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Les achats stratégiques au cœur des enjeux de la filière

(c) Prysmian

Achats stratégiques, deux exemples selon Aldes et Prysmian Groupe
Pour Laurent Mouchet, directeur des Opérations du Groupe Aldes, quatre catégories d’achat sont principalement concernées :
– Les moteurs : de par la typologie de marché, dominé par un leader incontournable (EBM-PABST) et des petits acteurs qui montent en puissance, et de par le cours des matières premières cuivre et acier, cette catégorie est sensible.
– Les aciers : c’est un marché de pénurie, avec des problèmes capacitaires dus à la croissance mondiale qui tire les besoins, mais aussi du fait de la loi anti-dumping de l’Union européenne sur les approvisionnements russes et chinois qui fait monter les prix.
– L’électronique : la sensibilité est liée à la hausse massive des prix des terres rares et du stock disponible, maîtrisé en grande partie par la Chine notamment au niveau des composants et microcontrôleurs. La reprise de la croissance mondiale met en avant des problèmes capacitaires des acteurs productifs liés, peut-être, à une volonté de leur part.
– L’unité extérieure : ce composant est impacté par la loi F-Gaz et les quotas de fluides disponibles.

Laurent Tardif

Pour Laurent Tardif, président de Prysmian group Europe du Sud, deux catégories d’achats nécessitent un niveau de vigilance accrue :
– Les achats de métaux non ferreux (cuivre, aluminium et plomb) que nous achetons sur le London Metal Exchange.
Nous avons peu de négociation possible et notre stratégie d’achat est de caler au maximum nos engagements de prix des câbles aux clients avec les prix d’achat des métaux non ferreux, ceci afin de minimiser les risques financiers.
– Les commodités regroupant les matières plastiques, et notamment le PVC ou le polyéthylène sous ses différentes formes et qualités. La sensibilité est liée à la matière première (pétrole) et, pour certains composants, à des situations de fournisseur unique.
D’autres commodités dont la valeur très faible sont stratégiques, car elles peuvent être à fort enjeu : un exemple une rupture d’approvisionnement d’une simple galette de papier peut bloquer une production.

Quelles bonnes pratiques, sourcing et relations fournisseurs ?

Laurent Mouchet

Laurent Mouchet, d’Aldes, illustre deux aspects : l’usage d’outils développés en interne par le service Achats (Procurement Intelligence pour le suivi des prospects) et l’évaluation de la santé financière des prospects et fournisseurs. Un suivi automatique des fournisseurs déjà référencés au panel est effectué également. Dans 99 % des cas, des audits sourcing sont réalisés pour valider ou non le choix d’un nouveau fournisseur. Pour les fournisseurs qui sont impliqués dans l’élaboration de nouvelles gammes, nous travaillons à les intégrer le plus en amont de la conception.

Pour Laurent Tardif, de Prysmian, deux points sont essentiels : une organisation achat très opérationnelle proche des centres de R&D et des usines.
Selon lui, pour assurer l’efficience du processus achat, trois étapes sont nécessaires et très structurantes :
– Les équipes achat qui négocient, contractualisent, effectuent les audits et notation, avec souvent des accords spécifiques dans le cadre de développement de nouvelles matières.
– Les usines qui déclenchent l’acte d’approvisionnement.
– La direction financière gère les paiements.


“Achats stratégiques, quels définitions et points clés”

Jean-Pierre Del Fondo

Jean-Pierre Del Fondo, Associate Partner au sein du cabinet BigFish International

« Dans une définition traditionnelle des achats stratégiques, ce sont les achats de production les plus importants en montant, et cela peut représenter 90 % des enjeux et entre 50 et 70 % des montants d’achats. »

