ABB innove sans cesse dans les domaines du bâtiment connecté et économe et cette année 2017/2018 en est le parfait exemple avec la sortie d’Aïron, ABB Ability, doControl, doGate… Pouvez-vous nous en dire davantage sur la stratégie d’ABB sur le développement d’offres connectées ?
Jacques Mulbert – Dans notre vie quotidienne, les offres connectées sont partout. Cela pousse les acteurs professionnels à appréhender les enjeux du numérique pour leurs activités. Chez ABB, nous avons lancé une stratégie digitale fin 2016, dont l’objet est de présenter des solutions performantes qui tirent parti de la digitalisation. Notre offre connectée, baptisée ABB Ability, concerne donc le bâtiment, l’industrie, le transport et les infrastructures. Nous avons aujourd’hui entre un et deux ans de recul sur cette offre digitale, cohérente et multi-secteur, qui part du capteur pour aller jusqu’à la solution. Nous disposons d’un portefeuille compris entre 220 et 250 solutions digitales, le tout regroupé sur la plateforme digitale ABB Ability. Cette solution, entièrement ouverte, se base sur des équipements et des savoir-faire fondamentaux d’ABB, ainsi que sur un écosystème de partenaires : ABB Ability s’appuie sur Microsoft Azur, fait appel aux compétences d’IBM pour le volet intelligence artificielle et d’HPE pour les solutions Edge. Dans le secteur du bâtiment, trois solutions phares ont été lancées cette année pour étoffer nos offres connectées : le système Room Control Aïron KNX permet une gestion individualisée de la climatisation, du chauffage, de la ventilation, des stores ou encore de l’éclairage ; la solution doControl associée à la suite logicielle LEO permet de suivre les consommations énergétiques en mesurant, comparant et affichant les tendances de consommation ; enfin, la solution doGate est un serveur d’automatisation qui intègre toutes les interfaces physiques nécessaires, avec des fonctions de sauvegarde et de commande à distance. Adossée au logiciel de gestion doMoov, cette solution permet de créer de l’interopérabilité avec les autres protocoles pour la gestion du bâtiment. Aujourd’hui, nous avons la volonté d’accélérer nos développements digitaux tout en nous appuyant sur les expertises métiers d’ABB pour aider nos clients à « savoir plus, faire plus et faire mieux » avec nous.
ABB a sorti cette année UserX, application de « Building as a Service » pour les occupants des bâtiments tertiaires. En quoi cette offre s’intègre-t-elle à cette stratégie de création d’offres connectées et en quoi ce service représente-t-il un pas de plus ?
J. M. – Dans le domaine du bâtiment, nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme. Ce qui devient le plus important dans un bâtiment, ce sont les services proposés aux occupants, aux exploitants, aux gestionnaires. Auparavant, la loi qui s’appliquait était celle des « 3 L » (le lieu, le lieu et le lieu). Aujourd’hui, le bâtiment s’inscrit dans une économie de la fonctionnalité et les offres doivent prendre en compte le confort des usagers et la valorisation des actifs immobiliers. Pour ce faire, nous devons développer des infrastructures performantes auxquelles nous ajoutons des couches informatiques. En décembre 2017, sur le SIMI (Salon de l’immobilier d’entreprise), nous avons lancé la solution UserX. Elle s’appuie sur une infrastructure logicielle robuste sur laquelle un ensemble de services viennent s’ajouter. UserX est ouvert et ne repose donc pas sur un protocole propriétaire. Nos partenaires ou des startups tierces peuvent donc s’y connecter et développer de nouveaux services, permettant ainsi d’améliorer l’expérience utilisateur au sein des bâtiments. Nous avons mis en œuvre cette solution dans notre nouveau bâtiment de Beynost, inauguré en juin dernier, et nous la mettons en place dans d’autres bâtiments pour le compte de nos clients. En dehors du domaine du bâtiment, très en avance sur les sujets liés à digitalisation, tous nos clients, quel que soit leur domaine d’activité, montrent un intérêt certain pour ces nouvelles façons de faire, mais leur premier argument ne découle souvent pas d’une stratégie digitale formalisée, mais d’une volonté de ne surtout pas manquer ce virage. Seuls certains grands groupes ont mis en place une stratégie digitale. Pour les autres, notre objectif est de les accompagner dans la formalisation de cette stratégie et la mise en œuvre des solutions.
