Avec près de 150 000 véhicules électriques (VE) immatriculés en Europe en 2017 et une progression de 43,9 % par rapport à 2016, le marché du véhicule électrique se porte bien (source : Avere France) et le parc européen doit dépasser 500 000 unités. La France tient bien sa 2e place juste derrière la Norvège avec plus de 30 000 nouvelles immatriculations, dont quelque 24 910 voitures particulières. Une tendance confirmée avec un nombre de nouveaux VE en augmentation de 41,6 % en mars 2018 par rapport à mars 2017.
Manque-t-on de bornes de recharge ?
Le nombre d’infrastructures de charge est un sujet identifié comme fondamental par les utilisateurs, mais aussi tous les acteurs de la filière. Et les chiffres sont plutôt encourageants même si toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne : au 31 décembre 2017, 22 308 bornes publiques étaient accessibles dans 8 320 stations, soit un point de recharge pour 5,7 véhicules selon l’Avere (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique) et le Gireve (Groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules).
À ces points publics, il faut ajouter 58 000 points à domicile et 79 000 dans les entreprises, des points souvent utilisés pour les courts trajets domicile-lieu de travail. Ce nombre devrait être suffisant pour un parc de 127 000 VE, mais encore faudrait-il que ces bornes soient disponibles et adaptées aux véhicules en circulation (prise, tension, puissance…). Et on est encore loin de l’objectif gouvernemental de 4,4 millions de points en 2020 dont 90 % dans les résidences, immeubles de bureaux et copropriétés ; des copropriétés dans lesquelles les délais d’installation peuvent être longs. Mais, bonne nouvelle, le programme Advenir est prolongé jusqu’en 2029 et va continuer à accorder des aides à l’installation de bornes. Depuis 2016, Advenir a contribué au financement de près de 1 300 points de charge. Le programme souhaite en financer 13 700 nouveaux, dont 3 000 installés en voirie. Pour ces bornes de voirie, un cahier des charges spécifique a été créé (types de prises, système de pilotage énergétique et de supervision, connexion à Gireve). Le budget d’Advenir, basé sur les certificats d’économie d’énergie, a un budget de 19,92 M€.
Le point positif est qu’aucune région de France n’est désertée par les bornes, et il n’y a pas une semaine sans qu’une ou plusieurs bornes soient inaugurées dans une ville ou un village de France par une commune, un syndicat départemental d’énergie ou un réseau interdépartemental comme eborn dans 5 départements du Sud-Est. Avec quelquefois des solutions innovantes comme le SDEY de l’Yonne qui, associé à Spie CityNetworks et Hubject, développe un réseau de bornes accessible à tous les conducteurs de VE d’Europe par la plateforme eRoaming d’Hubject. Car la compatibilité de la borne avec tous les véhicules et l’accessibilité de la recharge à tous les utilisateurs de VE, indépendamment de son opérateur d’origine, est une priorité identifiée.
Interopérabilité d’accès aux bornes :des progrès mais ce n’est pas encore gagné
Et pourtant, « l’essor des véhicules électriques passe par le développement des infrastructures de charge et par l’interopérabilité pour faciliter l’usage », confirme Odile Caillat, responsable Développement transport et logistique d’Afnor Normalisation. « Ces questions embarquent une multitude d’acteurs, bien au-delà des seuls constructeurs : équipementiers automobiles, BTP et toute la filière électrique. »
Le décret 2017-26 du 12 janvier 2017 précise dans les articles 10-11-12 les dispositions relatives à l’exploitation des infrastructures de recharge pour garantir l’accès non discriminatoire à la recharge.
Cette obligation étant satisfaite si l’opérateur est connecté à une plateforme d’in- teropérabilité. Pour l’association Afirev (Association française pour l’itinérance de la recharge électrique des véhicules), « elle nécessite aussi le développement de l’itinérance des services de recharge, c’est-à-dire la faculté pour l’abonné d’un opérateur de mobilité d’accéder aisément à l’infrastructure d’autres opérateurs au fur et à mesure de ses déplacements. Cet accès se traduit en premier lieu par la possibilité de localiser les points de charge, de connaître leur disponibilité, de les réserver si possible, d’être autorisé à se re- charger et de régler le prix de la recharge suivant son seul contrat avec son opérateur de mobilité, donc sans avoir à ouvrir un compte chez l’autre opérateur ».
Pour le Gireve, prestataire de services pour les opérateurs depuis presque cinq ans, l’interopérabilité doit couvrir tout le champ des services électromobiles, du paiement à la localisation et réservation du point de charge ou le pilotage intelligent de celle-ci.
