« Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les gradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière. Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. » Victor Hugo, Notre-Dame de Paris.
Espérons ne pas laisser de traces indélébiles sur ces monuments historiques ou ces ouvrages d’art dont l’architecture nous ravit tellement le jour que nous nous efforçons d’en prolonger la vision la nuit.
Mais, comme le souligne Carmen Munoz-Dormoy en introduction à ce dossier, toute mise en lumière doit s’inspirer de la ville, de son architecture, de son histoire, de son patrimoine et surtout de sa culture.
« Créer un monde de lumière intelligent, beau et durable »
Citelum, filiale du groupe EDF présente dans 15 pays et dont la lumière est le code génétique, a commencé par des activités d’éclairage public, puis d’infrastructures urbaines et propose aujourd’hui une large gamme de services incluant les illuminations artistiques. « Toute mise en lumière est précédée d’une étude de la ville et plus particulièrement de son architecture, de son histoire et de sa culture. » Carmen Munoz-Dormoy explique les enjeux de cette analyse.
Pourquoi un « monde de lumière intelligent,
beau et durable » ?
Carmen Munoz-Dormoy – Intelligent, parce que nous proposons des services connectés. Les technologies actuelles d’éclairage permettent une gestion à distance des installations et offrent de nombreuses possibilités de mise en lumière dynamiques qui animent les grandes métropoles comme les petits villages. Beau, parce que la lumière ne se cantonne plus à un rôle purement fonctionnel, elle embellit les cités et met en valeur leur patrimoine architectural via notamment les illuminations artistiques. Et durable, parce qu’aujourd’hui, nous devons tous faire face aux enjeux du changement climatique, c’est donc notre responsabilité de proposer des projets qui s’inscrivent dans la durée, économes en énergie, et qui respectent la biodiversité en limitant les impacts sur l’environnement. La technologie LED a largement accompagné ces évolutions.
Selon vous, quel rôle la LED a-t-elle joué
dans le développement de l’éclairage du patrimoine bâti ?
Carmen Munoz-Dormoy – Par le passé, on pouvait éprouver des remords à éclairer des monuments et augmenter ainsi la consommation électrique des villes. Mais les économies réalisées sur l’éclairage public en passant à la LED permettent justement d’investir dans les illuminations qu’on n’aurait pas osé entreprendre auparavant. Prenons un exemple : la ville de Sète a remplacé une grande partie de ses appareils d’éclairage public par des luminaires à LED, réduisant de 40 % sa facture énergétique, et a pu ainsi mettre en lumière son patrimoine tout en diminuant ses consommations. La LED facilite également le pilotage et la programmation à distance, ce qui permet à la municipalité de décider quand et pendant combien de temps éclairer, sans parler de la programmation d’éclairages dynamiques. Ainsi, les concepteurs lumière peuvent jouer sur les variations de blanc, les changements de couleur et bénéficient de toute une panoplie de possibilités. Mais attention, il ne s’agit pas non plus de transformer les villes en parcs d’attractions. Citelum est présente dans 15 pays et nous devons tenir compte à chaque fois de la culture locale. Nous n’éclairons pas de la même façon les sites au Mexique ou en Inde, où les couleurs doivent être éclatantes, alors qu’en Europe les tonalités de blanc sont de mise avec une faible intensité.
Au-delà de cette discrétion, quels sont les principaux enjeux de l’éclairage
du patrimoine bâti en Europe ?
Carmen Munoz-Dormoy – En premier lieu, il s’agit de bien comprendre les attentes des maîtres d’ouvrage et le contexte dans lequel s’inscrit la mise en lumière. On ne peut arriver en « collant » une idée. Il faut s’imprégner du site, de ses particularités géographiques, historiques, sociales et bien sûr architecturales tout en restant à l’écoute du client. Le projet doit être adapté à la demande et respectueux de l’environnement ; nous ne sommes pas là pour éclairer le ciel ! Le décret du 27 décembre 2018 nous le rappelle et signe la fin des projecteurs dirigés vers le haut et de l’éclairage en contre-plongée. Un autre enjeu, souvent malheureusement oublié, est l’entretien. Il est indispensable que chaque projet d’éclairage de monuments soit accompagné d’un plan de maintenance préventive afin d’éviter des luminaires éteints ou une perte d’harmonie des couleurs. Enfin, n’oublions pas l’utilisateur : la mise en lumière du patrimoine offre une vision différente des espaces publics et monuments, elle crée de la valeur ajoutée pour les commerces, elle attire les touristes… Et le numérique permet aussi de moduler l’éclairage selon les événements et d’inventer une écriture nocturne de la ville.
Comme la tour EDF à La Défense ?