Mais pour ma part, un achat stratégique est un achat :
– Qui a un impact sur la relation avec l’actionnariat ou le monde des experts financiers et de la Bourse (analyses, fonds, etc.) ;
– Qui a une incidence sur l’élasticité au prix, notamment par un écart de coût significatif (20 % et plus) sur le coût du produit fini et donc, sur l’augmentation du prix de vente ;
– Ou bien qui introduit une innovation ou une action qui donne une avance. Pour illustration, une innovation inaccessible à la concurrence avant un certain délai, ou une limite de capacité de production.
En ce cas, les achats représentent plutôt entre 15 et 20 % des montants d’achats et 60 à 80 % des enjeux. Les points clés sont alors pour cette nouvelle définition :
– Identification des produits et services acquis qui ont un impact d’annonce vis-à-vis des actionnaires et des marchés financiers. Pour exemple, un acteur du S&P500 a vu ses taux d’intérêt bancaires diminuer de 1,6 point de base après l’annonce d’un plan de réduction d’achat et d’une politique de développement durable. Ou encore, nous voyons régulièrement des cours boursiers monter après l’annonce d’un partenariat technologique (exemples : l’impression 3D, l’IoT).
– La concentration des acteurs marchés dans les domaines des matières premières et des composants semi-transformés amène également à faire face à des marchés oligopolistiques avec des enjeux géopolitiques et géostratégiques forts. Les stratégies d’achats doivent prendre à la fois des actions pour :
o maîtriser les risques court terme de volatilité des cours des matières premières et des monnaies ;
o gérer à moyen terme un panel fournisseurs dynamique et le plus concurrentiel possible ;
o établir une supply chain robuste avec les fournisseurs pour garantir la bonne exécution opérationnelle ;
o comprendre à moyen et long termes les mouvements des capitaux et d’actionnariats dans les différentes filières qui ont une incidence sur les stratégies achats et sur leur performance économique (notamment le risque de transfert des valeurs ajoutées dans la filière au profit des fournisseurs oligopolistiques).
– Il faut également prendre en compte :
o la raréfaction de certains éléments ou la création d’une perception de raréfaction ;
o la vitesse de changement du fait des technologies de disruption ;
o les concentrations des clients et les nouvelles formes de distributions ;
o les réseaux sociaux et leurs impacts à très court terme sur les ventes (risque sur l’image, phénomène de mode, influence des leaders d’opinion, etc.).


Jean-Pierre Del Fondo ajoute que pour les petits fournisseurs, qui sont souvent très nombreux dans le panel, il faut avoir une véritable approche de développement fournisseur pour les aider à croître, à ne pas avoir de crise de cash et/ou à être à l’abri de prédateurs (concurrents, acteurs créant des oligopoles ou simplement fonds d’investissement). Cela demande des profils de « gestionnaires de commodités » un peu différents, à forte capacité de gestion de projet et de gestion du changement, associée à une maîtrise des aspects de stratégies financières et actionnariales.

(c) Prysmian Groupe

Quelle veille technologique/technique, économique sur ces approvisionnements ?
La veille est essentielle et est assurée au travers des journées innovations fournisseurs, de notre service Innovation, des échanges/conférences, etc., illustre Laurent Mouchet, d’Aldes. Un pilotage des partenariats actuels et futurs est mis en place à différents niveaux de l’entreprise pour justement capter et assurer l’exclusivité Aldes. Et une communication est ciblée sur ces fournisseurs clés.

Des principes similaires pour Prysmian, où la veille fournisseur est clé, notamment pour identifier et intégrer des nouveaux fournisseurs porteurs d’innovations.

PEP, recyclage des produits, empreinte carbone, achats responsables : comment ces points clés entrent-ils dans la politique d’achats stratégiques ?
La RSE intervient et est mentionnée dans notre nouvelle politique Achats sous les champs localisation des fournisseurs (impact CO²) et pérennité des relations futures ou établies (champ social). Tous nos nouveaux produits intègrent des PEP. Les fournisseurs sont concernés directement par nos cahiers des charges.

Chez Prysmian, nous utilisons un indicateur, le “Dow Jones Sustainability Index” qui quantifie la dimension durable de nos produits et activités. Par exemple, maximiser la vente des déchets et donc le recyclage, augmenter la part d’achat d’énergies renouvelables, chercher à ne plus utiliser les fournisseurs qui ont un process d’électrolyse à base de mercure, insérer du polyéthylène recyclé le plus possible dans la fabrication, trouver des sources de matériaux de remplacement pour les matériaux non recyclables, etc. Cet index est l’un des indicateurs clés/KPIs de l’équipe, illustre Laurent Tardif.


Les terres rares pas si rares et autres métaux précieux

Les métaux rares, contrairement à ce que leur nom laisse à penser, sont rares non pas en quantité, mais… parce que leurs minerais sont en faible concentration dans le sous-sol, ce qui les rend difficiles à extraire.

Recyclage – un gros du gisement de métaux rares est immobilisé dans des produits qui seront en fin de vie d’ici 5 à 15 ans.

