Le confinement réduit drastiquement les usages nocturnes. Il serait, alors, facile de penser que l’extinction des lumières la nuit ne nuirait qu’à peu de monde, permettrait des économies financières importantes et apporterait une protection de la faune/flore réelle et intelligente.
Qu’en est-il réellement ?
Éteindre ou pas l’éclairage public ? C’est ce que l’Association française de l’éclairage a demandé aux membres de ses Club Métropoles et Collectivités.
Leur analyse…
1. La ville nocturne n’est pas si vide que ça
De nombreux professionnels utilisent encore l’espace public la nuit soit pour se rendre sur leur lieu de travail, soit simplement pour se déplacer : le personnel médical, les forces de sécurité, les livreurs, les agents des transports en commun, les agents des collectivités territoriales (les éboueurs, les agents de la police municipale, les agents d’astreintes…). Toutes ces personnes, qui assurent des missions essentielles à la Nation, ont besoin de ce service public pour être rassurées et se déplacer en toute sécurité.
Le cas des « sans-abris » est également à prendre en compte : déjà menacés par le virus, l’extinction de l’éclairage public serait, pour eux, une source de vulnérabilité supplémentaire.
La situation globale est déjà très anxiogène pour ne pas ajouter davantage à l’inquiétude en créant des ambiances noires et incertaines.
2. Des économies d’énergie pas forcément rentables
En avril, les jours commencent à être réellement plus longs, les temps d’allumage de l’éclairage public plus courts et il est donc économiquement moins rentable « d’éteindre ».
Exemple pour une ville dense :
- En éclairage public, la facture d’électricité se décompose en une part d’abonnement et une part de consommation. L’abonnement est lié à la puissance installée et est fixe, que l’on consomme de l’électricité ou pas. L’extinction de l’éclairage ne joue donc que sur la part de consommation qui représente, selon les contrats, entre 30 % et 50 % du montant total de la facture.
- Le réseau d’éclairage est constitué de plusieurs armoires d’alimentation qui desservent chacune quelques dizaines de luminaires. Chaque armoire dispose d’un contrat de fourniture d’électricité. En ce moment, l’éclairage public est allumé en moyenne 10 heures par nuit. Le coût moyen de l’électricité (hors abonnement) consommée par une armoire d’alimentation est de l’ordre de 5 € par nuit en fourchette haute, soit une estimation à 0,5 € par heure d’allumage en avril.
- Pour éteindre l’éclairage pendant une partie de la nuit, il est impératif au préalable de modifier techniquement les installations actuelles qui, dans la plupart des villes de France, ne sont pas conçues pour être modifiables « à l’heure » (actuellement, l’éclairage public s’allume souvent suivant un calendrier astronomique préréglé pour gagner en fiabilité et en simplicité de gestion). Il faudrait alors ajouter une horloge dans chacune des armoires d’alimentation selon les cas pour permettre cette extinction temporaire. Sur les installations équipées d’horloges astronomiques programmables, des horaires d’extinction particuliers peuvent être mis en place, par circuit d’installation à l’armoire de commande (horloge équipée de 2 ou 3 contacts à fermeture) ou sur la totalité de l’armoire sans ajout d’horloge supplémentaire.
- Dans tous les cas (modification de programmation ou ajout d’horloge), des travaux de modification de câblage (voire de pose de câbles supplémentaires) seront nécessaires afin de différencier les secteurs à laisser en service et à éteindre. Cela peut être le cas si une voie principale en entrée de ville (giratoire…) est alimentée en même temps qu’un lotissement et que le Maire souhaite laisser cette entrée de ville éclairée.
- L’investissement pour cette modification est estimé à 200 €/armoire, en prenant en compte la modification pendant le confinement ainsi que celle permettant le retour à la normale.
- Le scénario proposé d’extinction de minuit à 6 h du matin ne serait donc pas amorti avant au moins deux mois, et le gain resterait faible. En outre, ces interventions exposeraient des techniciens aux risques sanitaires en les faisant intervenir sur le terrain.