Pour Thierry Troncy, responsable Marché mobilité électrique de Lafon Technologies :
« Pour les nouvelles installations avec Advenir, cela en- courage à être connecté à un superviseur comme Gireve pour avoir une remontée des informations. Pour les installations en place et plus anciennes, c’est plus complexe, en particulier pour les bornes gratuites. L’interconnexion reste quelque chose de lourd. L’alternative serait le paiement par carte bancaire, facile à déployer, mais il reste le problème du comptage, et le paiement au kilowattheure est encore loin, on va rester encore au paiement forfaitaire ou au temps passé. »
Qualification et formation des professionnels de l’e-mobilité
Le décret 2017-26 du 12 janvier 2017 a uniformisé les dispositions techniques des infrastructures de recharge sur l’espace public
et privé, et fixé dans les articles 22 et 25 les exigences requises pour l’installation et la maintenance des IRVE. Toute installation de borne de recharge publique ou privée de plus de 3,7 kW doit être réalisée par un pro- fessionnel de l’électricité habilité ayant suivi « un module de formation agréé par l’orga- nisme de qualification accrédité ».
Qualifelec et Afnor Certification assurent ce rôle d’agrément des formations selon 3 niveaux :
– Formation de base niveau 1 : bornes simples
– Formation Expert niveau 2 : bornes de charge
jusqu’à 22 kW
– Formation recharge rapide niveau 3
Ainsi, explique Alexandra Del Medico, secré- taire générale de Qualifelec : « Cette Mention IRVE s’obtient obligatoirement en association avec une qualification telle que : Installations électriques Logement/Petit tertiaire, Installations électriques Gros tertiaire/Industrie, Éclairage public, Branchements et réseaux, Solaire PV. Ces formations qui sont assez simples, 1 à 3 jours, et en adéquation avec l’évolution des technologies, vont permettre aux professionnels électriciens volontaires de se positionner sur ce nouveau marché à fort potentiel. La démarche de formation et la démarche de qualification sont des démarches vertueuses pour éviter les contre-références et sensibiliser les professionnels au développement de ce marché. À fin mars 2018, plus de 450 professionnels de l’électricité ont reçu la qualification IRVE dans tous les domaines d’activité et dans toute la France. Et au 23 mars, 8 organismes de formation ont été agréés par Qualifelec. »
Jean-Luc Coupez, directeur de Blue2BGreen, société qui a déjà formé plus de 200 professionnels pour leur agrément, constate : « Tout un écosystème s’est développé avec la mobilité électrique : constructeurs de VE/VHR, fabricants de bornes de recharge, installateurs, société de maintenance, opérateurs de mobilité, gestionnaires de services, loueurs de VE/VHR, services à la mobilité…
La qualification rendue obligatoire depuis l’année dernière a permis d’éliminer les entreprises qui “montaient des prises’’ en vue de la recharge des VE/VHR, sans connaissances approfondies des problèmes que la recharge pouvait engendrer sur les installations électriques et les risques qui pouvaient être occasionnés par une installation mal conçue : protection des biens et des personnes, harmoniques ou foudre, mauvaise terre, arrêt durant la recharge sans raison, connectique brûlée, prise ou connexions fondues, batterie VE HS…
Les électriciens ne sont plus des installateurs de prises de courant, mais des conseillers techniques pour leurs clients sur leurs marchés, les Smarts /Home – Building – City – Grids sont autant de technologies qu’ils devront appréhender dans l’avenir, c’est pour cela que nous les accompagnons en conseils et formations. »
De son côté, Schneider Electric a mis en place des modules de formation :
P1 pour la formation de base pour réaliser une installation simple conformément aux exigences EV Ready 1.4 et ZE Ready 1.4. Et, explique Xavier Merlini, directeur marketing en charge du programme de formation de Schneider Electric :
« Cette formation d’un jour peut être plus complète avec un stage P2 de 2 jours pour les installations plus complexes (industrielles, tertiaires, voirie). Une journée optionnelle peut être ajoutée pour la formation aux paramétrages, maintenance, dépannage, mise en réseau des bornes. Pour ces formations, la démarche sécurité est importante. En 2017, nous avons accueilli 190 stagiaires et 72 sessions sont programmées en 2018. Et nous formons aussi des formateurs pour l’étranger. »
AVIS D’EXPERT
« Le cadre juridique et normatif devient de plus en plus précis avec les normes et décrets dédiés à la mobilité électrique et aux IRVE »
Le décret du 12 janvier 2017 est-il bien adapté à toute la problématique du développement des réseaux d’IRVE ?
Oui, dans les grandes lignes et dans l’état actuel des installations de recharge des véhicules électriques et hybrides rechargeables, le décret reprend certaines dispositions et impositions qui ne sont pas définies dans les autres documents, comme la norme NF C 15-100 ou le livre vert et sa mise à jour, ainsi que les décrets touchant la mobilité électrique et les IRVE. Les bases fondamentales des installations pour la recharge des véhicules électriques sont de plus en plus en adéquation avec les besoins et usages des électro-mobilistes, mais également des constructeurs de VE/VHR, des fabricants de bornes et des opérateurs de mobilité. Il est à noter que cet écosystème est né il y a encore peu de temps et que la mise en place des normes, des lois, ne s’est pas faite en un éclair, la technologie a évolué, l’autonomie des batteries a augmenté, les besoins se sont précisés à tous les niveaux.