Les métaux rares regroupent près de 45 éléments chimiques différents. On trouve d’une part, l’ensemble des terres rares (le plus commun étant le néodyme), ainsi que différents métaux comme l’indium, l’antimoine, le lithium, le cobalt ou le gallium.
On les retrouve un peu partout dans les appareillages électriques et électroniques. La quantité de métaux rares nécessaire varie beaucoup selon les usages, ce qui complexifie les principes du recyclage : par exemple, le moteur d’une voiture électrique nécessite 1 kg de néodyme, et l’aimant d’une éolienne offshore, quelque 600 kg de néodyme. Et ceci avec des concentrations et des techniques multimatériaux très différentes d’un produit à l’autre, voire d’un fournisseur à un autre. Dans les écrans LCD, les quantités sont seulement de quelques grammes, mais qui restent à multiplier par le nombre d’écrans vendus à travers le monde.
La demande croissante et surtout la concentration de la production aux mains d’un seul pays, la Chine, ont engendré des augmentations très importantes et les prévisions sont à la hausse*. Leur recyclage, en fin de vie, est une dimension économique qui n’est pas encore bien prise en compte pour des produits utilisés en quantité souvent infome.
Les réserves mondiales s’élèvent à plus de 90 millions de tonnes pour une consommation annuelle estimée à 200 000 tonnes. Et, paradoxalement, elles sont réparties sur tout le globe, la Chine ne détenant qu’un tiers environ des réserves prouvées… mais répond à plus de 95 % de la demande mondiale.

* Selon l’étude du cabinet Adamas Intelligence (janvier 2018)

Politique achat 2018 et suivantes : Quels en sont les points majeurs, les perspectives et enjeux ?
Au sein du groupe Aldes, nous avons identifié trois enjeux majeurs :
– Manager les risques : dans un environnement de plus en plus changeant et incertain, les risques relatifs à nos activités (matières, devises, pays, défaillances fournisseur, capacitaires…) sont quotidiens. De plus, les risques pesant sur les capacités logistiques mondiales, les risques géopolitiques nous amènent à revoir les appros lointains.
– Capter l’innovation et la création de valeur : dans la recherche d’excellence opérationnelle attendue par nos clients, seule une base amont performante constituée des meilleurs fournisseurs de leur secteur pourra nous permettre d’atteindre cette cible. Nous devons choisir les meilleurs fournisseurs ou “Best in class suppliers” en adéquation avec nos besoins, mais également nous rendre désirable compte tenu de notre taille.
– Gérer la compétitivité : le contexte économique global nous oblige à revoir le modèle “Local Versus Lointain” et nous force à penser en TCO (ou coût global de possession).

(c) Aldes

Pour Laurent Tardif, de Prysmian, plusieurs dimensions sont à souligner :
– Éliminer les sources uniques chez les fournisseurs : une fois la nouvelle source identifiée, un incontournable travail d’équipe pour la requalification des produits est nécessaire.
– Gérer la disparition ou pallier les manques de matières premières pour des raisons réglementaires, par exemple certains composants désormais interdits liés à RoHS/REACH.
– Améliorer la réactivité globale de la supply chain, notamment produire plus vite et mieux, pour compenser la montée des prix de certaines matières premières.
– Surveiller les concentrations possibles entre fournisseurs et suivre la solidité financière des entreprises.

Jean-Pierre Del Fondo confirme également qu’un accroissement de la vigilance est requis aujourd’hui. Dans un monde sous tension et une vision court terme peu stable, les priorités sont sur la sécurisation et les opportunités d’innovation et de ruptures technologiques. L’absence d’anticipation est une source de grand risque pour les acteurs actuels, qui peuvent être dépassés du jour au lendemain et devenir une proie ou même simplement être appelés à disparaître. Pour exemple, nous pouvons prendre les marchés des terres rares et les mouvements de capitaux pour posséder les mines, ou encore, dans le secteur des aciers, l’arrêt de certains grades et indices au profit de nouveaux obligeant les industriels à une campagne de qualification des nouveaux produits et la prise en compte de certaines augmentations liées à cette politique de raréfaction de l’offre, rendue possible par la concentration des acteurs.

Confrères et compétiteurs : groupement d’achat ? recherche commune ?
Les groupements d’achat sont utilisés en premier lieu par les entreprises de taille moyenne dans une approche tactique, quand on pèse peu en puissance d’achat. Citons pour exemple le cas en association d’adhérents au Gicaf, tous installateurs de systèmes de climatisation et de réfrigération, chacun négocie dans son domaine d’excellence : matériel frigorifique, climatisation, électricité, fluides frigorifiques, etc. Les groupements (GIE, BPO…) peuvent représenter un pourcentage non négligeable du volume achat global, car ils permettent par ailleurs de focaliser les ressources de “category management” et de “Supplier Development” à forte valeur ajoutée, là où sont les enjeux stratégiques, complète Jean Pierre Del Fondo.
Jean-François Moreau

 

 

 

Filière 3e: