Architecte de formation, Paul Armand Grether ne se définit pourtant pas comme un bâtisseur, mais plutôt comme un aménageur de l’espace urbain. Selon lui, la lumière joue un rôle essentiel dans l’identité de la ville aussi bien pour accompagner son urbanité que pour révéler des émotions. C’est donc l’urbaniste qui partage avec nous ses « souvenirs de lumière ».
Lumières – Vous avez croisé le chemin des concepteurs lumière en 2004 lors de la création de l’association Maison de l’architecture Île-deFrance. Comment s’est passée cette rencontre ?
Paul Armand Grether – L’association des concepteurs lumière et éclairagistes avait tout juste dix ans à l’époque et l’Ordre des architectes souhaitait vivement ouvrir les portes sur les multiples facettes de notre métier. J’ai donc sollicité l’ACE pour réaliser la mise en lumière événementielle de l’ancien couvent des Récollets où s’est installée la Maison de l’architecture Île-de-France : c’était une très belle rencontre. Plus tard, j’ai rejoint François Grether à l’agence et c’est vraiment là que j’ai appris le métier d’urbaniste. Cela m’a conduit à intervenir sur des projets qui conjuguent différents aspects de la fabrication de la ville. En 2008, avec Franklin Azzi, nous gagnons le concours pour le legs de la France à l’occasion du 400e anniversaire de Québec, le réaménagement des espaces d’accueil du musée de l’Amérique française, pavillon de tête du musée de la Civilisation. Nous avons développé l’idée d’éclairer le tableau des fenêtres en intégrant des rails LED dans la double-peau du bâtiment (pour l’inauguration, c’est Patrick Rimoux qui avait réalisé la mise en lumière de la façade). Cette expérience a constitué ma première approche de l’éclairage dans sa dimension architecturale, mais aussi dans sa dimension sensible, comme matière vivante. C’est ensuite que cet intérêt pour la « matière lumineuse » s’est conjugué à l’échelle urbaine pour se concrétiser dans le projet Angers Cœur de Maine.
C’est donc en voulant donner une lecture nocturne à Angers que vous avez porté un regard « lumière » sur les paysages urbains ?
En effet, nous avons gagné le concours avec un très beau sujet : il s’agissait de recréer un lien entre la ville et la rivière sur plus de 200 hectares sur les rives de la Maine. Nous avons, dès les études, pensé cette perception nocturne. Nous avons commencé par supprimer les boules lumineuses qui éclairaient autant le ciel que le sol. Loïc Mareschal, le paysagiste, Phytolab, et moi avons surtout été guidés par notre sensibilité à l’environnement et au paysage urbain ou naturel, sans stratégie réelle pour un nouvel éclairage. Pour nous, les berges et la rivière représentaient ce que l’on appelle aujourd’hui les trames noires, c’est-à-dire des espaces qui n’avaient pas besoin d’être fortement éclairés et dont il est nécessaire de préserver cette qualité. La voie rapide, ponctuée de mâts supportant des points lumineux très hauts et très puissants, traçait une véritable balafre à travers la ville. Nous avons déshabillé cette autoroute afin de supprimer ce rideau lumineux qui masque la façade de la ville. Le conseil départemental s’est laissé convaincre, notamment parce que la perspective principale reposait sur l’apaisement de la voie. Au changement de mandat, le maire, Christophe Béchu, nous a demandé de poursuivre notre étude sur deux secteurs : les aménagements du bas du centre-ville avec une grand espace de rassemblement tourné vers la rivière, et une ancienne friche industrialo-ferroviaire, le quartier Saint-Serge, organisée autour d’un grand parc inondable. À travers ces deux espaces s’est posée la question essentielle de la dimension nocturne. En joignant nos réflexions à celles de Phytolab et du bureau d’études SCE, nous avons défini une étude d’éclairage afin de mettre en valeur le côté rivière. Ainsi, nous avons remplacé l’équipement existant par des mâts plus bas et moins nombreux, et conservé une grande emprise du parc très peu éclairée.
Vous avez donc retravaillé l’éclairage des berges ?
Oui, en concertation avec les services de la ville, nous avons créé un parcours lumineux assez doux qui accompagne la promenade piétonne et cycliste, du pied du château jusqu’à l’esplanade. L’installation alterne les zones claires et sombres et met en œuvre des mâts de faible hauteur de 3 à 5 m. L’éclairage s’élève ensuite pour apporter suffisamment de lumière aux intersections et enfin de grands mats s’implantent en retrait de la rive pour un éclairage mesuré de l’esplanade où les Angevins se rassemblent le soir. Ici nous avons avancé sans éclairagiste. Dans de tels projets, l’approche d’un concepteur lumière est d’une grande aide car il apporte sa sensibilité et sa technique, mais surtout une dimension stratégique au projet d’éclairage. Par la suite, Charles Vicarini a été désigné pour mettre en lumière d’autres sites à Angers, je l’ai accompagné faire des essais sur la falaise au pied du château. C’était sublime : la lumière rasante révélait l’épaisseur de la roche et des maçonneries, projetait les ombres de la végétation sur la pierre. On perçoit immédiatement cette sensibilité dont je parlais : il n’y a pas de gesticulation inutile, le trait n’est pas forcé, la lumière est au service de l’espace public et du paysage urbain nocturne.
Selon vous, il est indispensable de retrouver cette sensibilité dans les plans lumière d’une ville ?
La technique ne suffit pas ; le concepteur lumière sait anticiper le résultat et porter une vision d’ensemble. On a tous des « souvenirs lumière », comme une mémoire sensible ; ceux qui m’ont particulièrement touché sont les enseignes des hôtels et des établissements de nuit dans les petites rues du IXe arrondissement de Paris, des lumières qui rassurent, qui guident, qui invitent, etc. Aujourd’hui, il m’arrive souvent de cheminer dans les rues d’Angers, quartier médiéval où l’éclairage minimal offre une ambiance très particulière, intime et presque vénitienne. J’ai aussi le souvenir de Fantastic, festival organisé dans le cadre de Lille 3000 en 2012, qui a plongé la ville dans un univers merveilleux, avec l’inoubliable « Dentelle Stellaire » de François Schuitten, ou encore cette année les « Accroche-cœurs » d’Angers qui donnaient à voir des roues de lumière géantes déambulant dans les rues. Autant de souvenirs de lumière, autant de révélations lumière…