Depuis Caravaggio jusqu’aux traductions modernes du caravagisme
Par Richard Zarytkiewicz
Consultant en éclairage et enseignant
Vers la fin du XVIe siècle, c’est un artiste tel que Michelangelo Merisi da Caravaggio et, à sa suite, tous ceux que l’on appellera plus tard les caravagistes qui nous ont transmis une vision sophistiquée de la lumière à travers leurs œuvres.
Doit-on céder à la tentation d’établir une relation entre les connaissances développées dans le cadre du théâtre italien de ce temps et la capacité extraordinaire que nous a démontrée cet artiste quant à l’élaboration de la lumière ? Les dernières recherches sur ce thème semblent converger vers la démonstration d’un tel postulat. Dans tous les cas, il ne fait aucun doute que Caravaggio travailla intensément en déployant une énergie peu commune à la maîtrise de la lumière qu’il entendait nous montrer dans ses œuvres.
Le tableau Marthe et Madeleine, ou la Conversion de Madeleine (Rome 1598), conservé à l’Institute of Arts de Detroit (USA), dans lequel Marthe indique, tout aussi clairement que nonchalamment de son doigt, le reflet de la source de lumière éclairant la scène (probablement une quelconque fenêtre située dans la partie supérieure de l’atelier), semble constituer une déclaration sans équivoque de l’intention qu’avait l’artiste d’utiliser la lumière comme l’instrument principal de son art, en même temps que la scénographie, le pinceau et les couleurs dans la construction d’une traduction visuelle des scènes évoquées.
Susan Grindy de l’université de Pretoria nous dit que “Caravaggio était entouré de gens possédant des connaissances dans le domaine de l’optique ou bien qui effectuaient de recherches sur ce phénomène.” [1]
Rossella Vodret (Directeur du Polo Museale di Roma) à l’occasion de l’exposition “Caravaggio, la Bottega del Genio” (Rome, Palazzo Venezia décembre 2010 – mai 2011) a réalisé un certain nombre d’expériences consacrées à l’utilisation de la lumière et de lentilles optiques, visant à concentrer la lumière naturelle sur les scènes qu’il s’employait à représenter[2].
« Je pense que Caravaggio a été le premier metteur en scène de l’histoire de l’art » nous dit Rossella Vodret [3]. Vittorio Storaro, le grand directeur de la photographie (Apocalypse Now, Reds, Le dernier empereur, etc.), a eu l’opportunité de travailler en contact étroit avec les intentions de Caravaggio lorsqu’il eut à élaborer la lumière d’une grande œuvre de fiction produite par la RAI (la radio télévision italienne) ; il le décrit comme un modèle pour tout réalisateur de cinéma (“il cineasta in assoluto”, le cinéaste absolu)[4], pour sa technique de construction du cadrage des scènes qu’il peignait, ainsi que pour sa capacité à choisir le scenario de lumière qu’il utiliserait dans chaque tableau.
Ainsi, en contemplant ses œuvres, nous nous retrouvons donc en face d’un travail digne d’un réalisateur de cinéma emblématique, voire en face du travail du premier éclairagiste ou concepteur lumière. Probablement serons-nous à même d’en apprendre plus sur le sujet dans le futur.
Dans tous les cas, il ne fait aucun doute que nombre de scènes représentées par Caravaggio et les caravagistes sont un témoignage surprenant des aspirations de la vision de la lumière de cette époque et ont eu de surcroît une influence jusque sur les professionnels de l’éclairage des XXe/XXIe siècles.
[1] Article Caravaggio and the Camera Oscura ex www.webexhibits.org_hockneyoptics_post_grundy7
[2] Caravaggio la bottega del genio, ed. Munus – “L’Erma” di Breschneider, a cura di Claudio Falcucci e Rossella Vodret à l’occasion de l’exposition homonyme, Rome Palazzo Venezia 22 décembre 2010 au 29 mai 2011
[3] Caravaggio la Bottega del Genio documentaire Rai 1 à l’occasion de l’exposition Caravaggio la bottega del Genio, Rome Palazzo Venezia Déc. 2010/ Mai 2011.
[4] Caravaggio l’eredità di un rivoluzionario, documentaire de Massimo Magri, La7 Televisione, ed. Marsilio Venezia