Quelles sont vos missions ?
Richard Dujardin – Transdev est tout d’abord un intégrateur de mobilités. En d’autres termes, nous favorisons l’usage des différents modes de transport, que nous en soyons ou non l’exploitant. Au-delà du « mass transit » (transports en commun),, notre mission est d’intégrer les populations en apportant des solutions de MaaS (Mobility as a Service), notamment destinées aux habitants des zones périurbaines ou peu denses. Nous sommes actuellement très actifs sur l’élaboration de la loi mobilités, qui devrait être votée dans les semaines à venir. Le digital va nous permettre de proposer des solutions pour l’inclusion des populations par les transports. En zones peu denses, il est difficile de déployer des solutions de mobilité classiques, en raison du coût et du nombre trop faible de passagers. Le transport à la demande ou le covoiturage sont des solutions, et elles deviennent possibles avec le digital. Nous devons proposer une palette de solutions pour que la mobilité de porte à porte soit possible, pour servir cette cause majeure qu’est l’inclusion, notamment pour l’accès à l’emploi dans certaines régions.
Quelles sont les actions de Transdev en faveur de la mobilité « durable » ?
R. D. – Aujourd’hui, nous considérons que les transports publics représentent déjà un mode de mobilité durable. Sans opposer les modes de transports, l’autosoliste est bien plus polluant que n’importe quel mode de transport collectif. En allant plus loin dans ce raisonnement, dès qu’il y a plus d’une personne dans une voiture, on peut commencer à parler de mobilité durable. Il est notamment admis que si l’on parvenait à 1,8 automobiliste par voiture en Île-de-France en moyenne, cela suffirait à décongestionner la circulation dans la région et à réduire les émissions de particules et de gaz à effet de serre. Un car ou un bus rempli, même s’il roule au diesel, est beaucoup moins nocif pour l’environnement que l’équivalent en automobiles. L’objectif commun est donc de mieux utiliser les vecteurs de déplacement. Nous nous attachons chez Transdev à proposer des modes de mobilité durables. À ce titre, nous suivons de très près les changements apportés par la transition énergétique, liés notamment aux sources énergétiques. Le GNV (gaz naturel pour véhicules), les biocarburants, biogaz et l’énergie électrique, soit en solution batterie, soit en solution hybride batterie et hydrogène, constituent pour nous de réelles opportunités.
Votre flotte électrique compte aujourd’hui 400 bus en Europe. Quelles sont les contraintes de la gestion d’une flotte de bus électriques ?
R. D. – Aujourd’hui, nos plus larges flottes électriques sont aux Pays-Bas, avec deux contrats qui ont démarré, l’un en 2016 et l’autre cette année. Ils portent sur 43 bus articulés électriques à Eindhoven et 100 bus articulés électriques à Schiphol. Il s’agit de nos deux plus grosses références en flottes électriques, pour lesquelles nous avons opté pour des solutions différentes. Dans le cas d’Eindhoven, le système de recharge choisi combine des charges lentes la nuit et une partie en charge rapide le matin, au dépôt. À Schiphol, nous avons opté pour une solution différente, avec une charge lente la nuit et des charges rapides en cours de parcours. Des stations intermédiaires permettent, en fonction du temps de déplacement du bus, une recharge sur 10, 20 ou 30 minutes. À chaque nouveau projet, il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des paramètres, que ce soit les distances parcourues, les gradients, les variations climatiques, ainsi que la capacité de stockage des batteries, qui occupent de la place. Nous avons développé une boîte à outils qui, en fonction des différents paramètres, propose diverses solutions. Pour citer d’autres exemples en France, en 2019 sera lancé un BHNS (Bus à haut niveau de service) double articulé à Nantes, avec une charge rapide en bout de ligne. Autre référence toute récente, à Vichy, nous avons démarré en octobre quatre bus électriques de 12 mètres. Enfin, dernier démarrage structurant, un BHNS sur le territoire de Valence Romans avec 12 véhicules de 12 mètres, prévu pour le printemps prochain.
Avez-vous mis en place des solutions de gestion précises ?
R. D. – Ces solutions nécessitent aujourd’hui beaucoup d’ingénierie, que ce soit lors de la phase de définition des besoins ou celle d’installation. L’arrivée des flottes électriques complexifie notre métier. Avant, nous planifiions l’utilisation des véhicules et des conducteurs, aujourd’hui, nous devons planifier les véhicules, les conducteurs, mais aussi la recharge. Nous nous chargeons nous-mêmes de cette gestion, car nous travaillons avec un large éventail de fournisseurs, que nous sollicitons en fonction de nos besoins. Nous sommes seuls en charge de l’ingénierie autour de l’exploitation de nos flottes électriques et le design de la solution a été développé en interne.
