Depuis 2015, le constat est peu encourageant
Tout d’abord parce que le contexte réglementaire est fort peu contraignant et n’apparaît pas à la hauteur des enjeux de santé en conséquence pour les enfants.
« Est obligatoire la simple vérification des moyens d’aération – en particulier, est-ce que les fenêtres sont accessibles et manœuvrables – et de l’état des bouches de ventilation lorsqu’elles existent. Ensuite, un choix est proposé. Quatre formulaires sont à remplir respectivement par l’équipe pédagogique, le personnel d’entretien, l’équipe de gestion de l’établissement et par le personnel des services techniques. Ils visent à sensibiliser et établir un mini-diagnostic et incitent à des actions d’amélioration. Il n’y a alors aucune obligation d’entreprendre des mesures pour connaître la réelle qualité de l’air dans l’école. Si les grilles d’auto-diagnostic ne sont pas utilisées, des mesures de polluants doivent être réalisées », détaille le Dr Suzanne Déoux, fondatrice de Medieco et organisatrice du colloque « Défis Bâtiment Santé ». Une fois l’autoévaluation réalisée, il est alors possible d’apposer l’affiche indiquant « Action collective pour la qualité de l’air intérieur ». Sont concernés par ces dispositions les établissements d’accueil collectif en crèche et maternelle (25 000 environ) et les écoles élémentaires (38 000 environ). Ensuite, avant le 1er janvier 2020, ce sera le tour des accueils de loisirs (33 000) et des établissements d’enseignement ou de formation professionnelle du second degré (17 000), et avant le 1er janvier 2023, les autres établissements recevant du public (ERP).
« Par ailleurs, les maîtres d’ouvrage et décideurs ne sont pas toujours sensibilisés à la juste mesure des enjeux de santé pour les enfants ; certains pionniers ou volontaires avancent : pour exemple, la ville de Toulouse vient de signer la charte des villes qui s’engagent à réduire les perturbateurs endocriniens », illustre Suzanne Déoux.
« Citons également le Département de l’Isère, qui s’est doté d’un plan d’action à plusieurs niveaux.
– Tout d’abord, une campagne de mesure de qualité d’air intérieur dans plusieurs établissements, anciens ou nouveaux et avec ou sans système de ventilation, pour définir une cartographie de la situation.
– Puis une nouvelle campagne de mesure de qualité d’air pour tester les effets de différentes solutions de ventilation (naturelle, mécanique avec différents niveaux de débits).
– Et enfin, la conception d’un cahier des charges « type » afin de garantir une bonne qualité d’air pour les collèges du département basée sur une solution double-flux avec des débits à 20m3 par heure et par personne contre 18 m3 /h dans le RSDT (règlement sanitaire départemental type, ndlr) », ajoute Yves Bazin, responsable marketing solutions tertiaires chez Aldes.
« La bonne qualité d’air, on y va à petits pas, la prise de conscience de l’enjeu se fait très doucement et ce, également parce que les parents d’élèves sont encore peu sensibilisés », explique l’expert d’Aldes. À ce titre, la récente étude IGC-Harris Interactive sur la perception de la qualité d’air intérieur par les Français est révélatrice : 43 % des sondés n’ont jamais entendu parler des composants organiques volatils, les fameux « COV » et 63 % des Français considèrent que l’air intérieur de leur logement est « bon ». Une méconnaissance globale de la problématique qui n’incite pas les élus et maîtres d’ouvrage à aller plus loin que l’apposition de la « QAI surveillée ».
Pourtant, hormis les COV qui ont des conséquences sur la santé – certains étant classés irritants, voire cancérigènes –, l’autre point important est le taux de CO2, qui, généralement à partir de 1 300 ppm, entraîne peu à peu perte de concentration, fatigue et augmente les problèmes d’asthme chez les enfants. « Et 15 % d’écart de performances sur un cycle scolaire de 6 ans, c’est pratiquement une année scolaire de perdue », insiste Yves Bazin.
