Les chiffres annoncés ces dernières semaines par les pouvoirs publics sont ambitieux : 5 millions de véhicules électriques circuleront en France en 2030. Et l’effort ne s’arrêtera pas là si on veut atteindre la fin de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre en 2040. L’enjeu, pour les infrastructures, sera de fournir à tous ces utilisateurs des points de recharge nombreux et bien répartis sur tout le territoire (pas de zones blanches pour les bornes), fiables et disponibles (le principal reproche des utilisateurs de VE aujourd’hui étant les bornes en panne ou indisponibles), adaptées à tous les types de recharge, de la recharge lente à domicile ou au bureau à la recharge ultrarapide lors de longs déplacements. La loi de transition énergétique fixe un objectif de près de 7 millions de points de recharge pour 2030, soit 700 000 bornes publiques et 6 millions de bornes privées.
Où en est-on aujourd’hui ?
Du côté des véhicules électriques, la progression des ventes continue : après un mois de septembre en hausse de 40 % par rapport à 2016, plus de 23 000 VE ont été immatriculés en France depuis le début de l’année. Auxquels il faut ajouter en 2017 plus de 57 700 véhicules hybrides. Ainsi, en mars 2017, la France a franchi le cap des 100 000 immatriculations de véhicules particuliers et utilitaires 100 % électriques. Pour l’Avere-France (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), ce nombre devrait atteindre 350 000 véhicules en 2020. Toutefois, la France n’atteint pas le score de la Norvège, où l’électrique a représenté 50 % des ventes en septembre 2017.
Heureusement, le parc des points de charge continue à progresser : à fin septembre 2017, plus de 20 000 chargeurs sont accessibles au public en France, selon le Gireve (Groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules) et l’Avere, répartis en plus de 7 200 stations, un nombre en progression de 35,5 % sur un an. À ces points de charge il faut en ajouter plus de 100 000 autres, installés chez les particuliers, les copropriétés et dans les entreprises.
Pour Bernard Guillarme, directeur commercial Activités IRVE de Schneider Electric, « le marché est en forte croissance dans la plupart des 50 pays dans lesquels Schneider Electric est présent pour cette activité de bornes de recharge et services associés. Mais cette croissance dépend beaucoup de la politique incitative de chaque gouvernement (prime, réglementation). En France, la forte croissance vient non seulement du domestique, mais aussi des copropriétés : depuis 2017, tout bâtiment neuf doit être pré-équipé pour l’installation de bornes, et pour les bâtiments anciens, il existe un “droit à la prise” depuis 2014 pour les propriétaires et locataires. Dans ce cas, il faut mettre en place un système de gestion de l’énergie. Le nombre de bornes voirie est aussi en forte augmentation par des initiatives locales, régionales ou nationales ».
Pour certains projets, dans le cadre d’appels à manifestation d’intérêt (AMI), l’Ademe peut attribuer des aides sous conditions à des collectivités locales pour leur projet de déploiement. Enedis accompagne également le déploiement de réseaux de bornes de collectivités territoriales, y compris lors du passage à des bus électriques.
Un cadre normatif et réglementaire complet
Des normes internationales CEI définissent les caractéristiques et contraintes de chacun des éléments de la chaîne : norme CEI 60851-22 pour la borne, CEI 61851 pour l’interface de charge et CEI 62196 pour l’interface de connexion. Les différents modes de charge et types de recharge ont été définis et permettent de comparer les solutions disponibles sur le marché.
– Mode 1 : charge sur prise domestique non dédiée en monophasé.
– Mode 2 : charge sur prise non dédiée avec dispositif de contrôle incorporé au câble.
– Mode 3 : charge sur prise dédiée de Type 2 ou 3 et contrôle intégré au coffret.
– Mode 4 : station en courant continu.
Aujourd’hui, les modes 3 et 4 qui garantissent un maximum de sécurité et des performances de charge optimales sont le plus souvent utilisés.
– Charge normale : 7 à 8 h pour une recharge totale pour une puissance de 3 à 7 kW.
– Charge accélérée : 1 h à 1 h 30 pour une recharge totale et une puissance de 22 kW.
– Charge rapide : 30 min pour une recharge à 43 kW en AC et 54 kW en DC.
– Charge ultrarapide pour des véhicules spécifiques : 30 min pour une puissance de 120 à 150 kW.
L’installation de bornes de recharge rapides et ultrarapides nécessite souvent un renforcement du réseau, en particulier lors de l’installation de « grappes » de bornes, leur puissance étant équivalente à celle d’un immeuble de 10 à 20 logements. D’où l’implication de plus en plus forte d’Enedis pour garantir la capacité du réseau à mettre à disposition des clients la puissance requise et la qualité de service.
Quant aux prises, leur normalisation est bien avancée au niveau international, la prise de Type 2 s’étant pratiquement imposée pour le Mode 3 au détriment de la prise Type 3. Pour la charge en continu, les prises Combo2 et Type 2 se généralisent au côté de la prise « japonaise » CHAdeMO Cette standardisation s’est faite en quelques années au niveau mondial alors qu’elle ne s’est jamais faite pour les prises domestiques.
Écosystème des véhicules électriques : quelles innovations ?