Certaines villes, comme Grenoble ont inclus dans leur programme de renouvellement un abaissement de puissance entre 22 h et 6 h du matin permettant de réduire entre 30 % et 50 % la consommation énergétique sur cette période. D’autres, comme certaines communes de Brest Métropole ou Nantes Métropoles, pratiquent déjà la coupure en milieu de nuit.
Sans rentrer dans les détails techniques, le matériel d’éclairage est conçu pour fonctionner en continu pendant des nuits entières. Doubler le nombre d’extinctions et d’allumages engendre un vieillissement prématuré de plusieurs composants et double les plages de surconsommation à froid.
3. L’impact de la lumière artificielle sur la faune et flore
est faible en cœur de nuit
Si 30 % des vertébrés et 60 % des invertébrés vivent totalement ou partiellement la nuit, le pic de leur activité se situe principalement aux premières heures de la nuit et à l’aube. C’est-à-dire qu’il coïncide avec la demande d’éclairage artificiel pour l’être humain.
Éteindre l’éclairage public au cœur de nuit ne peut donc pas être justifié par une volonté de protection des êtres vivants nocturnes et risque en revanche de perturber les personnes qui doivent encore aujourd’hui continuer leur activité professionnelle.
Une réflexion sur l’aménagement urbain, au-delà de la période de confinement, avec la mise en place de trames sombres est la piste à privilégier afin de garantir l’équilibre entre préservation de la biodiversité, la réduction des nuisances lumineuses et réponse aux besoins humains.
4. Vers une extinction totale ?
L’article L2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales donne au maire d’une commune le pouvoir de police, lequel comprend notamment l’éclairage. Il lui appartient, en connaissance de cause, de décider si les espaces publics et les espaces privés ouverts à la circulation publique dont il pourrait avoir la gestion (notamment les parcs et jardins), doivent être éclairés ou non.
Ainsi, un maire peut décider, par arrêté municipal, d’éteindre pendant tout ou partie de la nuit, l’ensemble de l’éclairage public ou une partie des voies. Il doit, pour cela, le signaler explicitement pour que les usagers ne soient pas surpris et ne se mettent pas en danger. Cette règle vaut également en période de confinement.
Mais si la question se pose aujourd’hui en ces termes, une réflexion collective plus approfondie mérite d’être menée pour ces communes ? Et c’est au maire et à son conseil municipal de trouver le meilleur compromis à long terme entre la sécurité des déplacements, le confort des usagers, la protection de la vie nocturne et les contraintes économiques.
« Éclairer juste » n’est pas juste éclairer. Concilier toutes ces contraintes ne se règle pas avec des positions dogmatiques mais nécessite une analyse pertinente et objective des besoins avant de faire le meilleur choix.
S’il s’agit de fournir de la lumière, il est impératif de concevoir correctement l’installation en termes de quantité et de qualité de lumière, de technologie et de pilotage pour répondre à toutes les contraintes.
En conclusion
– Éteindre apportera assurément une inquiétude supplémentaire chez les personnes devant encore circuler
la nuit comme pour celles qui doivent rester confinées chez elles
– Éteindre sur un ou deux mois, avec les nuits les plus courtes de l’année (en mai, juin, juillet), n’est pas rentable
économiquement, les installations n’étant pas conçues pour cela.
– Éteindre n’aura pas d’impact sensible sur la faune et la flore sur une si courte période.
Il est nécessaire d’être particulièrement prudent avant de supprimer un service public et d’avoir au préalable fait une analyse exhaustive des enjeux et des sujétions associées. L’éclairage public est un bien public qui répond aux besoins visuels de l’homme dans sa mobilité nocturne.
La technologie LED et les systèmes de gestion (autorisant la détection de forme par intelligence embarquée par exemple), mus par la volonté d’efficience énergétique, sont aujourd’hui suffisamment matures pour être démocratisés. Ils offrent des solutions d’éclairage adaptées aux besoins, dans l’espace et dans le temps.
« Éclairer juste » c’est éclairer efficacement là où il faut et quand il le faut. Et éclairer efficacement, c’est répondre aux besoins de chacun tout en prenant en compte la protection de l’environnement et les contraintes financières.
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