Rattrapé par ses objectifs sociaux, économiques et environnementaux, l’État français envisagerait de réduire le coefficient d’énergie primaire dans le bâtiment. En favorisant les énergies fossiles au détriment de l’électricité, ce ratio ralentit les efforts consentis pour une meilleure efficacité énergétique et la décarbonation de la planète.
Début avril 2019, une nouvelle a secoué le secteur du bâtiment : le Coefficient d’énergie primaire (CEP) pourrait être modifié pour la première fois depuis près de 50 ans ! Dans une note de cadrage adressée aux différents acteurs de l’énergie, la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat) propose en effet de réduire le CEP de 2,58 à 2,1. Inchangé depuis 1972, ce ratio est utilisé par l’ensemble des professionnels pour convertir les énergies secondaires (électricité d’origine renouvelable et non-renouvelable) en énergie primaire (charbon, gaz, fioul, etc.). Initialement, cette différence de traitement se justifie par les transformations opérées sur une source d’énergie brute pour produire une énergie finale directement utilisable par l’usager. Si l’explication semble valable, elle est depuis longtemps contestée par les industriels de l’électricité, et plus encore depuis l’application de la RT 2012. Mise en œuvre afin de limiter l’impact énergétique dans le bâti neuf, cette réglementation thermique impose un seuil de consommation d’énergie primaire de 50 kWh/m2/an dans les bâtiments résidentiels comme tertiaires. En appliquant le CEP de 2,58, les logements et locaux professionnels chauffés à l’électricité d’origine renouvelable (principalement hydraulique, solaire et éolien) ou non-renouvelable (essentiellement nucléaire) doivent donc consommer moins de 20 kWh/m2/an, contre 50 pour ceux chauffés à partir d’énergie primaire, et donc fossile.
Fossile vs. électricité : le paradoxe français dans le bâtiment
Problème : ces dernières, et surtout les chaudières à fioul, sont très énergivores et émettent beaucoup de CO2. À l’inverse, les dispositifs électriques, notamment les pompes à chaleur modernes, sont plus économes et rejettent beaucoup moins de CO2. En pleine période de transition énergétique, le gouvernement a fort à faire pour améliorer les résultats du bâtiment. Ce secteur est le principal consommateur d’énergie en France (44 %, selon le ministère de la Transition écologique et solidaire) et le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre du pays (19 %) derrière les transports et l’agriculture. Dans un premier temps, l’exécutif a déjà déclaré la guerre aux passoires énergétiques, qui concernent 5,5 millions de ménages français, et au chauffage au fioul, qui continuent d’équiper 20 % des foyers français. Avec un coefficient énergétique à leur avantage, les énergies primaires restent cependant privilégiées dans le bâtiment, malgré des dépenses de chauffage (+4,5 % en 2016 ; +13,25 % en 2017) et des émissions de CO2 (+11 % en 2016) qui ont explosé ces dernières années. Pour améliorer leurs bilans énergétiques et carbone, les nouvelles constructions ont pourtant logiquement intérêt à se tourner vers des dispositifs fonctionnant à l’électricité. Plus économiques, les systèmes de chauffage électrique comme les pompes à chaleur et radiateurs connectés présentent aussi l’avantage de fonctionner grâce à une électricité quasi-intégralement décarbonée. En effet, cette énergie provient essentiellement des centrales nucléaires (71 %), hydroélectriques (12,5), éoliennes (5,1 %) et solaires photovoltaïques (1,9 %). Et c’est précisément pour rétablir l’équilibre entre des énergies secondaires décarbonées et primaires hautement émettrices de CO2 que la DGEC a proposé d’abaisser le CEP à 2,1.
Brice Lalonde défend la baisse du CEP
Le nouveau ratio suggéré par la DGEC permettrait à la France d’être plus cohérente avec ses objectifs socio-économiques, en matière de lutte contre les passoires énergétiques et de mal-logement, mais aussi environnementaux, en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Quand on veut sortir des énergies fossiles, il est paradoxal de demander plus d’effort à l’électricité décarbonée produite sur le territoire national qu’aux énergies fossiles importées. C’est pourquoi, dans une logique aussi bien climatique d’économique, j’appelle à revoir le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire à la baisse », résume Brice Lalonde, président de l’association Équilibre des énergies. « Grâce à cette mesure, un ensemble de solutions propres et économes, allant de la pompe à chaleur aux radiateurs connectés et intelligents, seront davantage accessibles aux Français, leur permettant ainsi de se désintoxiquer des énergies fossiles, tout en participant à la réussite des objectifs climatiques. » Pour convaincre, l’ancien ministre de l’environnement illustre son propos de manière simplissime : « est-il logique de permettre à un logement trois fois plus émetteur de CO2 de pouvoir consommer deux fois plus ? », s’interroge-t-il dans une tribune publiée fin mars. Avant de souligner à quel point les réglementations sont favorables aux véhicules électriques mais pas à l’électricité dans les bâtiments… Pour l’ancien ministre de l’Environnement comme pour les acteurs de la filière électrique et renouvelable, la mise à jour du CEP est donc indispensable pour se protéger contre la flambée des prix de l’énergie sur le marché mondial, comme pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce qu’il ne mentionne pas, c’est qu’elle est également vitale d’un point de vue sanitaire. Chaque année, plus de 4,3 millions de personnes meurent dans le monde à cause de la pollution de l’air intérieur des habitats…