Le marché du véhicule électrique en mouvement
« On entre de plain-pied dans une phase de transition du véhicule thermique vers d’autres modes de déplacement, dont le véhicule électrique. Les usages changent vraiment et l’offre également, avec une augmentation des gammes de véhicules disponibles, et des autonomies annoncées qui tendent ou dépassent les 400 km. Enfin, troisième pilier clé, la capacité de charge et notamment le nombre de bornes de recharge est en forte croissance », introduit Jean-Luc Coupez, expert et formateur IRVE au sein de Blue2bgreen.
D’ores et déjà, de nombreux projets ont permis des premiers retours d’expérience en utilisant le véhicule électrique comme variable d’effacement, d’optimisation de la consommation à l’échelle du bâtiment ou du quartier, mais aussi de restitution et de production d’énergie par déstockage de l’énergie des batteries des véhicules. Une voiture est inutilisée 95 % de son temps de vie et l’utilisation moyenne d’un véhicule électrique nécessitera moins de 80 % de la capacité de la batterie pour les trajets quotidiens. Il est donc très sérieusement envisagé, pendant les périodes où le véhicule sera branché au réseau électrique, d’utiliser l’électricité stockée pour l’injecter sur le réseau en période de forte demande ou, inversement, de charger la batterie du véhicule en heures creuses, les batteries des véhicules électriques étant considérées comme des capacités de stockage mobile.
Mais qui dit restitution d’énergie au réseau dit communication complète optimisée entre les véhicules, les infrastructures et les opérateurs de réseau.
Vers une communication bi directionnelle IRVE-voitures
Actuellement, c’est le protocole PWM (Modulation de largeur d’impulsion) qui gère la recharge entre la voiture et l’infrastructure ; un protocole qui sécurise la gestion automatique de la charge, avec des fonctions basiques comme le défaut ou l’autorisation de charge.
« La norme et protocole IEC/ISO 15118 permet d’aller plus loin et d’effectuer une gestion fine, dont la modulation de puissance en fonction de la disponibilité du bâtiment à fournir ou encore du réseau », ajoute Jean-Luc Coupez. Avec le protocole ISO 15118, une communication bidirectionnelle est possible entre le véhicule et l’opérateur de réseau, pour prendre les bonnes décisions dynamiques face aux conditions du réseau.
« Prenons un exemple avec une flotte de véhicules électriques. Avec des échanges de communication entre les véhicules, la borne et le réseau, on saura charger le bon véhicule, au bon moment, avec une puissance modulée pour la tournée à effectuer. Si demain l’on sait récupérer la puissance et le niveau de chargement des véhicules, le type de véhicule , on pourra optimiser la puissance et le niveau de chargement en fonction de ces paramètres et de la durée de la tournée, mais aussi des contraintes réseaux, typiquement le lissage de pointe et même effectuer de la restitution d’énergie, on parle alors de Vehicule-to-Home ou de », détaille Jean-Luc Coupez.
Les fabricants de bornes et les constructeurs en pole position
Pour Bernard Guillarme, directeur des ventes pour l’activité IRVE de Schneider Electric, « le marché des IRVE est stratégique pour Schneider Electric, car il constitue l’un des maillons de l’optimisation de l’énergie. De fait, nous adaptons nos produits aux besoins des fournisseurs d’énergie et aux usages qui sont faits de la borne. Si les besoins évoluent vers de la communication bidirectionnelle évoluée entre les véhicules et les chargeurs, nous sommes prêts à aller en ce sens et l’implémentation de la norme ISO 15118 y répond ».
« Nous voyons cependant quelques freins à la mise en place de cette logique : en tout premier lieu, si l’électricité est bon marché et le réseau fiable, l’usage des véhicules en stockage et réinjection a moins de sens que par exemple aux États-Unis, où il devient impératif d’avoir des solutions de secours pour passer les pics. Second point, quel va être le comportement du consommateur face à la logique d’utilisation de son véhicule comme capacité de stockage d’énergie ? Quelles vont être les règles de rémunération en cas de réinjection sur le réseau ? Enfin, il est nécessaire d’avoir une utilisation intensive, du volume aussi en nombre d’IRVE, et donc des produits homogènes a minima par continent », complète l’expert.
Côté constructeurs automobiles, l’idée est passée à l’action et déjà des tests et projets prototypes ont été réalisés avec la mise en place d’une application spécifique de communication pour la gestion de l’énergie au sein du véhicule. La borne dialogue ainsi avec le calculateur du véhicule, assurant la coordination de bout en bout avec les différents organes qui peuvent influencer la stratégie de recharge comme le BMS, le réseau électrique, mais aussi l’utilisateur ou encore la météo.
Vers la prise en compte de la recharge intelligente
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a proposé tout récemment une évolution réglementaire du raccordement afin d’introduire la notion de modulation de la puissance de recharge et ainsi, ouvrir la porte à la charge intelligente. La CRE a également étudié un projet d’arrêté introduisant une notion de « raccordement intelligent », pour inciter les utilisateurs à moduler leur puissance de raccordement au réseau grâce à une gestion plus fine de leur consommation.
Le VE, vecteur de flexibilité
Pour François Borghese, responsable marketing Microgrid de Schneider Electric, « le véhicule électrique, au même titre que la climatisation, le chauffage ou les batteries stationnaires, est un des vecteurs de flexibilité pour décaler les usages ou pour s’adapter aux disponibilités de l’énergie produite localement ». D’une façon globale, pour optimiser l’adéquation production et consommation, à l’échelle du microgrid, et ce qu’il soit 100 % connecté, déconnectable ou complètement déconnecté, le véhicule est d’abord une charge flexible qui est prise en compte dans le système de pilotage prédictif du microgrid. Tout comme l’« optimum start », c’est-à-dire le moment optimal de démarrage du chauffage du bâtiment, le planning de chargement des véhicules est un des résultats du calcul de pilotage, et les solutions d’usages proposées tiennent compte de multiples paramètres, des occupations, de contraintes/scénarios clients multiples, par exemple les possibilités de baisser l’intensité lumineuse sur certaines zones. En externe, le système est relié pour récupérer les conditions météo, les grilles tarifaires des fournisseurs d’énergie, les prix spot de l’énergie… « Une trentaine d’installations suivant ce principe sont en fonctionnement notamment aux États-Unis, en France et en Suède. Au fur et à mesure de la mise en place des grilles tarifaires différenciées dans les pays, il est intéressant d’aller chercher la flexibilité des bâtiments tertiaires, et le mouvement s’amplifie en conséquence », conclut François Borghese.
La massification des usages va tout changer
Les systèmes de V2G ne sont pas tout à fait prêts à fonctionner de façon industrielle. Des expérimentations ont permis de valider un certain nombre de principes et notamment de standards de communication, mais ce sont principalement l’optimisation des systèmes de batteries et cycles et la massification des usages qui feront, à court terme, que ces systèmes arriveront peu à peu à maturité. « Un effort d’information et de formation est également nécessaire, notamment au niveau de l’installation et de la maintenance des IRVE. Et demain, de leur rétrofit pour la communication bidirectionnelle du véhicule au réseau », complète Jean-Luc Coupez de Blue2bgreen.
Jean-François Moreau