Quel est le potentiel des bus électriques ? S’agit-il d’une réelle avancée ou d’une phase de transition vers d’autres technologies ?
R. D. – Il s’agit pour nous d’une avancée, car la mobilité électrique apporte un réel confort, notamment pour les passagers : la conduite est plus souple et il y a moins de bruit. La technologie de la batterie évolue très vite et nous suivons ces évolutions. Aujourd’hui, l’électrique est pertinent pour le bus, mais ne l’est pas pour le car. L’autonomie est en effet un facteur bloquant, même si certaines solutions permettent d’atteindre les 250 km. D’autre part, l’infrastructure représente un réel investissement car il faut équiper les dépôts en IRVE (Infrastructure de recharge de véhicule électrique) et, le cas échéant, ajouter des recharges sur le trajet. De ce point de vue, l’hydrogène a cet avantage de pourvoir à cette problématique d’autonomie, même si ses rendements énergétiques sont bien moindres et qu’il s’avère compliqué à produire. À terme, pourquoi ne pas imaginer une solution hybride utilisant de l’hydrogène et de l’électricité ? Il est encore trop tôt pour définir la solution idéale. Si l’hydrogène se développe, il faudra penser au recyclage ou au réemploi des batteries. Aucune filière structurée n’existe aujourd’hui pour assurer leur recyclage.
Selon vous, quelle technologie offre le potentiel le plus intéressant pour le transport en bus ?
R. D. – Pour le bus, l’électrique offre un réel potentiel. Dans un contexte de recherche et d’expérimentation des producteurs d’énergie, nous-mêmes testons différentes solutions qui méritent du temps pour en tirer des conclusions. Ce qui est intéressant aujourd’hui est que des collectivités se lancent dans des expérimentations. Nous parlions d’hydrogène tout à l’heure : nous allons démarrer en 2019, avec le syndicat en charge des transports publics de Lens-Liévin, qui compte environ 650 000 habitants, six bus à hydrogène dans le cadre d’une expérimentation. À l’issue de ce projet, nous disposerons d’un retour d’expérience, ce qui permettra ou non de lancer d’autres projets de ce type. Pour le moment, cette technologie est très onéreuse, chaque unité coûte trois à quatre fois le prix d’un bus classique. Mais il est essentiel d’essayer ces nouvelles mobilités. Pour revenir à l’électricité, nos solutions se positionnent en aval de la chaîne, et il est important de regarder ce qui se passe en amont. Aux Pays-Bas, il y a une forte volonté de créer un transport public à zéro émission. Tout le chantier consiste à repenser leur politique énergétique, car dans ce pays, 91 % de l’électricité vient du charbon et du gaz, contrairement à la France où elle provient en grande partie du nucléaire. C’est une bonne chose de faire rouler des bus à l’électricité, mais si en amont cela induit des émissions de carbone, l’aspect décarboné du mode de propulsion électrique est peu convaincant. Nous avons beaucoup parlé de l’énergie électrique, mais il faut également regarder du côté des biogaz, qui permettent de réduire les émissions de particules et de CO2. La motorisation biogaz existe, mais le problème en France vient de la ressource en elle-même, produite en faible quantité.
À qui revient la surcharge financière de ce type de projet ?
R. D. – En France le plus souvent, ce sont les collectivités locales qui financent les lignes et le matériel roulant. À l’inverse, aux Pays-Bas, nous avons financé les immenses flottes de bus électriques dont je vous parlais tout à l’heure. Le mode de financement dépend vraiment d’un pays à l’autre, mais aussi d’une collectivité à l’autre. En France, certaines collectivités nous demandent de financer.
Le gouvernement présentera prochainement son plan d’investissement dans les transports. Quelles devront en être les grandes lignes selon vous ?
R. D. – Tout d’abord, l’approche pluriannuelle de ce plan est une bonne chose. Nous avons eu trop souvent des mesures court-termistes ; proposer un plan de mesures décennales est nouveau et donne de la perspective. Le choix de se tourner vers la mobilité du quotidien est essentiel et met au centre le point de vue de l’utilisateur. Enfin, le volet de l’allocation des moyens reste sujet à débats. En tout état de cause, le simple fait de créer une feuille de route est une démarche très intéressante, nous attirons juste l’attention sur l’importance de ne pas opposer les modes de transport entre eux.
En tant que régie de transports présente dans de nombreuses villes, de quelle manière Transdev prend part aux projets de villes intelligentes ?
R. D. – Nous ne sommes pas une régie de transport. Une régie est exploitée par des employés du service public. Une régie est un mode de gestion. Transdev exploite des délégations de services publics. Nous sommes donc un opérateur privé et suite à un appel d’offres, les collectivités locales nous confient l’exploitation de leur service public de mobilité. Dans le jargon européen, cela s’appelle une concession.
