Avec les arrêtés de décembre 2018 sur les nuisances lumineuses, la gestion de l’éclairage public n’a jamais été aussi d’actualité. Car que faire pour préserver la biodiversité et le ciel nocturne, à part éteindre, cela va de soi ? Nous l’avons observé dans le dernier numéro de Lumières, les fabricants proposent des luminaires dont la conception répond déjà aux textes réglementaires. Mais les technologies vont plus loin et nous avons sollicité quatre industriels qui font le point sur les solutions existantes, allant de la simple programmation à la communication inter-luminaires (voire inter-usages), et qui permettent d’éclairer dans le respect de l’environnement et de la biodiversité.
À partir de quand parle-t-on de gestion de l’éclairage extérieur ? S’agit-il de commandes d’allumage/extinction automatiques, du type interrupteur horaire, capteur ou de systèmes à courant porteur ? Ou plutôt de télégestion, ou bien encore de connectivité ? À l’unanimité, les spécialistes s’accordent à affirmer que c’est tout cela à la fois, même s’ils préfèrent passer rapidement sur les « basiques » et entrer dans le vif du sujet de l’interconnexion et de systèmes intelligents. Pour Catherine Rambaud, responsable marketing du groupe Arcom, la question essentielle à se poser est : « À quel besoin doit-on répondre : réaliser des économies d’énergie, réduire les opérations de maintenance, modeler une ville intelligente, créer des trames noires ? »
Il existe deux grandes solutions de base. Par courant porteur, c’est-à-dire qui fonctionne sur le réseau d’éclairage public : on utilise les fils électriques déjà installés pour faire passer des données par les modules situés dans les mâts. Et, deuxième principe : par transmission radio, avec un émetteur au poste de commande centralisé et des émetteurs sur les armoires équipées d’antennes de réception. Dans les deux cas, on obtient des économies d’énergie puisque les modules permettent de couper l’éclairage au milieu de la nuit, et plus subtilement de faire appel à la gradation pour baisser les niveaux d’éclairage en fonction de l’heure ou du trafic. À cela, il suffit d’associer des dispositifs équipés de détecteurs de présence, et on obtient une installation écoénergétique, efficace et qui respecte la biodiversité.
L’adaptabilité des produits
« Les solutions Citylone [marque du groupe Arcom] sont ouvertes et interopérables, précise Catherine Rambaud. Selon les gammes, elles fonctionnent avec plusieurs moyens de communication : DALI, 3G/4G, CPL, LonWorks et divers protocoles radiofréquence. Les produits s’adaptent à tout type de réalisation, neuf ou rénovation, ballasts ferromagnétiques ou électroniques, gestion de lampes sodium, iodures métalliques, LED, télégestion ou fonctionnement autonome… » C’est cette capacité à s’adapter qui a séduit le jury du Salon des maires et des collectivités locales, en novembre dernier, puisqu’il a attribué le Prix de l’innovation au système SL-Easy, une solution programmable en Bluetooth et qui envoie les informations par courant porteur. Elle convient bien aux petites collectivités, car elle présente une simplicité d’utilisation qui leur offre la possibilité d’accéder à la gestion intelligente sans devoir entreprendre de gros travaux. Selon Catherine Rambaud, « ce système permet de réduire les consommations énergétiques grâce au contrôle de la gradation selon deux niveaux et une gestion horaire optimisée (intégrée), et de mettre en place une détection de présence pour l’ensemble de l’installation et de consulter la programmation depuis un point centralisé avec une application smartphone gratuite ». De plus, les paramètres de gradation sont modifiables facilement pour simuler et définir les meilleurs niveaux d’éclairement. Avec sa gestion horaire intégrée, le SL-Easy pilote les gradations sur l’ensemble des points qu’il commande, et jusqu’à deux groupes de luminaires en gradation et un groupe en ON/OFF. Il est possible de créer deux programmes horaires différents dans la semaine. « SL-Easy a été mis en place dans le parc de la Tête d’Or à Lyon, à la fois pour permettre d’améliorer la maintenance des points lumineux du parc, et pour détecter la présence de piétons et de cyclistes. »
Moduler la lumière
Il n’y a encore pas si longtemps, la moindre gradation ou détection risquait d’impacter la durée de vie des lampes ou leur efficacité. Aujourd’hui, c’est un peu l’inverse : ce serait sous-employer la LED que de ne pas lui associer des automatismes électroniques, puisque, comme le souligne Ludovic Girard, responsable technique chez Comatelec Schréder, « abaisser l’éclairage à 10 % au cœur de la nuit est parfaitement possible et n’a aucune incidence ni sur les performances des matériels ni sur la qualité de l’éclairage, grâce aux capteurs qui permettent de remonter le flux à 100 % dès qu’une présence est détectée ». Ce simple dispositif peut diviser les consommations par 4, économies non négligeables lorsque l’on sait que l’éclairage public représente 48 % de la facture d’électricité d’une petite commune (source : Syndicat de l’éclairage, « Éclairer pour avancer »).
