La GTB et la supervision migre progressivement vers des offres globales de services aux usagers et intègrent des solutions de plus en plus complètes et notamment du monde numérique. Avec l’arrivée des objets connectés, les architectures des installations se complexifient. Comment les intégrateurs participent-ils à ce mouvement ?
L’intégrateur est le maillon indispensable au bâtiment intelligent
Pour Gérard Badard, directeur général de Meta 2E, « l’intégrateur tient un rôle de plus en plus central puisqu’il fait le lien entre les besoins de plus en plus précis des utilisateurs et exploitants et les technologies de plus en plus complexes. Tous les intégrateurs n’ont pas compris cette évolution, il y a pourtant une vraie chance de prendre une place significative dans le monde du bâtiment et la mutation actuelle est profonde et inéluctable. Il y a ainsi un vrai virage à prendre et ceux qui l’ont compris, ceux qui se forment, ceux qui ne tirent pas le marché vers le bas, seront encore là dans dix ans. Les autres seront amenés certainement à disparaître ou resteront des sous-traitants avec peu de valeur ajoutée, le plus souvent à la merci de leurs donneurs d’ordre ». Fabien Pont, associé au sein d’Apilog, confirme : « On est effectivement en pleine mutation du métier et on s’approche de plus en plus de l’IT. Nous avons, en interne, mis en place un service R&D et méthodologie qui est transverse à nos activités, et qui nous accompagne sur les nouveaux produits, mais aussi sur l’expertise pour la conception informatique et la protection des réseaux, par exemple.»
« Nous sommes une équipe en développement et depuis plusieurs années, nous avons renforcé nos compétences sur deux volets : nous avons embauché un graphiste pour améliorer les aspects User expérience (Ux) et User interface (Ui), et donner ainsi le maximum de facilité à l’occupant ou à l’exploitant du bâtiment, car la vraie valeur d’un bâtiment est son usage et sa facilité de conduite. Par ailleurs, pour tous les aspects de sécurisation informatique et de réseaux, il nous est apparu incontournable d’avoir cette expertise en interne, les échanges avec la DSI des clients devenant incontournables et nécessitant les compétences télécoms et réseaux ad hoc », illustre Alexis Tinnirello, directeur de la société Energimotique.
Gestion de l’air, de l’eau, de l’électricité et de l’information
« Les principaux produits en GTB sont des logiciels de supervision, des automates et des capteurs/actionneurs et tous tendent à devenir des objets connectés. Les intégrateurs ont donc besoin de connaître parfaitement les produits et leurs capacités de communication et, éventuellement, de faire des liens avec des services tiers notamment pour le confort ou pour des services aux exploitants. Ils ont également besoin de pouvoir choisir et prendre les meilleures briques des différents constructeurs pour construire la solution de leurs clients », explique Gérard Badard, de Meta 2E.
Pour Fabien Pont, « il y a bien désormais un “quatrième fluide” : le fluide information ». Sur cette dimension, l’intégrateur doit être force de proposition et développer des partenariats pour mettre à disposition une véritable plateforme de services : « Par exemple, nous avons travaillé récemment à une passerelle avec la société Workwell, qui met à disposition une application “Never Eat Alone” permettant de ne pas manger seul à la cantine et de se donner rendez-vous, et de créer du lien entre les occupants. Un autre exemple avec la géolocalisation pour faciliter le coworking », ajoute-t-il.
Autre exemple, cité cette fois par Engie, où le comptage du nombre de présents en milieu de matinée permet de préparer la prévision d’affluence à la cantine. Des fonctionnalités qui peuvent paraître éloignées des supervisions traditionnelles, mais qui nécessitent la mise en place de solutions IP nativement ouvertes aux Webservices, points que soulignent conjointement Wago et Distech Controls, que nous avons interrogés.
Les cahiers des charges sont encore trop pauvres
« Trop peu de cahiers des charges ont changé. Ils ne décrivent pas avec suffisamment de précisions les fonctions demandées par les clients. Il est nécessaire d’avoir de la valeur ajoutée dans la GTB, donc de décrire les services d’usage afin que les exploitants aient un outil efficace. Un cahier des charges trop succinct, limité à la supervision des équipements, entraîne souvent des chiffrages sousévalués et des offres inadéquates », analyse Gérard Badard, de Meta 2E.
Quelques bureaux d’études tirent le marché vers le haut, mais le contenu des cahiers des charges sur les fonctionnalités d’usage à fournir est encore très disparate et souvent trop peu détaillé. La sensibilisation est donc à faire aussi au niveau des bureaux d’études et des installateurs, et l’effort est constant pour les fabricants. Demander l’usage de protocoles connus ou ouverts est un pas, décrire les services et fonctions d’usage est un élément clé.