Dans les villes intelligentes, le transport et les mobilités comptent parmi les grandes priorités. Sur le plateau de Saclay, nous lançons un projet pilote avec Renault, dans lequel nous compléterons le service actuel de mobilité. Après les heures de service, les bus seront remplacés par des navettes autonomes entre la gare RER et le plateau. Plus globalement, concernant les villes intelligentes, je vous invite à aller voir ce que nous venons de lancer à Mulhouse : un compte mobilité où, via smartphone, les habitants peuvent réserver une place de parking, louer un vélo, utiliser le transport public ou avoir recours à l’autopartage. Ils peuvent ensuite suivre leur budget transport sur leur smartphone et reçoivent leur facture à la fin du mois. Transdev dispose de l’ensemble des moyens technologiques pour proposer ce type de solutions aux collectivités qui en sont demandeuses. Ce choix leur appartient en tant qu’autorités organisatrices. Nous proposons également, plus en amont, des applications de calcul d’itinéraires. En Île-de-France, nous avons un très gros projet de recherche, qui a reçu des fonds de l’Ademe et de l’Europe. Ce projet, baptisé M2i (Mobilité intégrée en Île-de-France), représente 13 millions d’euros, dont nous finançons la moitié. Tous modes confondus, y compris la voiture individuelle, l’objectif est de proposer un calcul d’itinéraire. Il s’agira d’un GPS multimodal prédictif pour le client voyageur. Ce dernier sera informé du mode de transport le plus rapide et de l’endroit où il peut déposer sa voiture pour prendre les transports en cas de bouchons, par exemple. Ce calcul d’itinéraire prédictif permet de quantifier les flux tous modes. Cet outil apportera une connaissance en temps réel des flux et permettra à Île-de-France Mobilités de prévoir à terme où placer ses investissements et d’identifier ses besoins en infrastructures. Enfin, pour les opérateurs, cet outil permettra d’adapter le réseau en temps réel, en cas d’accident ou de panne de transports, et de proposer des bus de remplacement, par exemple. À l’échelle d’un grand bassin, on a aujourd’hui les moyens de prévoir l’évolution des flux pour l’usager, pour la collectivité et pour l’exploitant.
La voiture individuelle est encore le moyen de transport le plus largement utilisé en France. De quelle manière Transdev tente d’inverser la tendance ?
R. D. – Il est important de ne pas opposer les modes de transport. En zones peu denses, la voiture restera longtemps la solution. L’idée est de lutter contre l’autosolisme avant tout et il faut pour cela trouver des modèles comme le covoiturage ou l’autopartage pour faire reculer cette tendance. Il faut raisonner de façon multimodale et intermodale et pouvoir proposer des alternatives ou des compléments via des cheminements. Changer de mode n’est pas confortable pour l’usager, mais il est nécessaire de trouver des solutions pour enrayer l’autosolisme. Cela passe par des solutions digitales, pour mettre en contact des personnes pour le covoiturage, et cela passe également par des mesures incitatives : lignes dédiées pour les covoitureurs, parcs de stationnement réservés aux covoitureurs… Augmenter le nombre de personnes à bord des voitures est un enjeu sociétal, et collectivement, il nous revient de trouver des solutions. L’erreur commise ces dernières années a été de parler des « méchants automobilistes », alors que souvent, les personnes concernées n’ont pas d’autre choix. L’objectif est de réduire le volume global en intégrant l’ensemble des mobilités via une meilleure utilisation des modes de transport.
Transdev intervient-il sur les sujets liés à la mobilité autonome ?
