Notre vision de la lumière et de l’éclairage a une histoire que l’on peut lire à travers la description des pratiques liées à la lumière au fil des cultures et au cours des âges. Cette expérience culturelle constitue une base quant à la capacité d’élaborer une lumière de qualité.
Par Richard Zarytkiewicz
Consultant en éclairage et enseignant
L’approche de la lumière
La vision personnelle du concepteur lumière fait partie du processus de conception du projet d’éclairage. Elle résulte d’une synthèse de sa capacité d’observation et de son expérience culturelle, associées à ses connaissances professionnelles ainsi qu’à son expérience du traitement des espaces architecturés, plus ou moins additionnée, selon le cas, de son approche artistique. Elle se construit à partir d’impressions et d’expériences, individuelles et collectives, agrémentées des témoignages de la pratique de la lumière qui nous sont transmis, décrits et fréquemment soigneusement documentés, par l’histoire des disciplines utilisant la lumière comme mode d’expression comme l’architecture, le théâtre, la peinture, le cinéma et la photographie et l’éclairage architectural.
C’est pourquoi le contenu de l’enseignement de la lumière ne se limite pas aux connaissances scientifiques, architecturales, comportementales ou à celles se référant à la construction du projet: il doit également comporter une part d’éducation à la construction et à l’élaboration de nos impressions en termes de lumière. Transmettre une impression de lumière n’est pas un exercice facile. La compréhension de la lumière nécessite la capacité de fixer les images de lumière dans l’esprit de son auditoire.
Écoutons Richard Kelly parler de l’éclat focal en utilisant de nombreux exemples de différentes natures :
« L’éclat focal c’est le feu de camps de tous les temps… », « …c’est le projecteur de poursuite de la scène moderne… », « …ou l’atmosphère lumineuse qui baigne votre fauteuil de lecture favori… », «…le rayon de lumière qui réchauffe la dernière portion de la vallée ». [1]
Il a ainsi démontré combien il était important pour imprimer les impressions lumineuses dans les esprits, d’utiliser des images fortes associées à des situations variées pour arriver finalement à décrire un effet lumineux et le fixer dans les esprits.
Parler de la lumière nécessite de gagner son assistance à sa cause en faisant entrer dans l’esprit de chaque auditeur une sélection d’informations distinctes, de provenances variées, seulement faites d’impressions. Une sélection attentive d’exemples éloquents deviendra ainsi le meilleur instrument pour atteindre à coup sûr la cible en offrant une palette étendue d’hypothèses visuelles. Bien entendu, et encore plus parce leur rôle est de véhiculer des impressions visuelles destinées à devenir instantanément persistantes dans la tête de chacun, les images de lumières doivent faire l’objet d’une documentation claire et précise, surtout quand elles ne sont pas accompagnées d’une renommée notoire.
En ce qui me concerne, et afin de mieux garantir la bonne qualité des informations que j’utilise, je les extraits de notre environnement culturel commun (peinture, architecture, cinéma, photographie, réalisations d’éclairage architectural), en ayant soin de réintroduire, lorsque cela est nécessaire les notions historiques indispensables.
Quels sont les moyens utilisés dans la construction de cette approche et quelles sont ses objectifs ?
– La recherche d’exemples tirés de l’illustration de disciplines témoignant de l’exploration des nombreuses possibilités de la lumière dans différentes civilisations est la toute première étape à franchir.
– Il faut ensuite fournir une description illustrée de l’environnement lumineux à travers l’histoire en suivant le fil conducteur de la manière dont la lumière a été utilisée au fil du temps non seulement dans l’architecture mais également dans toutes les disciplines ayant contribué ou témoigné du développement de notre vision actuelle de la lumière ou/et à l’élaboration des instruments et des techniques d’éclairage telles le théâtre, la peinture, la photographie, le cinéma et même la littérature.
– Son but est de construire un inventaire ordonné des environnements lumineux et de la représentation de la lumière à travers les âges.
– Elle trace un portrait de ce que la vision culturelle de la lumière signifie.
C’est donc un entraînement intellectuel autant qu’émotionnel à l’impression lumineuse. Celui-ci vise à déposer dans notre imaginaire des marquages qui nous permettent de mieux mémoriser et répertorier les usages, les souvenirs, les expériences vécues lors de l’observation de scènes éclairées. Cette méthode impose bien entendu l’analyse de chacune d’entre elles afin d’amener l’élève ou le stagiaire à se construire un catalogue d’émotions et de scènes utilisables professionnellement. On l’amène ainsi à se fabriquer sa propre vision de la lumière en structurant ses propres expériences visuelles afin d’apprendre ensuite à l’utiliser pour la production d’idées nouvelles.
La construction de l’histoire de la vision de la lumière
C’est à travers chacun des messages que les civilisations ont été à même de produire au fil du temps en termes d’expériences visuelles, de technologie ou de pratique artistique, que nous sommes en mesure d’observer la manière dont la lumière intervient dans l’existence des peuples, dans leur vie quotidienne ou plus occasionnellement par leur confrontation avec des exemples significatifs d’architecture ou de représentations artistiques. Ces observations nécessitent bien sûr d’être analysées à la lueur des conditions sociales, économiques, territoriales ou culturelles.
Depuis les témoignages les plus anciens jusqu’aux exemples les plus récents, la connaissance des outils d’éclairage, celle de l’art pictural, de l’histoire de l’architecture, de l’éclairage de théâtre, de cinéma, de la photographie, voire même celle des textes religieux et philosophiques, met devant nos yeux un panorama de la vision de la lumière avec lesquelles les populations ont été confrontées à travers les âges. Tous ces éléments nous donnent la possibilité de suivre ce qu’a été pour l’humanité l’évolution de la vision de la lumière et des pratiques d’éclairage jusqu’à celle représentative de la conception lumière contemporaines. Au terme de ces patientes observations, il se produit qu’à la longue, en mettant bout à bout toutes ces informations, on se trouve tout simplement en face de ce que l’on peut appeler une histoire de la vision de la lumière.
[1] Intervention de Richard Kelly à la conférence sur l’éclairage architectural à la School of Design of North Carolina State College, ex https://iesnyc.starchapter.com, Richard Kelly Selected Works, c May 8, 2007, The Richard Kelly Grant.