Les fabricants aux côtés des intégrateurs
Pour Justin Passaquet, responsable d’agence Île-de-France chez Distech Controls, « le monde de la GTB se fait emporter par la lame de fond de la convergence IP. Tous les acteurs de la chaîne n’y sont pas préparés et un accompagnement important est nécessaire pour aider nos intégrateurs », explique-t-il, et cet accompagnement peut se faire sous plusieurs formes :
– La réalisation de formations dédiées et de mise à niveau relatives à l’IoT et aux nouveaux services apportés par l’IP et les Webservices.
– La visite conjointe de promoteurs initiateurs de ces nouvelles demandes orientées utilisateurs et vers les nouveaux usages dans le bâtiment tertiaire d’aujourd’hui.
– Un accompagnement à la structuration de leurs équipes par l’embauche de nouvelles catégories de personnel, davantage tournées vers l’informatique, l’administration IT, l’imagerie…
« Wago travaille à mettre à disposition des produits prêts à poster les informations avec des interfaces les plus simples possible, notamment vers les systèmes de big data. Ensuite, la démarche vis-àvis de la cybersécurité et la protection est au coeur de nos produits. Troisième volet clé, la formation, et nous avons des programmes de formation qui sont adaptés pour accompagner les montées en compétence de nos clients intégrateurs, mais aussi exploitants », complète Pascal Tigreat, responsable du département Automation de Wago.
Intégrateurs et exploitants, une proximité qui doit encore s’affirmer
« Deux cas sont possibles dans notre société : soit le projet de GTB est effectué en amont de l’exploitation par un intégrateur, et en ce cas il met à disposition le système de GTB et supervision et le fait évoluer à la demande de l’exploitant. Soit nous intervenons également sur le lot GTB en nous appuyant ou non sur un sous-traitant expert de certains points ou bien sur un intégrateur, soit nous le réalisons avec nos équipes internes », indique Jean-Luc Delseray, directeur des opérations Île-de-France au sein de Engie.
« Nous constatons que les liens entre les intégrateurs et les mainteneurs/exploitants sont forts quand il s’agit plus particulièrement de traiter les points de zoning dans les bureaux, et de mise en place de logiciels de gestion d’énergie, et que de façon plus générale, les liens se resserrent car les deux métiers sont de plus en plus en plus dépendants », ajoute Gérard Badard.
« Le croisement des données issu des objets IoT ou des différents systèmes change la donne de la vie du bâtiment et de l’exploitant. Cette dimension est à prendre en compte au-delà de l’augmentation du nombre de points de la GTB, des millions de données peuvent être stockées et analysées, pour, par exemple, alimenter des systèmes de maintenance préventive et affiner ainsi le prévisionnel par élément technique en fonction de l’état d’usure et de la sollicitation du matériel », illustre Jean-Luc Delseray.
Quels projets aujourd’hui et demain
Les principales évolutions dans les projets GTB concernent trois domaines principaux :
– Les demandes de performances énergétiques liées principalement aux certifications (BREEAM, LEEDS, ISO 50001, HQE…).
– La gestion du confort en ambiance (chauffage/ventilation/climatisation, éclairage, volets roulants).
– La centralisation des services, dont les services liés aux équipements techniques, sur smartphones et tablettes.
« La façon de travailler dans les bureaux change, et nous l’accompagnons au travers de services où parfois nous sommes force de proposition, parfois c’est la foncière qui demande des fonctionnalités particulières. Pour citer deux exemples : la connaissance d’occupation réelle des salles de réunion, et l’optimisation de l’alimentation des véhicules électriques dans les parkings. En parallèle de ces nouveaux usages, nous voyons aussi apparaître des besoins de propriétaires qui ont, par exemple, 4 ou 5 bâtiments, tous équipés de GTB différentes, et qui souhaitent rendre homogènes toutes les informations terrain et pouvoir les exploiter à un niveau supérieur », explique Fabien Pont, d’Apilog.
Un « bon » intégrateur est un ensemblier complet
L’intégrateur n’est donc surtout pas mono-produit ou mono-constructeur. « Sa valeur ajoutée est dans le choix et l’adaptation des produits des fabricants, le recours à des solutions tierces type start-up qui développent des services supplémentaires pour les occupants ou les exploitants, et dans la formation ou le renforcement de ses équipes. Ce sont les points essentiels à sa croissance et à son positionnement, car il évolue de l’automatisme vers la construction d’applications types, déployables rapidement, avec des problématiques réseaux de plus en plus complexes et des nouveaux services », conclut Pascal Tigreat, de Wago. Avant d’aborder, demain, le domaine des smart grids qui, pour l’instant, n’en est qu’à ses débuts.
Jean-François Moreau