Rendu obligatoire par la RT 2012 et prévu dans la mise en place d’une démarche de gestion de l’énergie ISO 50001, le comptage énergétique investit progressivement les bâtiments. Mais bien qu’obligatoire, il peine à se généraliser, comme l’explique Thierry Chambon, président d’Energisme : « Le comptage, qui permet de réaliser de vraies économies, n’est pas suffisamment répandu. Certains bâtiments ont un potentiel énorme, mais il est essentiel, pour agir sur leurs consommations, de mettre en place une vraie démarche, en effectuant un pré-diagnostic, puis en formalisant un plan de comptage, avant de vérifier les résultats obtenus. »
Identifier les gains énergétiques potentiels
Aujourd’hui, le comptage permet, entre autres, de faire de la maintenance prédictive, manuelle ou automatique : « Le principal enjeu du comptage est de moins consommer, mais aussi de mieux répartir les consommations, d’augmenter le ROI tout en étant pérenne sur l’investissement et, enfin, de mieux suivre la conformité du bâtiment », précise Thierry Vajsman, responsable infrastructures urbaines chez Phoenix Contact. Le comptage permet également d’éviter les dérives, comme l’éclairage ou les convecteurs non éteints, et de les cartographier.
Les motivations des gestionnaires à mettre en place une démarche de suivi énergétique sont donc diverses : « L’objectif peut être de mieux adapter les systèmes et d’en améliorer la gestion, en identifiant les fuites et les surconsommations par exemple, ce qui peut s’avérer utile si l’on souhaite mettre en place une maintenance préventive. Une autre motivation, pour les bâtiments industriels, est de connaître les périodes de consommations énergétiques pour gérer l’effacement et limiter les pics de consommation. Il peut également s’agir d’un suivi au quotidien pour garantir les performances du bâtiment. Enfin, le suivi des consommations est fixé par la directive européenne du 25 octobre 2012 (2012/27/UE), qui prévoit l’arrivée des compteurs communicants et l’individualisation des frais de chauffage », explique Jonathan Villot, maître-assistant à l’école nationale supérieure des Mines de Saint-Étienne.
Les solutions fleurissent
« Chez Phoenix Contact, nous fabriquons et commercialisons des modules d’acquisition, qui se comportent comme l’équivalent de centrales de mesures. L’équipement collecte les points de mesures, met en forme les données, ces dernières seront consultables sur une interface Web. Les équipements installés et le traitement d’informations, plus ou moins sophistiqué, dépendent des besoins déterminés lors de l’élaboration du cahier des charges client et de l’analyse fonctionnelle », décrit Thierry Vajsman, de Phoenix Contact. L’objectif est donc de faire remonter les informations des capteurs vers les automates de traitement. « Ces derniers sont à l’origine des équipements vides, auxquels nous ajoutons des briques selon les applications et les besoins. Notre première solution, EM-Log, est un système d’acquisition et de mise en forme des mesures qui permet un monitoring, un data logging des informations recueillies, l’ensemble étant exploitable via un serveur Web ou une supervision. La deuxième solution se compose de contrôleurs programmables de la gamme ILC1xxx qui proposent, grâce à l’utilisation de blocs fonctionnels, une programmation applicative du besoin. Enfin, la nouvelle génération d’automate ILC 2050 BI sur base Niagara permet le monitoring, l’analytique et le pilotage en fonction des besoins spécifiques », poursuit l’expert.
Comptage et IoT
Le comptage énergétique s’intègre aujourd’hui à l’univers des objets connectés, faisant entrer les bâtiments dans l’ère de la « Smart City ». Daniel Zotti, président d’Occitaline et fondateur et ancien CEO de Newron System, nous décrit la solution développée par son entreprise : « Ox-Line IoT est un capteur programmable qui acquiert à la fois les informations relatives aux consommations énergétiques au point de livraison à partir de la liaison TIC du compteur Enedis et des sous-compteurs Modbus. ». Ces produits se projettent dans un environnement smart building et Smart City en permettant, par exemple pour les communes, de monitorer les consommations d’énergie et d’apporter des informations d’alertes, notamment sur la disjonction. Les informations remontent selon leur pertinence, cycliquement, et au besoin sur événement pour les alarmes. Il s’agit ici d’une solution intégrée, permettant d’optimiser l’utilisation de la bande passante fixée à 1 % par les opérateurs. « Les informations acquises sont transmises en LoRaWAN, qui intègre intrinsèquement, dans le cadre de la cybersécurité, un cryptage à 3 niveaux. Cette solution a été mise en œuvre par un de nos clients, Dauphine Savoie Maintenance Services DSMS (groupement Vinci Energies). Pour le suivi d’un contrat de performance énergétique, il a choisi la télérelève IoT LoRaWAN de sous-compteurs d’énergie électrique EIA-485 Modbus toutes les 10 minutes.. L’Ox-Line IoT stocke les informations acquises sur une carte micro SD extractible. À terme, nous proposerons une fonction permettant la post-transmission de sections d’enregistrement en nous fixant pour objectif une garantie de la transmission de l’ensemble des informations sur une durée mini de 24 heures », précise Daniel Zotti. Ces solutions permettent également de faire de l’effacement des consommations, en délestant en cas de dépassement de puissance. « Notre objectif n’est pas de proposer un produit aux fonctionnalités figées, mais programmable, que les exploitants peuvent s’approprier selon leurs besoins, un kit de développement est d’ores et déjà disponible. Il s’agit d’un produit générique adaptable », poursuit le président d’Occitaline.