Carmen Munoz-Dormoy – Exactement. L’éclairage de la façade s’anime pour les fêtes de fin d’année, avec des concepts différents d’une année sur l’autre et avec des éclairages dynamiques et programmables. La tour BBVA Bancomer à Mexico utilise son éclairage comme un media à part entière : pour le marathon par exemple, on pouvait voir des silhouettes courir sur la façade. Aux États-Unis, le Memorial Bridge à Washington DC, construit en 1932 et entré au registre national des lieux historiques en 1982, bénéficie d’une mise en lumière demandée par les promoteurs d’un immeuble de luxe érigé face à la rivière, afin d’offrir une « belle vue » aux occupants. Plus proche de nous, l’agence Quartiers Lumières a réalisé la conception lumière extérieure du couvent des Jacobins à Toulouse, dont la construction du XIIIe siècle baigne dans des tonalités douces et nuancées de blanc qui varient selon les scénarios lumineux. À chaque patrimoine son environnement et son histoire, et donc sa mise en lumière.
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Le Palais de la porte Dorée
Le Palais de la Porte Dorée, seul édifice voué à survivre à l’exposition coloniale internationale de 1931, a été construit par Albert Laprade. Pour la façade, l’architecture renoue avec la monumentalité classique de la colonnade du Louvre ainsi qu’avec l’ordre ionique des temples antiques et abrite une frise sculptée d’ampleur exceptionnelle. Les lignes géométriques et épurées du bâtiment, typiques du style Art déco, sont animées par un décor figurant les colonies. Le Palais change plusieurs fois d’attribution, tout en maintenant l’Aquarium tropical présent depuis 1931, pour finalement abriter en 2007 le Musée de l’histoire de l’immigration.
En 2017, le Palais de la Porte Dorée a été doté d’une nouvelle conception d’éclairage dynamique par la Ville de Paris, reposant sur les luminaires Lumenbeam de Lumenpulse, qui met en valeur son passé légendaire tout en conservant son architecture historique et ornementale. L’idée principale de cette conception d’éclairage était de souligner les célèbres et splendides parois en bas-relief qui constituent la façade du bâtiment, tout en offrant également une souplesse dynamique permettant de moduler les effets lumineux en fonction des événements et moments forts. Pour réduire l’impact sur cette structure protégée, des projecteurs Lumenbeam Large ont été placés aux mêmes points de montage que les anciens projecteurs iodure. La base de chaque colonne a été équipée d’un luminaire Lumenbeam Grande de 100 W permettant des variations de couleur avec un flux optique de 40°, qui garantit une répartition large et uniforme de la lumière. Deux nouveaux luminaires ont également été ajoutés pendant cette rénovation : un Lumenbeam Large à variation de couleurs de 50 W, également doté d’un flux optique de 40°, a été placé de chaque côté de l’escalier principal pour illuminer la fresque qui surplombe l’entrée principale. Le Palais de la Porte Dorée attire désormais de nouveaux visiteurs lors de ces animations nocturnes tout en réduisant également les coûts de consommation d’électricité pour la Ville de Paris. Les reliefs muraux reprennent vie la nuit, par une illumination multicolore ou de couleur statique. Les ombres élèvent les personnages, tandis que les bateaux et les animaux s’animent et surgissent de leur contexte historique pour disparaître dans la nuit.
« Ma première idée a été de créer un éclairage dynamique qui mette en valeur le bas-relief sculpté par Alfred Janniot. Il s’agit d’une vague bleue qui balaye la façade sur toute sa longueur. L’éclairage basique est réalisé en blanc statique », explique Xavier Bancquart, concepteur lumière, responsable des illuminations, Ville de Paris. Le contrôleur DMX peut programmer, modifier et déclencher des effets et séquences lumineux. L’intensité, la vitesse et les couleurs peuvent être modifiées du bout du doigt, afin de créer une couleur différente pour chaque événement, des changements de couleur rapides ou des illuminations préprogrammées. « Pour accompagner les divers événements qui se déroulent au palais, les luminaires peuvent basculer d’un éclairage coloré statique à des fonctions RGBW à commande autonome, poursuit Xavier Bancquart, différents tableaux lumineux sont programmés, avec des scénarios statiques, dynamiques ou des patchworks ; les techniciens de maintenance d’Evesa peuvent choisir le programme qu’ils souhaitent. »
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Le Duomo de Milan par Erco
«Le Duomo brille d’une lumière symbolique pour toute la ville. Il n’est pas seulement la cathédrale de Milan, il est aussi un emblème important de l’ensemble de la ville, explique Pietro Palladino concepteur lumière, Ferrara Palladino Lightscape. Des intensités lumineuses de 70 lux à 100 lux permettent de faire ressortir plus clairement les détails de l’ouvrage. La couleur de lumière 4 000 K renforce la perception des différentes teintes du marbre de Candoglia parsemé de rose gris. »
Éclairer efficacement un ouvrage de cette taille dans un espace urbain très dense sans nuire à l’environnement immédiat exige des projecteurs aux répartitions de lumière particulièrement étroites et précises. Le concepteur lumière a opté pour des projecteurs Lightscan et Gecko sans éblouissement, qui ont été adaptés aux exigences spécifiques du projet. La version Erco individual de Lightscan qui a été utilisée se distingue par un flux lumineux important, une classe de protection élevée, des étriers de fixation particuliers et une couleur de boîtier précisément adaptée au marbre de la façade. Pietro Palladino a organisé ce nouvel éclairage extérieur sur trois hauteurs : en bas, sur les mâts existants ; plus haut sur les corniches de bâtiments voisins ; sur le Dôme lui-même, les statues ont été éclairées du bas vers le haut.