De l’importance d’une bonne conception et… d’une bonne mise en œuvre
« Pour la réglementation pour le neuf, la profession considère que la QAI est plutôt absente du débat sur la RE 2020. Nous faisons en sorte que cet élément déterminant pour la santé des occupants puisse être pris en compte, mais sans aucune garantie malheureusement, pour le moment, explique Yves Bazin. Il est pourtant essentiel que, dès la conception, les réseaux de ventilation soient correctement dimensionnés et surtout, que les débits soient suffisants et supérieurs aux valeurs réglementaires. Pour la conception, les bureaux d’études et les clients des distributeurs peuvent notamment s’appuyer sur une nouvelle version du logiciel Conceptor que nous mettons à disposition et qui permet, à partir d’un plan 2D simple, de positionner les diffuseurs aux bons endroits, de calculer les débits et pertes de charge. Dans le contexte du petit tertiaire et des écoles, c’est un point important pour aider la filière à se professionnaliser », souligne Yves Bazin d’Aldes.
« Mais les problèmes trouvent aussi leur source, non pas dans des dysfonctionnements des systèmes aérauliques, mais dans des problèmes de chantier, avec de mauvaises mises en œuvre, ou encore avec l’usage de produits inadaptés », ajoute Suzanne Déoux. « Nous sommes intervenus trois ans après la livraison d’un bâtiment scolaire car il y régnait, au niveau de la cuisine, de fortes odeurs de pétrole. Après carottage du sol, il a été mis en évidence que le primaire qui a servi à coller la membrane d’étanchéité sous le carrelage de la cuisine dégageait des concentrations très élevées de nombreux hydrocarbures aromatiques neurotoxiques. Il a donc été nécessaire de casser le carrelage pour refaire l’étanchéité, tout simplement parce que le primaire utilisé n’était pas un primaire en phase aqueuse et que l’entreprise sous-traitante avait utilisé le même produit que pour la réalisation du lot étanchéité du toit terrasse en extérieur. Un bilan lourd de conséquences avec près de 500 k€ de coûts d’expertise et de travaux, bilan qui aurait pu être évité avec un CCTP (cahier des clauses techniques particulières) plus précis et une entreprise plus experte au niveau du lot étanchéité », conclut l’experte.
Les solutions
Selon l’Ademe, seulement 50 % des crèches sont équipées d’un système de ventilation et 15 % des écoles en sont équipées… partiellement.
« La problématique d’équipement en rénovation est donc majeure, et, pour avoir une bonne qualité de l’air intérieur, deux familles de solutions sont possibles, explique Yves Bazin de Aldes. Soit des solutions de ventilation mécanique simple flux pour assurer un renouvellement d’air suffisant, quand on en a besoin, c’est-à-dire avec un pilotage intelligent en fonction de l’occupation, des activités et de la teneur en CO2 par exemple, et surtout avec des débits d’air conséquents. Nous préconisons des débits de 25 m3/h au lieu de 18 dans la plupart des projets de grosse rénovation d’école. Soit des systèmes de ventilation mécanique double-flux, centralisés quand cela est possible. En rénovation, les solutions locales, classe par classe, sont plus faciles à mettre en œuvre, notamment au niveau des réseaux et des exigences coupe-feu ; elles sont pilotées le plus souvent en fonction de la température, de la teneur en CO2 et éventuellement des COV. »
« En outre, il est possible d’avoir une complémentarité entre ventilation mécanique et renouvellement d’air par les ouvrants, ajoute Suzanne Déoux et c’est ce qui avait été démontré lors de la dernière édition des Défis Bâtiment Santé où avait été présentée une réalisation mixant ventilation mécanique double-flux et aération par les ouvrants avec une modulation en fonction de la présence. »
L’efficacité de la filtration est aussi un facteur important et un vrai plus de la ventilation double-flux, et le niveau de filtration de l’entrée d’air neuf doit être adapté en fonction du contexte de pollution extérieure. Plus on filtre finement, plus il y aura de pertes de charge et plus la consommation des auxiliaires de ventilation sera importante. En général, sur les entrées d’air, il faut au minimum un filtre, anciennement F7, la haute filtration en entrée n’est pas toujours utile et entraîne des coûts d’exploitation et de maintenance non négligeables qu’il est nécessaire de bien évaluer.