Sans oublier l’analyse
La question de l’analyse et de l’accès aux données est centrale. Energisme a pour cela développé une plateforme, comme le précise son président Thierry Chambon : « Nous éditons une plateforme big data et IoT dédiée à l’énergie, qui a obtenu le Prix de l’Innovation 2017 de Bpifrance. Cette plateforme a pour objectif de collecter, traiter et permettre aux entreprises et acteurs publics de piloter leurs données énergétiques. Nous nous basons, par exemple, sur les données de factures, que nous numérisons pour constituer des tableaux de bord. Nous considérons que le sujet des factures est central, notamment pour les clients qui disposent d’un grand nombre de bâtiments, et qui ont souscrit des contrats chez différents fournisseurs d’énergie », explique Thierry Chambon. « Nous réalisons avec le client un plan de comptage, qui définit les données à collecter et l’objectif de cette collecte afin de nous assurer que les datas collectées correspondent bien à la réalité. Nous nous basons également, par exemple, sur le Top 10 Enedis, envoyé toutes les 10 minutes par les compteurs électriques et qui permet de connaître la structure précise des consommations (courbe de charge), à savoir la nature de la consommation, l’usage auquel elle était destinée et la quantité consommée », explique l’expert. Aujourd’hui, les gestionnaires de bâtiments tertiaires et industriels ne connaissent pas de manière précise leurs consommations : « Nous nous appuyons, pour leur fournir ces informations, sur un socle technologique constitué de notre plateforme « Energisme » et de ses briques complémentaires, à ajouter selon les besoins de nos clients et leurs besoins d’évolution : numérisation des factures, Top 10 Enedis, boîtiers intelligents (IoT), points de livraison, sous-comptage, analyse, intelligence artificielle ou encore blockchain », poursuit l’expert. Mais rappelons que le comptage énergétique n’est qu’un outil et qu’il est essentiel de mettre en place un plan d’action à l’issue de cette démarche.
D’autres méthodes existent dans les territoires
Il existe une autre méthode pour estimer les consommations énergétiques. Celle-ci est dite « par archétype », comme nous l’explique Jonathan Villot : « Dans cette méthode, l’objectif est de définir des typologies de bâtiments par des experts (architectes thermiciens…), de réaliser des simulations thermiques et d’en déduire la performance énergétique. Les différents bâtiments sont ensuite catégorisés par archétype et une valeur de consommation est appliquée à chaque de ces derniers. » Il s’agit donc de modèles physiques de mise à l’échelle pour déterminer les consommations par bâtiment, par quartier et par territoire.
Quid de l’effet rebond ?
Cependant, l’ensemble des capteurs et contrôleurs qui suivent les consommations peut générer un effet rebond sur ces dernières. Mais cette période de surconsommation n’est que temporaire, selon Thierry Vajsman : « Depuis la RT 2012 et l’ISO 50 001, les entreprises privées ou publiques doivent nommer un responsable chargé de mettre en œuvre des systèmes pour améliorer la consommation énergétique du ou des bâtiments. Pendant la première année, nous observons parfois une augmentation des consommations, due aux nouveaux équipements installés. Les économies énergétiques arrivent dans un deuxième temps, une fois les premiers leviers d’action activés. Aujourd’hui, il n’est pas concevable d’investir dans le comptage énergétique sans prévoir de plans d’action sur la base des résultats obtenus. » Sur cette question de la consommation des automatismes assurant le comptage énergétique, Daniel Zotti apporte une précision : « Seuls les compteurs d’énergie répondent aux exigences du chapitre de la norme ISO 50001 (vérification surveillance mesure et analyse) et du guide d’usage de la mesure du Gimélec. C’est précisément pour ces raisons que la majorité de nos clients opte pour un routeur Oxtopus combinant les ports de communication LonWorks et Modbus. » Enfin, l’expert rappelle une règle à suivre impérativement pour assurer une installation saine, efficace, facile à maintenir et à coûts maîtrisés : celle de l’interopérabilité des équipements.