À première vue, les bornes et coffrets proposés par les différents fabricants (on peut citer sans être exhaustif : ABB, Atomelec, DBT, EV-Box, Hager, Lafon, Legrand, Schneider Electric) évoluent peu dans les trois grandes familles : coffret mural (Wallbox), borne de recharge et station de recharge. Pour Bernard Guillarme, « les fabricants travaillent à améliorer la fiabilité, la durabilité, la rapidité de dépannage et l’évolutivité des bornes (changement de prises, par exemple). Mais il faut aussi s’assurer que les bornes dialoguent avec tous les systèmes de gestion (Sodetrel ou Freshmile, par exemple). On fait des tests de compatibilité avec ces systèmes back-end dans les différents pays ».
La question de la montée en puissance des bornes se pose avec des batteries de plus en plus puissantes et le besoin pour les longs trajets de temps de recharge courts. Thierry Troncy, responsable marché Mobilité électrique de Lafon Technologies, confirme que « des acteurs demandent de passer à 150 kW, voire 350 kW pour des batteries qui montent de 20 à 50 ou 60 kW. Ces bornes de demain seront équipées de batteries pour fournir l’énergie et écrêter. Ces stations seront constituées de plusieurs modules : puissance (près des transformateurs), stockage par batteries et des satellites sur le parking pour la recharge/le paiement. Ces satellites seront équipés de dalles tactiles ou d’écrans digitaux média multiservices. Le stockage permettra le partage dans un système bidirectionnel relié au réseau ».
Car le déploiement massif de bornes risque bien d’entraîner des déséquilibres du réseau électrique. La solution sera le V2Grid (Vehicule-to-Grid), les VE devenant consommateurs et fournisseurs grâce à leurs batteries dans le cadre des projets de Smart Grid comme Smile, dans l’ouest de la France, que vient de rejoindre Honda avec son Honda Power Manager.
La start-up alsacienne EV Charger & Sol/SmartGreenCharge (finaliste des Global Game Changers Awards 2017 de Glasgow) propose une station de charge ultrarapide (10 minutes en moyenne), hors réseau, d’une puissance de 150-350 kW permettant de charger jusqu’à 24 véhicules simultanément.
Ces E-stations SmartGreenCharge produisent sur site une électricité 100 % durable grâce à des panneaux photovoltaïques et de petites éoliennes et s’installent en 12 semaines sans permis de construire sur un parking d’autoroute ou de supermarché.
Dans tous les cas, un pilotage intelligent de la recharge semble nécessaire dans l’habitat et le tertiaire (heures creuses/heures pleines, gestion de flotte, load managing, utilisation et stockage d’énergies renouvelables). Ainsi, le programme BienVEnu, mené par 8 partenaires en Île-de-France, est une solution simple de recharge et d’autopartage en habitat collectif existant. BienVEnu a pour objectif d’optimiser la recharge : côté énergétique, pour contrôler l’impact sur le réseau, et optimisation financière. La recharge intelligente doit permettre d’alléger la facture de cette recharge.
Des solutions se développent également pour contrôler la disponibilité des bornes. C’est ce que propose la société lyonnaise Hikob dont le système de détection sans fil et de contrôle en temps réel et à distance Instant IRVE va équiper les 850 bornes eborn installées par SPIE dans le Sud-Est.
Ce qui est sûr, c’est que l’intérêt de grands groupes pour le véhicule électrique et les services associés ne se dément pas :
– Shell vient de racheter Newmotion qui exploite plus de 30 000 bornes dans toute l’Europe ;
– Total prévoit d’installer des bornes de recharge dans 300 stations-service ;
– Renault vient de dévoiler son nouveau plan VE et lance Renault Energy Services, une filiale spécialisée dans l’énergie et la mobilité électriques (smart grids, recharge intelligente et seconde vie des batteries) ; filiale qui vient de racheter 25 % de Jedtix société spécialisée dans le « smart charging » ;
– Engie a racheté EV-Box, fabricant de bornes qui dispose d’une base de plus de 50 000 points de recharge en Europe ;
– EDF, via sa filiale Sodetrel, joue un rôle majeur dans le développement des réseaux de bornes et de smart grids.
Où en est la recharge sans fil ?
La recharge des VE sans fil par des systèmes à induction est une solution a priori séduisante, en évitant câbles, prises et bornes encombrantes dans l’espace urbain (et vulnérables au vandalisme). Le test de ce type de charge est l’un des axes de développement du projet MOVEO-TREVE et des recherches sont effectuées depuis plusieurs années par des constructeurs sans dépasser le stade d’expérimentation : le transfert d’énergie se fait entre l’infrastructure de base au sol et le chargeur sous le véhicule qui se gare au-dessus, un échange qui pourrait être bidirectionnel.
Une solution que BMW vient de présenter sous le nom de « BMW Wireless Charging ».
Cette technologie est développée par Qualcomm, avec un rendement énergétique proche des solutions avec câble, en équipant le véhicule d’un récepteur installé sous le plancher. Ce système Qualcomm Halo est aussi testé en situation de mobilité urbaine, permettant des recharges pendant la conduite, y compris sur autoroute. Dans ce projet auquel participe Renault, un système de recharge intégré à la chaussée permettra de recharger les batteries jusqu’à une vitesse de 100 km/h.
Y aura-t-il des autoroutes électrifiées en 2030 pour recharger sa batterie sur de longues distances sans s’arrêter à une borne ? On a envie d’y croire.
Jean-Paul Beaudet