L’hôpital se numérise et devient très connecté, avec en parallèle une évolution rapide et conséquente des techniques opératoires. Dans ce contexte, comment garantir la continuité de service et de confort qui y est demandée ? Les normes ont-elles suivi ? L’IoT est-il présent ?
À l’ère de l’hôpital numérique, l’alimentation en électricité est clé, à tous les niveaux, car c’est le mode commun nécessaire à tous les services hospitaliers, et donc à leur continuité de service.
Fabrice Broutin, directeur Segment Santé de Schneider Electric France, souligne « qu’il faut donc tout d’abord sécuriser les process hospitaliers et en particulier ceux qui ne supportent aucune coupure, mais la sécurisation et la continuité de service peut aller jusqu’au parcours et confort du patient. C’était l’un des objectifs que nous avons poursuivis avec le projet de la polyclinique de Reims-Bezannes du groupe Courlancy Santé ».
Pour illustration, les chirurgiens et infirmières peuvent être alertés en temps réel et visualiser sur écran tactile toutes les remontées d’informations (surpressions, hygrométrie, température dans les blocs opératoires), mais également adapter le fonctionnement des salles selon le taux d’occupation (plein régime ou débit minimum).
Avec l’architecture en place, on concilie ainsi l’IoT et l’humain, car les conditions sont adaptées aux besoins du patient. On peut par exemple facilement augmenter la pression pour réaliser une opération en orthopédie, ou bien encore adapter la luminosité dans la chambre d’un patient en retour d’une opération de la cataracte. « Pathologie et domotique sont reliées pour gagner en confort pour les patients, et en efficacité et sécurité pour le personnel de l’hôpital qui, de fait, reste focalisé sur l’essentiel », résume Fabrice Broutin.
« Pour certains patients, l’usage de la commande vocale est aussi un véritable confort supplémentaire, par exemple pour régler son dossier de lit ou modifier les apports lumineux, la chambre s’adapte avec la voix en permanence à la pathologie du patient et à son ressenti de confort », illustre Régis Briat, responsable de la région Ouest pour Sauter Régulation France.
Les objets connectés, partie prenante de l’architecture, font donc gagner en efficacité, et « on peut clairement énoncer que le futur des structures de santé se dessine avec l’essor des solutions connectées », souligne Fabrice Broutin, de Schneider Electric.
Le prédictif peut être d’un grand secours
« Pour assurer la continuité de service, l’usage de services avancés de maintenance prédictive s’avère d’ores et déjà très efficace. Dès juin, les équipements moyenne tension et basse tension que propose Schneider Electric seront tous équipés de cellules connectables, devenant ainsi des objets connectés capables notamment de détecter un échauffement ou un bruit parasite sur un disjoncteur différentiel », explique Fabrice Broutin, de Schneider Electric. Ainsi, sur un équipement MT ou BT, les signaux principaux qui peuvent être les prémices d’un problème grave sont relevés, analysés, et les services experts le rapportent au client final pour déclenchement d’une action préventive. De façon similaire, la bonne tenue de la CVC ou des CTA connectées, au même titre que la continuité énergétique, pourra être analysée et permettre de traiter préventivement les anomalies.
Certifier la continuité de service des environnements opératoires ?
Aujourd’hui, on parle de certification en matière d’hébergement des données de santé. Les établissements vont devoir qualifier leurs environnements techniques de type « data center ». Compte tenu des enjeux, les informaticiens ont d’ores et déjà des règles sur lesquelles ils pourront s’appuyer avec les modèles de certification que sont les tiers de 1 à 4, définissant des taux de disponibilité de 99,67 % à 99,994 % des données.
« Alors, pourquoi ne pas effectuer une démarche de ce type en matière d’environnement opératoire et appréhender la complexité technique croissante en matière de continuité de service ? », explique Loïc Bardou, du CHU de Rennes. La salle d’opération de demain, souvent hybride et polyvalente, n’a et n’aura rien à voir avec la salle d’opération d’hier. Il serait nécessaire d’engager une réflexion avec tous les acteurs concernés pour modéliser les environnements, sans doute en fonction de la dépendance technique des actes pratiqués, mais aussi en fonction du fait qu’ils puissent être suspendus ou pas. Pour cela, la collaboration avec les personnels médicaux, de même que la mise en commun des bonnes pratiques et retours d’expérience, par régions par exemple, s’avèrent cruciaux.
« La certification participerait aussi à rendre les solutions reproductibles avec des modèles standards par process pour dimensionner la puissance électrique actuelle et future », ajoute l’expert. En effet, pourquoi réinventer une conception électrique de salle de réanimation ou encore de salles d’opération ?
Une bonne façon de réconcilier d’une part la logique comptable et financière à court terme, et d’autre part les solutions techniques garantissant la continuité de services et le maintien en état du patrimoine hospitalier.
Les industriels choisis sont aux petits soins de l’hôpital et… de façon durable
Les solutions techniques sont multiples et fiables mais il est nécessaire de garder une certaine cohérence dans les choix de rénovation et conception nouvelle. Pour exemple, les 130 cellules HT du CHU de Rennes ne peuvent pas être toutes différentes, et surtout ne doivent pas reposer sur des produits en version 1 ou « prototype », car « il faut aussi penser maintenance dès la conception et le choix des matériels », explique Loïc Bardou.
Et les fabricants sont à l’écoute des évolutions des besoins des structures hospitalières, et travaillent le plus souvent de façon proche, dans la durée, avec les équipes techniques en charge des installations.
« Ainsi, nous sommes présents depuis 25 ans dans plusieurs structures hospitalières, et encore tout récemment pour des réalisations de régulations et lots CVC dans différents établissements de santé, Polyclinique Reims-Bezannes, Hôpital privé de Provence, ou encore du nouvel hôpital de Belle-Île-en-Mer. Dans ce dernier, avec un contexte îlien, la fiabilité, la robustesse et la pérennité des produits installés ont été des critères très importants. La compatibilité ascendante est également un point impératif, que cela soit au niveau régulation ou supervision, l’équipe locale de Belle-Île devant pouvoir répondre en autonomie aux dépannages d’urgence, même si le site, qui est raccordé à l’hôpital de Vannes, peut aussi être supervisé à distance », souligne Régis Briat, de Sauter Régulation France.
Aider à capitaliser sur les expériences acquises est crucial face à la complexification des techniques médicales
Un partenariat avec les fabricants qui n’est pas toujours facile à établir et à faire perdurer « dans une logique achat où l’acheteur ne prend pas forcément toute la mesure des critères de choix technique d’un matériel jusqu’à sa maintenabilité ou son interchangeabilité », confie Loïc Bardou. Des points qui, pourtant, aident précieusement pour capitaliser sur les expériences acquises. En conception d’un nouveau bloc, on refait de nouvelles installations sans prendre en compte les retours d’expérience ou les contraintes fortes de maintenabilité. Et la maquette 3D est efficace mais ne résout pas tout. En exploitation, une simple microcoupure peut perturber un système entier. Pour exemple, « sur le système pneumatique du CHU qui fait circuler les cartouches de prélèvement entre les 64 gares des services de soins et des laboratoires d’analyse, nous avons dû revoir de façon rigoureuse les alimentations du système pour atteindre un taux de fiabilité acceptable ».
Il en est de même des évolutions : le corps médical est technico-dépendant, mais oublie presque la technique garante du bon fonctionnement de l’ensemble. « Décider de l’achat d’un robot d’opération en réalité augmentée, c’est très bien, encore faut-il s’assurer que la puissance est disponible dans la salle où l’on souhaitait l’installer », illustre Loïc Bardou. Avec une complexité croissante des techniques et équipements opératoires, des analyses de données, il est nécessaire d’avoir à la fois la solidité du réseau informatique, des matériels et systèmes d’information sécurisés et une infrastructure électrique correctement dimensionnée pour les besoins actuels et futurs. Tout cela implique collaboration, temps d’étude, et une gouvernance qui pousse en ce sens pour éviter toute fragilité de l’établissement de par une conception trop minimaliste.
La norme ne fait pas tout, la collaboration avec le personnel soignant est primordiale
La norme NFC 15-211 est un des éléments incontournables dans un contexte où « la vie peut dépendre de la prise de courant », comme le rappelle Loïc Bardou, du CHU de Rennes. Cette norme complète la norme NFC 15-100 avec notamment une protection renforcée contre le choc électrique pour les patients, face à un arrêt de l’alimentation électrique qui stopperait la poursuite des soins, ou bien face à un choc électrique lié à un dispositif médical ou un opérateur.
Elle a été révisée et publiée en 2017 et est applicable depuis mai 2018. La révision vise à l’alignement de la norme actuelle et de la norme internationale CEI HD 60364-7-710:2013. « Par exemple, les prises dédiées aux appareils de radiologie étaient déjà repérées ; avec la nouvelle version, ce repérage est étendu à d’autres circuits avec des usages bien identifiés, et donc avec des “continuités de service” différentes (prises PC sur réseau normal, PC sur onduleur) », illustre l’expert.
En plus de la sélectivité totale des protections, on peut citer les évolutions qui concernent le groupe 2 : introduction de la redondance des alimentations, de la continuité de service des locaux, de l’extension de l’alimentation de charges monophasées par un transformateur triphasé.
Un plan de masse fonctionnel et un tableau de synthèse définissant les mesures des protections contre les perturbations électromagnétiques à mettre en œuvre ont été également introduits.
Un chapitre relatif à la continuité de l’éclairage des locaux appartenant aux groupes 1 et 2 a été créé.
Concernant les sources de remplacement, des compléments d’information ont été apportés et l’on note l’apparition de 48 heures d’autonomie hors ASI.
Les risques CEM liés aux équipements sont également évoqués en termes de recommandations à suivre.
Pour le classement des locaux à usage médical, il est précisé que « la détermination du groupe et la classification des installations électriques des locaux à usage médical doivent être faites en accord avec le personnel médical et la (les) personne(s) responsable(s) de la sécurité médicale. Afin de déterminer le groupe d’un local à usage médical, il est nécessaire que le personnel médical indique les procédures médicales qui seront utilisées dans ce local ». À défaut, un tableau unique répartit ces locaux en groupes et en classes de disponibilité.
« Cette approche montre tout de même ses limites vis-à-vis de l’évolution constante des pratiques médicales et de leur technico-dépendance. Pour que l’hôpital reste à la hauteur de ses enjeux de continuité de service, la compétence et l’implication doivent être collectives et l’expertise électrique est insuffisante pour concevoir seule les services énergétiques des locaux et leurs évolutions dans le temps », conclut Loïc Bardou, du CHU de Rennes.
Jean-François Moreau