De son côté, Thierry Chambon est catégorique : « Non, les capteurs et les contrôleurs consomment très peu et ne peuvent pas, si l’installation est bien dimensionnée, générer des surconsommations. Beaucoup de bâtiments sont truffés de capteurs en raison d’un mauvais dimensionnement. Il est essentiel de suivre scrupuleusement le plan de comptage pour savoir ce que l’on veut mesurer et s’assurer des bons réglages, comme celui de l’horodatage, pour suivre au mieux les consommations dans le temps ». Et de poursuivre : « Souvent, des bâtiments équipés de foules de capteurs font ressortir des chiffres fantaisistes. Il est essentiel de bien régler les équipements et d’effectuer le travail d’analyse des données, sans quoi les résultats sont très vite inexploitables. Il s’agit là d’un véritable facteur clé de succès pour une installation ». Et Thierry Chambon de conclure : « En moyenne, la consommation représente 1/3 de la puissance installée, les installations sont donc mal dimensionnées et les clients payent plus cher qu’ils ne devraient. Le comptage permet donc, en dimensionnant l’installation, de souscrire à un contrat plus représentatif de leurs consommations. Connaître leurs consommations permet également aux gestionnaires de bâtiments de faire de l’effacement en périodes de pointe ».
PAROLE D’EXPERT
Jonathan Villot, maître-assistant à Mines Saint-Étienne a signé une thèse sur les freins et leviers liés à la rénovation énergétique des bâtiments anciens et est aujourd’hui responsable d’un cycle de Mastère Spécialisé visant à former les experts en efficacité énergétique de demain.
Aujourd’hui, ses travaux concernent les collectivités et notamment comment ces dernières répondent aux enjeux de la massification des rénovations : « L’objet de nos recherches est d’aider les décideurs à augmenter la cadence des rénovations. Aujourd’hui, ils s’appuient principalement sur les plateformes de rénovation énergétique, qui sont des guichets uniques permettant d’aider les personnes désireuses d’améliorer la performance énergétique de leur logement ou de leur bâtiment. Ces plateformes accompagnent les habitants sur les offres de financement, d’audit, et les aident dans leurs démarches. La limite de ce dispositif est qu’il repose principalement sur le ‘volontariat’ des habitants. Ce sont ces derniers qui contactent les plateformes. Or avec cette démarche, les objectifs restent encore en deçà de la cible, et certains ménages notamment les plus précaires n’appellent que rarement les plateformes et ne sont donc pas touchés par le dispositif. Dans cette optique, nous avons donc développé un outil pour que les collectivités puissent géolocaliser les bâtiments qu’elles jugent prioritaires, qu’il s’agisse de personnes précaires, de logements insalubres ou de copropriétés ayant des caractéristiques précises », explique l’expert. Ce projet, baptisé IMOPE (Inventaire Multi-échelle et Open data du Potentiel Énergétique d’un territoire), s’inscrit dans la démarche « Digital Saint-Étienne » portée par la ville de Saint-Étienne et Saint-Étienne Métropole. « Nous créons donc un outil de Web-mapping, accessible via un navigateur Web, donnant accès aux informations selon les droits de l’utilisateur », poursuit Jonathan Villot. Ce site agrège des données (IGN, MAJIC, INSEE…) à l’échelle du bâtiment, du quartier ou de la commune, et propose près d’une vingtaine de critères. Certaines informations manquantes, comme l’étiquette énergétique (DPE), sont estimées : « Nous utilisons un algorithme développé par les Mines de Saint-Étienne, basé sur les informations fournies par l’observatoire DPE. Elles font la relation avec des éléments techniques pour réestimer la consommation du bâtiment. À l’échelle du bâtiment, et du quartier, les informations font l’objet d’une vérification, par le biais de l’agence locale de l’énergie et du climat de la Loire (ALEC42) », précise l’expert. Des discussions sont en cours pour affiner les estimations de consommations énergétiques, en se basant sur les données collectées par les compteurs intelligents. « La plupart des collectivités définissent des objectifs précis en termes de rénovation. Pour autant, ces objectifs restent difficiles à atteindre faute d’informations précises et accessibles facilement sur les bâtiments. L’objectif est donc de créer un tableau de bord communal, répertoriant les caractéristiques des logements : logements précaires, insalubres, etc. Aujourd’hui, le tableau de bord communal donne des informations à l’échelle du bâtiment mais aussi du quartier, de la ville et de la métropole. »
Connaître les consommations énergétiques d’un bâtiment s’avère donc être un enjeu stratégique. En plus des obligations définies par la loi de suivre les consommations énergétiques des bâtiments, le comptage, suivi de plans d’action concrets, favorise la performance énergétique du bâti en révélant les principaux leviers d’action. Mais le comptage n’est vraiment efficace que lorsqu’il est accompagné d’un système de pilotage, comme une GTB. Une fois ces conditions réunies, le bâtiment devient alors « smart ».
Alexandre Arène