Selon vous, où en sont le bâtiment et l’industrie sur le chemin du tout-connecté ?
J. M. – Il faut regarder la situation un peu différemment pour ces deux domaines. Dans le bâtiment, l’année 2018 est celle de la prise en compte des enjeux du digital par l’ensemble de la filière. Fin 2017, une charte d’engagement volontaire « bâtiments connectés, bâtiments solidaires et humains », émanant de l’État, a été signée par la plupart des acteurs du bâtiment. Qu’il s’agisse du cadre normatif ou législatif, ce mouvement est irréversible dans le bâtiment. D’autant que les services proposés, étant actifs, peuvent s’appliquer à l’existant. Dans les domaines de l’industrie et des infrastructures, les acteurs doivent encore bien comprendre les opportunités apportées par le numérique, mais la porte est ouverte. Ces évolutions sont donc moins rapides dans ces domaines. D’autant que le numérique facilite la mise en œuvre de nouveaux usages, comme l’électrification des transports, la digitalisation du réseau électrique et l’impact de ces nouveaux usages sur les réseaux. Selon une statistique de l’INSEE, 8 % des entreprises industrielles analysent aujourd’hui des volumes importants de données et environ 50 % des PME ressentent que le numérique impactera leur activité dans les cinq années à venir. Encore une fois, à l’exception des grands groupes, peu d’entreprises ont réfléchi à leur roadmap digitale.
Quel est selon vous l’avenir des solutions connectées dans le bâtiment ? Comment imaginez-vous le Smart Building dans dix ans ?
J. M. – Nous voyons apparaître aujourd’hui quelques exemples prémonitoires. En tout état de cause, dans dix ans les bâtiments devront être efficaces, au plan actif comme passif, économes énergétiquement, voire autosuffisants grâce à l’intégration de sources d’énergie renouvelables, et ils devront également apporter des services à leurs usagers en créant une véritable expérience utilisateur. Enfin, ils devront être conçus en se basant sur la fonctionnalité et non plus sur le poste de travail, comme c’est le cas aujourd’hui. Pour vous donner un exemple, nous avons travaillé sur le premier bâtiment collectif non connecté, situé à Brütten, en Suisse. Ce bâtiment résidentiel, sorti de terre il y a 18 mois, accueille neuf familles. Il a été conçu selon une architecture spécifique, adaptée à son environnement et à ses usagers, utilise des matériaux efficaces, des solutions de gestion active et de stockage de l’énergie. Ce bâtiment est entièrement autosuffisant et n’est pas connecté aux réseaux énergétiques. Cet exemple est symptomatique et préfigure le bâtiment de demain. Dans les pays les plus évolués sur le plan environnemental, tous ces aspects sont d’ores et déjà inscrits dans les cahiers des charges.
Ces offres connectées font-elles d’ores et déjà partie de vos best-sellers 2017/2018 ou la filière électrique et le bâtiment manquent-ils encore un peu de maturité ?
J. M. – Encore une fois, il est important de faire la part des choses entre le bâtiment et les autres domaines. Le bâtiment est très en avance et peu de projets actuels ne font pas appel à la connectivité. Par exemple, nous participons actuellement à une expérimentation de douze sites pilotes pour le label R2S (Ready 2 Service) dans le cadre du projet Icade à La Défense. Nous sommes très souvent sollicités pour le déploiement de solutions digitales et de GTB (gestion technique du bâtiment). Pour les autres secteurs, les acteurs réfléchissent, testent, cherchent des opportunités et sont davantage prêts à tester des solutions très simples. Par exemple ABB a développé un petit capteur à intégrer sur les moteurs et qui permet de savoir s’il y a ou non un besoin de maintenance et si le fonctionnement est optimisé. Nous sommes pour ces domaines dans le premier temps de la transition, celui des essais et de l’apprentissage. Le déploiement des solutions interviendra par la suite. Le bâtiment est à un stade de réflexion plus avancé car il réfléchit au volet des compétences : les référentiels évoluent et d’autres apparaissent, définissant notamment le rôle et la responsabilité des acteurs, comme c’est notamment le cas pour les référentiels Qualifelec. Mais les domaines qui ont été précurseurs de la digitalisation chez ABB sont le pétrole et la marine, deux domaines qui font face à des problématiques de sécurité et de coûts et pour lesquels la connectivité à distance est essentielle. Les plateformes pétrolières en sont le parfait exemple, car aujourd’hui, nombre d’entre elles n’accueillent que très peu de personnel et font appel à de la maintenance prédictive à distance.