R. D. – Au sein de Transdev, une direction est dédiée au véhicule autonome. Nous croyons vraiment en ce nouveau mode de transport, notamment pour effectuer le premier et le dernier kilomètre. La solution choisie sur le plateau de Saclay consiste à proposer les véhicules autonomes en fin de journée, lorsque l’offre de service traditionnelle est close. Un autre projet, développé avec la métropole de Rouen, a pour objectif de déployer, sur une zone universitaire peu dense, au bout d’une ligne de tramway structurante, un système de transport par véhicules autonomes. Nous testons actuellement, en partenariat avec Renault, quatre Zoe électriques en trafic ouvert. Deux d’entre elles sont équipées du système autonome de Renault, les deux autres de notre propre système d’autonomie. Ce projet consiste en des boucles qui desservent les différents sites et nous allons agrandir la boucle au fur et à mesure des retours d’expériences. Aujourd’hui, la plupart des navettes vont de 10 à 15 km/h, ce qui n’est pas assez rapide pour du transport public. Pour augmenter ces vitesses commerciales et atteindre les 30 à 50 km/h, nous allons installer des capteurs sur des parties d’infrastructures afin d’augmenter la visibilité du véhicule. Nous allons également introduire, en début d’année prochaine, une navette que nous développons conjointement avec l’industriel Lohr, auquel nous apportons notre savoir-faire en termes d’autonomie. Cette navette sera déployée à Saclay, ainsi qu’à Rouen. Chez Transdev, nous pilotons les transports publics depuis un poste de commande central (PCC) et les véhicules autonomes seront également raccordés à ce PCC pour des aspects sécuritaires. Nous investissons de manière conséquente dans l’autonomie, car nous croyons réellement qu’elle deviendra une composante de la mobilité. Pour ce qui est de l’échéance, c’est difficile de se prononcer aujourd’hui, mais nous tablons sur environ cinq ans. Le sujet évolue rapidement, notamment en sites dédiés et pourra prendre un peu plus de temps dans le trafic. Une autre dimension que nous testons est l’acceptation des personnes à n avoir ni conducteur ni volant. À 10 km/h, ce n’est pas un problème, mais lorsque l’on atteint les 30 ou 50 km/h dans la circulation, il y a un facteur fort d’acceptation en jeu. Nous allons donc tester la réaction des usagers à monter dans un véhicule de ce genre, même si un opérateur sera présent à bord, comme la législation l’impose. La dimension humaine dans ce type de projet est très intéressante.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de Transdev ?
R. D. – Transdev est une filiale du groupe Caisse des Dépôts qui a à cœur de promouvoir l’intérêt général, et notre appartenance au groupe nous incite encore davantage dans ce sens. Notre mission est de participer à l’inclusion des populations et pour cela, nous faisons appel à tous les leviers technologiques et de bon sens possibles. Je citerai pour exemple un projet pilote que nous développons dans les Hauts-de-France, du côté de Fourmies, où nous sommes partenaires d’un projet visant à redynamiser ce territoire pour redonner l’accès à l’emploi. Ce pilote est matérialisé par une plateforme numérique qui propose des solutions de transport à la demande ainsi que des cartographies sur lesquelles sont répertoriées les agences Pôle emploi et Proch’emploi, ainsi que les offres d’emploi. En parallèle, d’autres services vont venir se greffer : le service d’autopartage de la Région Hauts-de-France, ou encore des véhicules à assistance électrique… Tous ces moyens seront intégrés à notre plateforme pour être proposés aux personnes désireuses d’accéder à l’emploi. Nous souhaitons également proposer des Maisons de la Mobilité ainsi que du coaching de mobilité, afin d’accompagner les personnes dans leurs déplacements. Il s’agit d’une belle illustration de ce que nous pouvons faire localement.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le plan « Moving you », lancé par Transdev ?
R. D. – Ce qui nous différencie de nos concurrents est notre aspect intégrateur de mobilités. Nous avons changé notre slogan qui est maintenant : « Transdev, the mobility company ». Notre signature est l’acronyme PACE : Personnaliser, Autonome, Connecté et Écologie. Personnaliser, c’est proposer des solutions porte à porte, autonome c’est ce dont nous avons parlé précédemment, connecté, c’est présenter des solutions digitales et MaaS (Mobility as a Service) ; enfin, écologie pour migrer vers des solutions les plus propres possible.
À titre personnel, depuis que vous êtes à la tête de Transdev, quelles ont été vos plus grandes satisfactions et fiertés ?
R. D. – Je suis à la tête de Transdev France depuis deux ans maintenant. J’ai vécu ma plus grande fierté quand j’ai débuté dans le transport. J’étais en Irlande en 2001 et j’ai participé à l’appel d’offres pour le tramway de Dublin. On m’a finalement confié la responsabilité de lancer ce tramway, de la mise en service au démarrage de l’exploitation. Entre 2002 et 2004, nous étions dans la phase de mobilisation, qui consistait à former les conducteurs, s’assurer que les infrastructures étaient sûres… En juillet 2004, juste après avoir démarré la première ligne de tramway, le manager d’un centre commercial du centre de Dublin m’a dit « Richard, c’est extraordinaire, c’est Noël en juillet ». Ce qu’il voulait dire par là, c’est que sa fréquentation avait tellement augmenté qu’il était à des niveaux comparables à ceux de Noël et ce, grâce au tramway. Ce dernier a permis de revitaliser le centre-ville de Dublin, et c’est vraiment ce que nous apportons aux zones denses : donner la possibilité aux personnes de se déplacer. Je venais initialement de l’industrie de l’eau et j’ai mesuré à cette occasion-là l’impact positif d’un tel projet sur les populations.
Propos recueillis par Alexandre Arène