Parcs et jardins : interview de Philipps Deliau, paysagiste (ALEP) – Parc Flaubert, Grenoble (Concepto) – Château de Versailles (LEA et Citéos).
Libéré pendant longtemps des contraintes en matière de normes en termes de niveaux d’éclairement (hormis la règlementation PMR), l’éclairage des parcs et jardins a pris ses aises, donnant lieu, dans un passé pas si lointain, à des illuminations « intempestives » et pas très « vertes », qui attiraient l’attention des amoureux de la nature et des astronomes. Désormais, la norme NF XP X 90-013 relative aux nuisances lumineuses vient limiter les débordements en la matière.
En parallèle des analyses fines des espaces et des études d’éclairage, de plus en plus souvent réalisées en étroite concertation entre paysagistes et concepteurs lumière, une prise de conscience accrue des maîtres d’ouvrage depuis le Grenelle de l’environnement, de même que le développement de produits peu énergivores et miniaturisés, ont permis de porter un autre regard sur les installations lumineuses des parcs et jardins. Ces évolutions offrent aujourd’hui un nouveau paysage nocturne, où les jeux de clairs-obscurs associent respect de la biodiversité et confort des usagers, au sein d’installations mettant en oeuvre des matériels durables et performants.
NATURALITÉ ET AMBIANCES NOCTURNES
L’Atelier Lieux Et Paysages, qui emploie douze personnes, aménage des sites à vocation naturaliste, souvent ouverts au public, et des parcs et jardins d’exception. C’est en ces termes que Philippe Deliau présente son agence : « Nous formons une équipe pluridisciplinaire associant paysagistes, architectes scénographes, botanistes. » Autant d’acteurs majeurs auxquels il convient d’ajouter les concepteurs lumière, qui interviennent de plus en plus à ses côtés dans la définition d’éclairages respectueux de la nature.
Votre envie de naturalité est-elle toujours compatible avec la mise en lumière des paysages ?
Philippe Deliau – Lorsque j’ai débuté dans mon métier, auprès de Gilles Clément, j’ai été confronté à une mise en lumière réalisée par un nonspécialiste et avec peu de discernement, qui écrasait littéralement le paysage, par ailleurs remarquable, de jour. J’ai su à ce moment-là ce qu’il ne fallait pas faire ! En 2003, lorsque j’ai créé ALEP avec Juliette Hafteck, éclairer les parcs ou les jardins ne concernait que très peu de sites. D’une part, parce que les budgets ne le permettaient pas, et d’autre part, parce que ces lieux étaient très peu ouverts au public la nuit. Au fil des années, les habitudes ont changé et aujourd’hui, les maîtres d’ouvrage souhaitent « faire voir » ces sites au public. Notre rôle consiste alors à prolonger leur histoire la nuit, tout en proposant un accueil agréable au visiteur sans nuire à cette naturalité qui me tient à cœur. C’est pour cette raison que j’associe presque systématiquement un concepteur lumière aux réalisations qui sont éclairées.
Comment abordez-vous l’étude de ces mises en lumière ?
Philippe Deliau – Mon approche est fondée sur la logique des sites. Il y a ceux que l’on doit laisser dans l’ombre afin que la nature conserve ses droits, aussi bien en ce qui concerne la faune que la flore qui ont besoin de l’obscurité pour survivre. D’autres peuvent être ouverts exceptionnellement au public, donc la lumière, comme l’aménagement paysager, doit accompagner le parcours du visiteur dans cette zone de transition entre urbanité et nature et apporter un service comme sur le site d’Arjuzanx (Landes), par exemple. Pour le Jardin d’acclimatation, la problématique est autre ; nous sommes face à deux univers qui se côtoient, le parc et la Fondation Louis Vuitton ; les lumières de l’un s’arrêtent où l’architecture de l’autre commence ; elles ne rivalisent pas entre elles, mais servent un même objectif : offrir un environnement lumineux en harmonie avec la fonction du lieu et un éclairage qui procure un bien-être aux visiteurs.
D’autres espaces encore ont besoin d’une scénographie lumineuse. Je pense notamment au sanctuaire de Lourdes, mis en lumière par Sara Castagné (LUMINOcité). Le site présente des zones d’accueil, de recueillement, de prière et de déambulation pour un public très dense, et il fonctionne toute la nuit. L’éclairage s’inspire de la symbolique du lieu et met en condition les nombreux pèlerins dans leurs parcours et expérience spirituelle. Dans un autre registre, les Écluses de Fonseranes (conception lumière LUMINOcité), construites en 1680, ne pouvaient être éclairées que par des ambiances douces qui, pourtant, les mettent en scène de façon presque festive. Au-delà du savoir-faire technique, je recherche cette sensibilité au paysage ; il faut le comprendre pour en raconter l’histoire. Dans les jardins privés, c’est encore une autre approche, qui nécessite une méthode bien adaptée et du temps.
En quoi vos interventions se distinguent-elles dans les aménagements privés ?
Philippe Deliau – Tout d’abord, nous ne travaillons pas à la même échelle et les problèmes techniques, notamment le passage des câbles en souterrain, sont compliqués, voire impossibles. Il faut avoir recours à des astuces. Il m’arrive souvent de m’adresser à l’atelier JWP (Jean-Philippe Weimer) qui crée, fabrique et installe des luminaires sur mesure dont les formes imitent celles de fleurs, de plantes, de pierre… Il a même conçu des lianes enfermant les câbles qui s’enroulent autour des arbres en se fondant dans la végétation. Tout est une question d’harmonie dans le choix des matériaux, des formes et des couleurs. A ce sujet, je pense que l’utilisation de lumières colorées reste discutable.