Le cadre normatif est-il aujourd’hui bien clair ?
Le cadre juridique et normatif devient de plus en plus précis avec les normes et décrets dédiés à la mobilité électrique et aux IRVE, mais il reste encore des points à améliorer sur les standards de bornes appropriés aux mises en situation, les normes sur certains aspects comme l’ISO 15118 qui arrive à grands pas, les spécificités des usages et des environnements, l’intégration de points de recharge dans la rénovation comme dans les bâtiments neufs qui ne sont pas toujours proposés, l’accessibilité aux points de recharge avec des solutions dématérialisées, libérant ainsi l’usager des cartes de paiements multiples. En tant que conseil auprès des clients finaux, collectivités ou privés, nous ressentons régulièrement des interrogations sur ces sujets, avec l’optimisation nécessaire des investissements et la rentabilisation de ces derniers. Chaque profil de client, d’usager et de solution étant spécifique, il faut adapter : le bon produit, au bon endroit, pour le bon usage !
Quel sera l’impact de la révision en avril 2018 de la directive européenne concernant l’installation des points de charge dans les bâtiments ?
Ayant enfin un standard dans la connectique et les protocoles de communication entre le VE et les IRVE, mais également pour les opérateurs de mobilité, la France étant en avance sur les lois, les normes très pointues en matière de distribution électrique (NF C 14-100 + 15-100 + décret 12 janvier 2017…), les aides à l’implantation de solutions de recharge pour tout environnement public et privé (programme Advenir), le nombre et la diversité des IRVE installées, l’organisation générale de l’écosystème de la mobilité électrique… nous avons certainement des choses à apporter à l’Europe avec une aide importante en conseils et formations. Nous avons actuellement des demandes en formations sur les techniques d’installation ou la stratégie d’implantation. Il reste que chaque pays a ses normes en matière d’électricité, mais cette directive imposant un nombre minimal de points de recharge est en totale corrélation avec la stratégie française.
Vers une montée en puissance des bornes
Les bornes le plus souvent installées sont encore les bornes 3,7 kW (wallbox) pour la recharge normale, de 7 à 22 kW pour la recharge accélérée et plus de 43 kW pour la recharge rapide (50 kW en tension continue). Avec le cas particulier des superchargeurs Tesla (120 à 135 kW) de leur réseau propriétaire. Mais depuis un an, plusieurs annonces ont été faites pour des char- geurs ultrarapides de 150, voire 350 kW avec la prise au standard européen Combo CCS.
Pour Bernard Guillarme, directeur des ventes IRVE de Schneider Electric, « l’évolution du VE va tirer la technologie des bornes, et le véhicule autonome (bus, navettes) va demander une charge rapide. Si demain les constructeurs automobiles augmentent la tension batterie à 800 V DC ou décident entre AC et DC, il faudra être capable de réagir rapidement : ce sont les constructeurs qui définissent le besoin, mais il y a encore beaucoup de véhicules qui ne se chargent qu’à 3ou11kW».
Et déjà, des constructeurs annoncent la disponibilité de bornes 150 et 350 kW. Ainsi, DBT a présenté une borne capable d’alimenter 3 véhicules à 50 kW ou 1 véhicule avec 150kW; un chargeur compatible AC, CCC Combo ou CHAdeMO et entièrement modulable. ABB a présenté à la Foire de Hanovre son chargeur 350 kW Terra HP capable de charger des véhicules (auto ou bus)de400à800Và pleine puissance en optimisant dynamiquement la connexion au réseau disponible.
Les projets ne devraient pas manquer pour ces bornes de forte puissance. Le projet Ionity initié par BMW, Daimler, Ford et Volkswagen, rejoints par Shell, va installer 400 stations de recharge 350 kW dans toute l’Europe (dont 50 en France) jusqu’en 2020. D’autres constructeurs dont PSA, mais aussi Tesla, seraient en passe de rejoindre le consortium. Autre projet financé à hauteur de 29 M€ par l’Europe, le projet MEGA-E prévoit le déploiement de 322 bornes rapides et 39 stations multimodales en Europe. Renault, de son côté, est impliqué dans le projet E-Via Flex E pour l’Europe du Sud aux côtés d’EDF, ENEL, Nissan ou Enedis.
Une montée en puissance qui semble inéluctable pour Thierry Troncy : « Cela pourra passer par des stations modulaires de 150 à 350 kW avec un module stockage (batteries) pour écrêter les appels au réseau et diminuer la puissance de l’abonnement au réseau du distributeur. Nous travaillons aussi chez Lafon sur des stations entièrement préfabriquées à installer au plus près d’un transformateur. Cette offre préfabriquée peut intéresser les supermarchés qui ont la puissance disponible et souvent une production d’électricité verte, contrairement aux stations de carburant souvent limitées en puissance. » Car le raccordement au réseau de ces stations, dont la puissance équivaut à celle d’un immeuble de 30 ou 40 appartements, doit bien évidemment être étudié avec soin.
Jean-Paul Beaudet