Votre nouveau bâtiment situé à Beynost est aujourd’hui la vitrine technologique des solutions ABB. Quel est l’objectif d’une telle démarche ?
J. M. – ABB est une entreprise écoresponsable et notre volonté est de faire évoluer les bâtiments du groupe. Le bâtiment de Beynost est aujourd’hui un des plus importants de la région Rhône-Alpes à être certifié BREEAM « Very good ». Cette certification intègre des notions telles que les équipements d’efficacité énergétique actifs et passifs, mais également des impératifs liés à la couleur ou à la conception par rapport à l’efficacité énergétique… Nous avons donc mené une réflexion globale au sujet de ce bâtiment, qui est aujourd’hui une vitrine pour le groupe : il intègre nos solutions de Building Automation ainsi que des composants logiciels ABB Ability. L’objectif est double : proposer une nouvelle expérience du bâtiment dès à présent et le rendre prêt pour de nouveaux usages et services dans le futur. De plus, la conception du bâtiment a été pensée pour s’adapter au mieux aux besoins de ses occupants, en offrant des espaces de travail variés et conviviaux. Ce bâtiment est inclus au programme « Workplace 2020 » lancé par ABB, qui consiste, pour l’ensemble des sites du groupe, à tendre vers des bâtiments énergiquement économes, basés sur l’activité et la fonctionnalité et apportant des services et du confort individualisés pour ses occupants. « Workplace 2020 » n’est ni un projet immobilier ni strictement tourné vers l’efficacité énergétique, même si cet aspect reste essentiel. L’objectif de ce programme est de faciliter les aspects collaboratifs du travail en décloisonnant les bureaux et en créant des espaces de travail basés sur les besoins de nos collaborateurs. Ces changements physiques apportent avec eux d’importants changements managériaux. L’objectif de cette démarche est de faire gagner nos collaborateurs en efficacité. Pour ce faire, le décloisonnement des différents services et le bien-être sont des aspects essentiels. Par exemple, dans notre bâtiment de Beynost, nous avons créé un Work Café, qui regroupe l’ensemble des commerciaux, toutes entités confondues. Cela leur permet d’échanger sur les bonnes pratiques, les différentes offres et de créer du lien entre ces offres pour présenter des solutions globales aux clients. Cette nouvelle façon de concevoir nos bâtiments tertiaires a également pour objectif d’attirer de jeunes talents, en leur donnant envie de venir y travailler. Cette flexibilité des espaces de travail s’accompagne d’une flexibilité dans le travail, avec l’ouverture du télétravail, par exemple.
Aidez-vous vos partenaires historiques (artisans électriciens, petites et moyennes sociétés d’installations, bureaux d’études, services techniques…) à monter en compétences sur ces sujets et de quelle manière ?
J. M. – Dans le bâtiment, la demande vient principalement du marché et les principaux prescripteurs sont nos clients finaux. Mais plus le bâtiment est résidentiel, plus le rôle des artisans est important. ABB a donc mis en place des programmes de formation pour ses partenaires. Nous développons de plus en plus d’événements régionaux pour informer et former nos clients à ces nouvelles technologies et usages. Nous lançons sur 2018 une nouvelle formule « Electrification Product Tour » qui va se déplacer dans plusieurs villes autour des solutions de distribution électrique MT/BT. L’an passé, nous avons investi dans un camion pour présenter dans toute la France notre nouvelle solution domotique ABB-free@home qui illustre parfaitement notre approche de la digitalisation : faire en sorte de rendre accessible la technologie avec des interfaces simples à utiliser et à mettre en œuvre, spécialement conçues pour les artisans et sociétés d’installations. En 2019, nous lancerons de nouveaux outils pour les bureaux d’études et services techniques pour leur permettre de digérer ces technologies et être capables de les spécifier facilement en restant concentrés sur le résultat et l’usage. Enfin, nous poursuivons une politique active de partenariat avec des grands groupes et des startups afin de compléter la palette de services proposés sur le marché. Ces nouveaux services ont besoin d’infrastructures fiables et la filière électrotechnique a une vraie opportunité à saisir pour soutenir ce développement.
