En poste à la mairie de Paris, Xavier Bancquart réalise des mises en lumière et participe à la réflexion du schéma directeur qui a pour objectif de créer du lien social par la lumière, donner à la capitale une meilleure lisibilité et préserver son identité nocturne.
Lumières – Avec plus de vingt ans consacrés à la lumière, quel regard portez-vous sur les éclairages parisiens ?
Xavier Bancquart – Les premières années, mon travail consistait principalement à tester des matériels pour évaluer la photométrie, la colorimétrie. L’objectif était, avec l’aide de concepteurs lumière et de fabricants, de faire évoluer les produits pour qu’ils s’adaptent au marché parisien et au mobilier urbain et s’intègrent dans l’environnement. Paris est doté de nombreuses lanternes de style et tout nouveau design devait être validé par les architectes en chef des monuments historiques. En 2000, nous avions éclairé un certain nombre de ponts. En 2006, il m’a été confié mon premier projet de mise en lumière : il s’agissait de l’église Notre-Dame-de-la-Croix de Ménilmontant, dans le 20e arrondissement. J’avais osé des variations de blancs et même un peu de couleurs différentes sur le clocher, la chapelle de la Vierge, la croix, le parvis, etc. J’ai essayé de porter cette réflexion sur la lumière pour lui donner un sens : le juste milieu entre la lumière qui met en valeur l’œuvre et la lumière qui devient œuvre elle-même.
L’éclairage est un outil qui me permet de transcrire l’image que je me fais du patrimoine, dans le respect de son histoire, son environnement, ses matériaux. Je pars du support et utilise le produit le plus adapté et non l’inverse. Le matériel ne doit pas prendre le pas sur la conception. La LED permet de réaliser des prouesses techniques mais il peut arriver que d’anciennes technologies soient préférables, comme cela a été le cas pour la façade de la gare du Nord où j’ai utilisé des iodures métalliques qui répondaient mieux à mes attentes.
Comment avez-vous vécu cette évolution justement ? En quoi la LED a-t-elle transformé le paysage urbain nocturne ?
Xavier Bancquart – En tant qu’exploitant, je dois m’assurer de la pérennité de l’éclairage et de l’image proposée. Il est essentiel de tenir compte des conditions d’exploitation, de l’entretien et de la maintenance des projets. Mes dix ans de laboratoire me permettent de porter un regard critique, dans le bon sens du terme, sur les produits, comment on les intègre et surtout comment on les exploite : l’accès au matériel, le pilotage de l’installation, etc. Parmi les grands changements apportés par la LED, citons la miniaturisation qui a rendu possibles des scénographies lumineuses fines sans dénaturer le paysage urbain ni encombrer les façades des bâtiments ; la réduction de la maintenance ; la focalisation précise des faisceaux, etc. L’évolution s’est faite à la fois sur le plan énergétique et esthétique.
Quels exemples significatifs témoignent du passage à la LED à Paris ?
Xavier Bancquart – Je pense au Palais de la porte Dorée (voir Lumières N°27, pp. 32-33) avec ses tableaux dynamiques ; au théâtre de La Gaîté Lyrique dont les cinq arches ont été éclairées en contre-plongée par une ligne de 10 m en LED, avec une inclinaison de 5°. Encastrée au sol, elle souligne les détails architecturaux tout en évitant d’avoir une batterie de projecteurs dans le square en face.
Autre exemple, le pont de Crimée, dans le 19e. C’est un pont levant à soulèvement hydraulique qui a été entièrement reconstruit ; l’architecte a agrandi la main courante de quelques centimètres pour intégrer des lignes LED. Celles-ci éclairent le tablier du pont qui, ajouré, laisse filtrer la lumière jusque sur le trottoir.
Plus récemment, dans la partie souterraine de la rue Broca, il existait une grande quantité d’éclairages au sodium basse pression ; pourtant, les riverains évitaient la rue, la nuit tombée. Il était difficile d’envisager plus de puissance, donc il a été décidé de modifier la perception de la lumière. La puissance installée a été divisée par 4 grâce à un éclairage LED blanc pour la voirie et les escaliers, et des lumières dynamiques colorées sur les murs qui procurent un sentiment de bien-être accru. Je pense également au passage du Pont-aux-Biches qui crée un lien social entre deux quartiers du 3e arrondissement. Autre illustration de notre capacité à nous adapter à l’environnement : le pont d’Arcole. Il s’inscrivait dans le premier marché à performance énergétique (2009). Les sources iodures et incandescentes ont été remplacées par des luminaires LED, les appareils au sodium conservés dans la structure mais répartis différemment. Nous avons joué sur les températures de couleur – la rambarde en 5 000 K, le tablier en 3 000 K et la structure en orangé et réalisé 88 % d’économies d’énergie ! Enfin, la colonne de Juillet est l’exemple même où nous avons dû nous adapter à l’ouvrage – en rééclairant la statue en LED à partir des coffrets existants – et non l’inverse. La lumière prend alors tout son sens.
Retrouvez l’entretien du précédent numéro de Lumières ici.