Pourtant, vous évoquiez les couleurs des Ecluses de Fonseranes avec un certain enthousiasme…
Philippe Deliau – Tout à fait, le travail de Sara Castagné m’a réconcilié avec la couleur associée au végétal. J’ai découvert comment il était possible de la moduler, de la faire varier. En 2000, lorsque James Turrell avait éclairé le pont du Gard, je me souviens de la surprise des spectateurs qui s’attendaient à un « feu d’artifice » alors que le tableau qu’ils découvraient n’était que nuances de rose pastel ! Avec les technologies d’aujourd’hui, la couleur dans les éclairages de parcs et jardins devient un outil très intéressant, à condition de savoir comment l’utiliser sans nuire au paysage nocturne…
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PARC FLAUBERT GRENOBLE
Loin de vouloir éclairer la totalité du parc, le concept lumière crée des repères nocturnes visibles dans le quartier et des ambiances lumineuses, agréables ou surprenantes, qui répondent aux différents espaces. Cette mise en lumière relie visuellement les accès majeurs et offre au parc une image nocturne à la fois attractive et diverse, facilement identifiable dans les perspectives, appropriable de près dans les usages et les déambulations de proximité, et agréable de loin depuis les immeubles riverains. Les accès au parc sont éclairés par des colonnes lumineuses légèrement colorées, tandis que des mâts, équipés de 4 modules à LED de 17 W, en blanc 3 600 K ou rouge, signalent et signent le faisceau d’échanges des rails de chemin de fer.
Le niveau lumineux moyen déprécié sur les circulations piétonnes est de 7,5 lux et de 5 lux sur le terrain de jeux.
La piste cyclable et les allées bénéficient d’un éclairage blanc de teinte chaude (2 800 K) réalisé à partir de luminaires disposés sur des mâts de 6 m de haut. Les anciens tracés des voies ferrées et les terrains de jeux sont soulignés par un balisage à LED pourpre (couleur typique de la signalétique ferroviaire), de manière à décrire d’agréables trajectoires lumineuses qui viennent souligner la nuit les reliefs et les mouvements de sol. Un choix chromatique qui préserve la biodiversité, grâce à une gamme non agressive pour les espèces animales et végétales présentes sur le site. Un système de gradation permet de baisser les niveaux lumineux en cœur de nuit et de maîtriser ainsi les consommations.
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LES LUMIERES DE VERSAILLES
Dans le cadre des Grandes Eaux Nocturnes, la société Château de Versailles Spectacles a confié à Laurent Fachard (LEA) la mission d’élaborer un « Plan guide des mises en lumière et illuminations du jardin royal et du château », avec pour objectif la rénovation des installations d’éclairage dans un souci de pérennité et d’économies.
Chaque année, de nouvelles créations lumière transforment le site en un divertissement nocturne exceptionnel. « La trame dramaturgique du plan lumière repose sur la puissance d’expression de chaque lieu et s’appuie sur sa propre scénographie paysagère dans l’expression symbolique de la mythologie qui l’habite », commente Laurent Fachard. Les premières transformations ont permis de mettre en lumière le bassin de Latone rénové, de pérenniser l’illumination de la façade ouest du château et de compléter la perspective du grand axe et de l’allée royale. Les 1 500 foyers lumineux sont asservis point par point en dynamique et reproduisent le tremblement des flammes originelles des lanternes d’autrefois. L’architecture et la statuaire sont traitées en teinte chaude, proche de la flamme, la végétation en teinte froide, seules les fontaines chantent la couleur.
Mécène depuis trois ans, Citeos met en œuvre le concept artistique et rénove l’installation électrique des espaces considérés. « Nous avons dû intervenir au préalable sur les câbles dans les galeries souterraines afin de les changer ou de les restaurer, installer de nouvelles armoires aux normes actuelles et adaptées aux systèmes de pilotage des éclairages dynamiques, explique Anne-Catherine Sublon, chef d’entreprise Citeos IDF Grands Projets. Dans un deuxième temps, nous avons positionné les projecteurs, en concertation avec Laurent Fachard, de façon à ce qu’ils répondent au mieux aux effets souhaités – orientation, changements de couleur, synchronisation des signaux – et qu’ils ne soient pas visibles des visiteurs. »
Le bassin de Neptune, à lui seul, fait appel à 90 projecteurs, chacun relié à un câble, ce qui a nécessité un travail à la fois titanesque et précis des techniciens dans des conditions parfois difficiles, en opérant dans l’eau. En effet, vider les bassins était impossible car la montée des eaux après l’installation des appareils risquait de les déplacer. « Nous avons réalisé les connexions dans des boîtes étanches en laiton dans lesquelles venaient se fixer des presse-étoupe », précise Anne-Catherine Sublon.
Tous les luminaires sont à LED, ce qui facilite le pilotage de l’éclairage dynamique et permet de reproduire le scintillement des chandelles qui animaient les fêtes de Louis XIV ainsi que le contrôle des flux lumineux. Ce projet répond ainsi aux critères de développement durable tant par la programmation des allumages et les faibles consommations des sources que par les matériaux mis en œuvre pour leur installation. Les Grandes Eaux Nocturnes ont lieu tous les samedis soir de mi-juin à mi-septembre.