Comment s’opère la transition vers le tout-connecté dans un groupe comme ABB ?
J. M. – Cette transition ne date pas d’hier. Aujourd’hui, 70 millions de capteurs et équipements connectés d’ABB sont installés dans le monde. Cette transition est donc très graduelle et a connu un coup d’accélérateur en 2016, grâce au lancement de notre outil unique ABB Ability, qui formalise notre volonté de systématiser le développement de solutions digitales. Aujourd’hui, la notion de jumeaux digitaux* semble nouvelle, mais ce procédé existe depuis des années, mais servait exclusivement à nos équipes de R&D. Aujourd’hui, la réalité de la connectivité au quotidien rend crédible cette transition et contribue à l’accélérer. Cette transition digitale s’accompagne également de nombreuses autres transitions, notamment des espaces de travail, du management et des modes de décision.
S’agit-il uniquement d’une histoire de R&D ou est-ce un changement plus profond touchant le cœur de métier de l’entreprise ?
J. M. – Comme je le disais, il s’agit de changements profonds, qui se ressentent à tous les niveaux de l’entreprise. Pour ABB, les mutations se font ressentir au niveau des bâtiments et des usines du groupe, et les efforts en R&D sont alimentés par des investissements dans le digital. Nous assistons également à une transformation de nos métiers, notamment pour nos techniciens qui, auparavant, intervenaient sur le terrain et aujourd’hui depuis leur PC. Nous avons donc mené des politiques de formation de nos équipes de techniciens. L’arrivée du digital modifie également les relations client, aujourd’hui empreintes de pédagogie et nécessitant davantage d’accompagnement. Au niveau de la R&D, les modes de développement de solutions ont changé : de nombreuses solutions sont co-construites avec nos clients pour répondre à leurs besoins les plus précis.
Quel est votre ressenti sur la santé de la filière électrique à l’heure actuelle ?
J. M. – La filière électrique se trouve au cœur des grandes transformations de notre époque que sont la transition énergétique et le numérique. Cela représente pour ses acteurs de formidables opportunités, économiques mais également sociétales. Je suis donc très optimiste pour ces entreprises, qui innovent sans cesse dans ces domaines.
À titre personnel, vous être à la tête d’ABB France depuis 2015. Quelles ont été vos plus grandes satisfactions et fiertés ?
J. M. – Il y a d’abord les satisfactions liées à l’entreprise elle-même et à son incroyable dynamisme, rendu possible par ses employés. Chez ABB, nous nous intéressons bien sûr aux résultats, mais, plus important à mes yeux encore, nous veillons à la manière dont nous obtenons ces résultats, autant du point de vue de la RSE que de l’intégrité qui anime le fonctionnement quotidien de nos équipes. Ces éléments me rendent fier de participer à ce projet. Au sein d’ABB France, mobiliser l’ensemble des collaborateurs autour d’un projet commun et pouvoir constater la manière dont notre savoir-faire est accueilli par nos clients est un élément central. Mais je remarque aujourd’hui qu’ABB a davantage à apporter au marché français qu’il ne l’a fait par le passé. Nous disposons d’une largeur de gamme importante, sans cesse développée par les capacités d’innovations de nos équipes. Nous pouvons et nous devons apporter davantage au marché. Enfin, nous sommes tous tournés vers notre objectif principal : la satisfaction client.
*Un jumeau numérique (en anglais, digital twin ou device shadow) est une réplique numérique d’un objet, d’un processus ou d’un système qui peut être utilisé à diverses fins. La représentation numérique fournit à la fois les éléments et la dynamique de fonctionnement d’un dispositif de l’Internet des objets tout au long de son cycle de vie. (Source Wikipédia)
Propos recueillis par Alexandre Arène