes d’énergies.
Indirectement, il faut aussi réduire les autres usages de l’énergie au niveau du bâtiment comme le refroidissement. Si l’énergie n’est pas émettrice de CO2 au niveau du bâtiment, il faut se demander si elle n’est peut-être pas elle-même fabriquée avec des combustibles fossiles. Enfin, il faut réduire la quantité d’émissions induites par la fabrication des matériaux qui entrent dans la construction, la fameuse énergie grise. C’est sur l’ensemble de ces plans qu’il faut travailler.
j3e – Dans quelle mesure les usages et le comportement des occupants influencent-ils les performances énergétiques des bâtiments ?
L. M. – Leur rôle est considérable notamment dans les bâtiments existants et c’est ce nous démontrons tous les ans à l’Ifpeb avec le concours d’économie d’énergie Cube. Il s’agit d’un programme de gamification de la recherche de performance dans les bâtiments tertiaires. Le succès est chaque année au rendez-vous, avec plusieurs centaines de bâtiments qui y concourent. Les participants se fédèrent durant une année par la recherche de meilleurs gestes et de pratiques innovantes qui permettent d’aboutir à des économies d’énergies. C’est celui qui a fait la plus grosse économie d’une année sur l’autre qui remporte le concours. Cela fait l’objet d’une compétition très amusante. Ce concours Cube, que nous continuons de développer, y compris pour les collèges et lycées en France, démontre que par le simple fait de leur sensibilisation, les usagers d’un bâtiment sont capables de faire des économies d’énergie considérables d’une année sur l’autre. De l’ordre couramment de 20 à 30% en faisant très peu de travaux, simplement en changeant les comportements du quotidien : le chauffage, la lumière etc. Le tout en trouvant ça amusant, enthousiasmant et inspirant. Finalement, le programme Cube nous enseigne que ce sont bien les utilisateurs d’un bâtiment qui sont les mieux placés pour engager la transformation d’un bâtiment vers sa décarbonation !