Une offre de capteurs QAI étoffée On assiste à une multiplication des offres des fabricants pour des capteurs de qualité de l’air, avec des principes différents de mesures, et ciblés ou non sur la détection d’un ou plusieurs polluants. « La QAI devient progressivement, surtout pour le tertiaire, un élément à part entière du confort de l’occupant, au même titre que la gestion de l’éclairage ou du déclenchement ad hoc du chauffage. Nous sommes en cours de développement et commercialisation d’un capteur multimodes qui pourra « évaluer » les taux de COV, la température et le taux d’humidité. Le tout dans un boîtier carré au format d’un interrupteur mural, avec « des indicateurs LED » de couleur en fonction du mode et des dépassements de seuils. Le capteur sera interopérable dans un réseau KNX », détaille Anouvong, technicien chez B.E.G. France.
Il ne manque donc que les finances pour que la préoccupation de la QAI dans les écoles soit appréhendée dans son entièreté et à sa juste priorité. Pour cela, la sensibilisation croissante des parents d’élèves devrait aider élus et décisionnaires à prendre les bonnes dispositions et donner… un nouveau souffle à la QAI. « Mais il serait cependant souhaitable que des campagnes de mesures soient engagées, notamment pour la petite enfance, et que les systèmes de renouvellement d’air soient mis en place au plus vite là où aucune solution n’existe, car la santé des enfants n’est pas une option qui viendrait après l’efficacité énergétique ou environnementale du bâtiment », insiste Suzanne Déoux.
Une école neuve et exempl’« air » – l’école des Boutours
Mathieu Le Bourhis, ville de Rosny-sous-Bois.
Sur ce projet, la qualité de l’air a été travaillée sur deux grands axes.
– Par la recherche de matériaux en contact avec l’air intérieur les plus sains et les plus naturels possible (linoléum au sol, enduits terre, peinture biologique).
– Par un système de ventilation naturelle, actionné autant que possible par les adultes travaillant à l’école, et dimensionné de manière à maintenir des bas niveaux de concentration en C02.
L’installation de la ventilation naturelle a été conçue sur un débit cible de 25 m3/h/pers. Elle est régulée au moyen de registres qui peuvent neutraliser à la fois les deux réseaux, soufflage et extraction d’air. Ils sont asservis à une sonde C02 dans chaque espace de l’école qui possède son propre réseau de ventilation.
« Sur l’ensemble du projet de l’école, plusieurs tours à vent assurent l’extraction ; elles s’élèvent de 5,8 mètres au-dessus du faîtage afin de générer le tirage thermique nécessaire », explique Mathieu Le Bourhis.
La simulation thermique dynamique a permis de valider la pertinence du dispositif de ventilation naturelle, en corrélation avec les besoins de chauffage, et d’évaluer le comportement du bâtiment, en période estivale et mi-saison, notamment vis-à-vis des surchauffes.
Avec les premières analyses du fonctionnement de l’installation en milieu occupé, on constate que les concentrations de CO2 dans les classes analysées restent maîtrisées.
Avis d’expert : « C’est le tertiaire qui tire l’exigence de QAI, les établissements scolaires sont trop peu mobilisés »
Dov Barcessat, dirigeant de NOAL Mesure et Contrôle
La demande sur la QAI vient principalement des exploitants. Concernant les établissements scolaires, ce qui freine clairement, ce sont les budgets nécessaires à la prestation de mesure et aux éventuelles solutions à mettre en place. Dans les bâtiments tertiaires, nous avons une très forte demande, en croissance, car il y a une vraie prise de conscience de la part des maîtres d’ouvrage qui souhaitent garantir un air sain à leurs clients. Ce point est désormais bien intégré pour le confort global d’usage du bâtiment.
Le temps d’intervention pour les mesures est variable selon le nombre de points de prélèvements : il faut compter en moyenne 15 minutes par points de prélèvement et les durées d’intervention varient de ½ journée à 2 jours. En complément, il est aussi possible d’effectuer des inspections visuelles avec un robot muni d’une caméra sur les canalisations du réseau aéraulique, éventuellement avec un générateur de fumée, pour déterminer les fuites dans les réseaux.
Sur des réseaux existants et pour améliorer la QAI, nous avons préconisé par exemple la pose de capteurs de CO2 dans chaque salle de classe ; en fonction des taux de CO2 émis par les élèves, une boîte à débit variable s’ouvre pour augmenter le débit d’air neuf dans la salle. La CTA (Centrale de traitement de l’air) posée en ce cas est une CTA simple flux avec batterie chaude, ce qui a permis de diminuer et bien limiter le taux de CO2 dans les classes en fonction des occupations et activités, tout en maintenant le confort d’occupation.
Jean-François Moreau