Comatelec Schréder a plus d’un exemple à son actif, notamment à Montluçon où le parc d’éclairage est composé des produits Teceo et Shuffle implantés le long des voiries et des berges. « L’association d’un système de détection et de télégestion permet de piloter l’ensemble des luminaires de manière indépendante. La matrice de détection est configurée et envoyée depuis l’interface de télégestion. L’information de détection est ensuite relayée entre les luminaires afin de créer un “train de lumière” », explique Ludovic Girard. Au Havre, la gestion agit sur le flux qui s’adapte à la densité du trafic. Lorsqu’un radar envoie une information de détection de présence aux contrôleurs, ceux-ci la relayent entre eux et réagissent en fonction de la densité de la circulation en ajustant le niveau d’éclairement en corrélation avec le flux de véhicules. « Ce dispositif a été installé sur des artères peu utilisées dans la journée, mais empruntées fréquemment par les poids lourds la nuit », ajoute l’expert. Autant les systèmes qui génèrent des économies énergétiques et réduisent les opérations de maintenance apparaissent aujourd’hui comme des produits presque ordinaires et à portée de tous les budgets (à condition de raisonner en coût global), autant les solutions qui agissent sur les températures de couleur se font plus rares. « En partenariat avec des chercheurs de l’université de Lille, nous avons développé le projet Luciole, qui fait varier la température de couleur au sein d’un même luminaire, par exemple en fonction de l’heure ou de la saison », commente Ludovic Girard. Le point de départ : la disparition des chauves-souris au cœur de la citadelle. Lorsqu’il n’y a personne, le blanc est très chaud, voire ambre, et dès que le capteur détecte une présence, la température remonte dans les blancs froids.
Expérience concluante : les chiroptères sont de retour ! « Aujourd’hui, nous faisons varier les températures de couleur, demain peut-être parviendrons-nous à moduler l’éclairage en fonction des conditions météorologiques ? Le pôle R&D chez Comatelec s’attache à comprendre l’environnement et s’appuie sur des études de terrain pour créer un éclairage vraiment intelligent », poursuit Ludovic Girard. On le voit bien par ces exemples concrets, la gestion de l’éclairage public n’est pas un vain mot mais trouve nombre d’applications aussi bien dans de grandes villes qu’en milieu rural. Alors « smart city » ou lumière intelligente ?