Un total de 570 projecteurs LED ont ainsi été installés. La majeure partie des appareils ont bénéficié d’une disposition asymétrique. Les emplacements de montage étaient prédéfinis par l’ancien éclairage, et en partie situés très haut et donc difficiles d’accès ; et les interdistances pouvaient aller jusqu’à 120 m. Le problème a été résolu en faisant appel à la technologie des lentilles Spherolit Erco. Des étriers de fixation spécifiques ont été développés pour les appareils d’éclairage, car ces derniers ne pouvaient être montés que dans les interstices entre les différents blocs de marbre, et non dans le marbre lui-même. Pour accentuer, sans éblouir, les verticales et les pinacles gothiques sur le toit praticable à pied, le concepteur a opté pour une version Erco individual des projecteurs à LED compacts Gecko. Ces derniers ont eux aussi été modifiés en ce qui concerne la classe de protection, les étriers de fixation et la couleur du boîtier, adaptée au marbre de l’ouvrage. Avec leur forme légèrement conique et leur boîtier arrondi relativement petit, les Gecko s’intègrent de façon presque invisible pour les visiteurs entre les flèches finement ouvragées.
Afin d’assurer un éclairage sûr et sans éblouissement des allées et des escaliers sur les terrasses du toit, des appareils d’éclairage de façade Focalflood ont été montés à quelques centimètres au-dessus du sol à l’intérieur des murs de la cathédrale. Le passage à des luminaires LED Erco à faible maintenance assure ainsi une réduction des coûts d’exploitation, et se révèle aussi efficace en matière de performances énergétiques : après le changement, la puissance installée est passée de 58 kW à 35 kW avec un éclairement plus puissant d’environ 90 lux qui apporte pratiquement 40 % de lumière en plus au Dôme.
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Evolution Tower, Moscou par iGuzzini
La tour de 255 m et 55 étages est devenue le bâtiment le plus grand et le plus efficace de bureaux entièrement éclairé en LED de Russie et dispose de l’un des systèmes de contrôle et de gestion de l’éclairage les plus sophistiqués au monde. La structure architecturale en hélice du bâtiment a nécessité la conception et la réalisation de solutions spécifiques, mises au point avec le concepteur lumière.
L’élément caractéristique de la tour est sa façade média. La hauteur de la tour, sa structure architecturale et les matériaux choisis pour la façade imposaient de nombreuses limites : l’installation extérieure de produits n’aurait été possible qu’en recourant à des techniques d’alpinisme compte tenu des torsions et des inclinaisons des surfaces vitrées qui présentent aussi de très petits points d’ancrage pour les appareils ; les produits auraient de plus été exposés à de très forts écarts de température (elle varie à Moscou de – 40 °C en hiver à 40 °C en été).
Il a donc été décidé de développer une solution pour une installation à l’intérieur de la façade, offrant un écran avec des points RGBW gérés individuellement, qui changent de couleur et d’intensité lumineuse, en dessinant des effets différents, en plus du logo de Transneft. Cette disposition a permis de réduire les coûts d’investissement et d’entretien et les difficultés d’installation. Le produit a été conçu pour pouvoir être fixé aux montants des volets roulants, en s’intégrant parfaitement aux composants en aluminium de la façade ; l’installation a été facilitée aussi par le câblage passant. L’appareil, de forme cylindrique, accueille un circuit LED RGBW, un driver DMX RCM et il consomme 5 W. Sur toute la façade, environ 3 600 « points » sont disposés selon une grille qui se resserre entre le 40e et le 47e étage pour faire apparaître le logo de la société Transneft. Sur chaque point arrivent le câble d’alimentation et le câble de gestion.
Le Driver DMX – RDM utilisé pour la gestion du changement de couleur est compatible avec le système de contrôle existant et a apporté de significatifs avantages dans la programmation et la gestion, grâce, par exemple, à l’auto-adressage de chaque appareil, en économisant le temps d’un adressage manuel qui, pour 3 600 points, aurait été considérable.
Retrouvez le dossier Lumières N°26 ici.