Un service pour toutes les villes
Gestion, télégestion, systèmes IoT, autant de termes que d’aucuns croient réservés aux mégapoles alors que finalement, les petites villes ne sont pas les dernières à opter pour ces technologies, bien au contraire. Elles y voient leur intérêt : pouvoir continuer à éclairer afin de satisfaire les résidents, qui peuvent profiter de leur patrimoine même la nuit tombée, tout en réalisant des économies, qui ne sont pas de bouts de chandelle ! Les solutions offrent un atout majeur : la simplicité d’installation pour un service maximum, « à l’instar du détecteur de présence Wattstopper (technologie infrarouge), qui se clipse sur la partie inférieure du luminaire », explique Christophe Bresson, directeur de la communication de Signify. « Le capteur se déclenche à partir d’une certaine tranche horaire et est capable de détecter aussi bien un piéton qu’un cycliste ou un véhicule (jusqu’à 15 km/h). »
En gestion locale également, la programmation peut s’effectuer via Bluetooth à l’aide du module EasyAir, qui se clipse en partie haute du luminaire pour paramétrer le driver et jouer sur les flux, la détection, la gradation…
Au niveau au-dessus, Signify propose Interact City, pour gérer l’éclairage public en un réseau connecté capable d’accueillir des capteurs et autres composants IoT. La géolocalisation du point lumineux est automatique et comprend de multiples fonctions : la gradation à distance par point ou par groupe, le monitoring, les caractéristiques des ensembles d’éclairage, la localisation, les consommations d’énergie, l’état de fonctionnement… « Ce système donne accès à d’autres fonctionnalités liées ou non à l’éclairage telles que détection de mouvement, suivi de la qualité de l’air et du bruit et détection d’incident », détaille Christophe Bresson. Interact City permet de gérer entièrement l’installation à distance, quelle que soit sa taille (île de Sein : 50 points lumineux ; San Francisco : 170 000). Il a été mis en place par le SIEEEN (Syndicat intercommunal d’énergies, d’équipement et d’environnement de la Nièvre) dans plusieurs villages. Depuis 2015, le SIEEEN poursuit une campagne de modernisation de l’éclairage public en Nièvre et a fait le choix des luminaires LED connectés. La Nièvre est département pilote pour le déploiement de cette technologie. Plus de 6 000 luminaires connectés sont installés dans 116 communes. Afin d’optimiser la maintenance et l’entretien de l’éclairage public, le SIEEEN développe la télégestion du parc. Grâce au géoréférencement des points lumineux et la mise en service d’un système d’information géographique (SIG), les collectivités bénéficient d’un service de dépannage plus réactif. La supervision à distance permet d’obtenir en temps réel des informations sur les tensions des réseaux et l’intensité des courants électriques.
Le driver : élément central du luminaire dans la « smart city »
Pour Ludovic Voltz, gérant de Tridonic France, cela ne fait aucun doute : le driver est au centre du luminaire intelligent, qui certes détecte et offre des possibilités de gradation, mais pourra aussi analyser les événements environnants, les conditions climatiques et surtout permet aux luminaires de communiquer entre eux, afin de créer un bus « interluminaire ».
Dans le cadre du projet « Digitalstadt Darmstadt » (Darmstadt ville numérique), le quartier de Wixhausen a été équipé de capteurs PIR (pyroélectriques) intégrés reconnaissant les mouvements et la lumière ambiante et contrôlant les luminaires selon les besoins : les lampadaires intelligents éclairent une voie de circulation, un chemin emprunté par les écoliers, un sentier de promenade et une piste cyclable. L’installation pilote se compose de 13 luminaires LED. Lorsque des voitures, des piétons, des joggeurs ou des cyclistes s’approchent, ils veillent à un éclairage suffisant. Si aucune présence n’est détectée, ils diminuent progressivement leur niveau de luminosité. Des modules communicants sans fil connectent les luminaires entre eux et transmettent le signal, de sorte que toute la rue est éclairée. Grâce à la diminution progressive de l’éclairage et à la réaction à des variations même minimes de la lumière naturelle, les excès de lumière sont considérablement réduits – un avantage majeur pour l’environnement, les animaux et les plantes, qui, autrement, sont dérangés par la lumière artificielle. La sécurité des données est garantie grâce à une transmission cryptée des données – du module de communication sans fil au serveur. À l’aide de la plate-forme Smart City et de son portail de gestion, les opérateurs peuvent accéder à tout moment à l’installation et modifier le regroupement des luminaires ou en adapter manuellement l’intensité d’éclairement. En outre, la plate-forme fournit des informations importantes sur les luminaires, concernant notamment leur consommation énergétique, d’éventuelles défaillances ou les opérations d’entretien à venir.