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L’eau dans le bâtiment, des projets qui coulent de source ?

Le système de LED intégrées éclaire pommeau et jet d’eau de différentes couleurs, selon le volume d’eau consommé. (c) Hydrao

Suivre les consommations, sensibiliser et détecter les fuites

Tout commence par le juste comptage de l’eau, principalement lié à la précision du compteur. Et donc à sa technologie. Les compteurs ont bien sûr des niveaux de précision et sont donnés pour une classe de réglementation métrologique, mais ils peuvent avoir des niveaux de débit de démarrage très différents. Et donc être incapables de détecter une fuite en dessous de ce fameux seuil de démarrage.

« Une fuite de chasse d’eau atteint couramment 6 l/h sans être visible de l’utilisateur. Si le compteur commence à enregistrer à partir de 10 l/h, la fuite sera donc invisible », note Guy Allo, artisan plombier-électricien.

Sur une année, cette fuite en continu 7j/7 représente alors plus de 50 m³ d’eau gaspillée, soit 200 €/ an pour un prix moyen de 4 € /m³. La performance du compteur pour des débits inférieurs au débit minimum Q1 ou Qmin est donc très importante, conclut-il.

Les compteurs au-delà de la détection de fuites ont également des vertus de sensibilisation aux économies d’eau et d’énergie dans le cas de l’eau chaude. Ils vont pouvoir être source de propositions d’actions, voire conduire les personnes ciblées à réfléchir à leurs pratiques. Ils sont de ce fait communicants et partie intégrante des projets de suivi de consommations d’un ou plusieurs sites, à la fois en terme de suivi des tableaux énergétiques et de gestion d’alertes en cas de fuites ou dérives de consommation, mais également pour la prévision des consommations futures et donc des coûts à engager.

Le développement de projets a conduit à l’émergence d’une offre de services et d’un secteur spécifique d’activité en progressive structuration. Ainsi des sociétés telles que Socomec, naturellement présente sur la mesure énergétique électrique, se renforce progressivement sur le suivi du cycle de l’eau.

Adopter des dispositifs hydro-économes

Ils sont nombreux et pour la plupart basés sur des dispositifs de réduction de débit et/ou de pression.

Viennent ensuite les systèmes permettant de maîtriser la durée de fonctionnement ou de modifier le comportement des utilisateurs.

Citons dans ce cadre la start-up grenobloise Hydrao, qui a lancé une gamme de pommeaux de douche connectés Hydrao Shower permettant au grand public d’adopter une attitude responsable sur leur consommation d’eau.

« Le concept est d’aider l’utilisateur à prendre conscience de sa consommation d’eau dans la douche dans un premier temps, et ensuite de l’encourager à changer ses habitudes de douche de façon durable et facile pour utiliser moins d’eau », explique Gabriel Della-Monica, fondateur de Hydrao.

Avec, selon l’expert, des économies substantielles : 70 % des utilisateurs de Hydrao Shower utilisent moins de 30 litres par douche, comparé à la moyenne française de 60 à 80 litres.

« La douche se connecte en Bluetooth à une passerelle pour envoyer les informations au serveur de façon automatisée en se connectant au réseau Wi-Fi ou Ethernet du bâtiment. Le gestionnaire n’a donc qu’à se connecter à l’interface Web pour visualiser les données de façon centralisée. »

Autres exemples d’économies possibles, cette fois sur l’eau des toilettes. Pour exemple, citons le dispositif original d’EcoNeves. Un dispositif conçu et fabriqué en France, qui permet d’éliminer les fuites du fait de l’absence de joints, tout en minimisant l’usage de l’eau de chasse.

« Avec, au final, pour 899 logements équipés, une économie sur les fuites d’eau de près de 7 000 € par an, une absence de remplacement de joint ou de mécanisme pour une seconde économie de plus de 10 000 € sur la base de 50 € d’intervention tous les 4 ans. En ajoutant les économies sur l’usage de l’eau, l’économie dans ce cas atteint près de 48 000 € », illustre Mathias Sibillotte, codirigeant de EcoNoves.

Gérer la qualité de l’eau, c’est aussi économiser de l’énergie

L’eau constitue le fluide caloporteur le plus répandu dans les installations de chauffage et de climatisation. Cette eau de remplissage se charge inévitablement de gaz dissous souvent corrosifs (azote, dihydrogène, oxygène, gaz carbonique…), de minéraux (calcium, magnésium, fer, cuivre) ou de bactéries de diverses variétés (bactérie sulfato-réductrice, bactérie filamenteuse…). En assurant une bonne qualité de l’eau, les économies d’énergie dans les circuits de chauffage sont conséquentes. « 3 mm de tartre sur une résistance, c’est 30 % d’énergie en plus pour chauffer la même quantité d’eau. » (source Ademe)

Corps de chaudière entartré. (c) Sentinel

« Si une installation n’est pas nettoyée et protégée régulièrement, son efficacité énergétique diminue de façon significative. Ainsi, un particulier investissant dans une chaudière de classe A sans aucun traitement préalable de l’installation finirait par obtenir au fil des ans l’efficacité énergétique d’une chaudière plus faiblement classée. La boue qui s’accumule dans les radiateurs peut réduire le rendement général de l’installation de 10 à 15 % », illustre Marie Restoux, responsable Marketing France & Europe du Sud chez Sentinel.

À ce sujet, rappelons que, selon une étude indépendante menée par Gastec @ CRE, l’embouage dû à l’accumulation de boues dans une installation de chauffage peut réduire jusqu’à 3 % l’efficacité d’une chaudière, suffisamment pour faire passer une chaudière de classe A en classe B.

La boue des circuits n’est pas tout, l’entartrage et la diminution de la corrosion sont aussi à traiter, la corrosion pouvant entraîner, au-delà des pertes énergétiques, le développement de zones froides avec perte énergétique allant jusqu’à 50 %, voire 100 % sur certains radiateurs, et donc un inconfort certain conjugué à de possibles déséquilibres hydrauliques des circuits.

« En plus des économies réalisées du fait du bon fonctionnement de la chaudière, la mise en œuvre des bonnes pratiques du traitement de l’eau évite les pannes et prolonge la durée de vie des divers composants de l’installation, tout en réduisant les retours sur site inopportuns et renforçant la réputation de l’installateur », conclut Marie Restoux.

Sont concernés les systèmes solaires thermiques, le glycol pouvant s’avérer corrosif dans le temps en fonction des conditions météorologiques, mais aussi les systèmes géothermiques.

Citons un exemple avec l’hôtel de la Cité à Lyon, qui est équipé de deux pompes à chaleur pour 164 chambres toutes pilotées indépendamment via des automates de régulation. Les PAC qui produisent de l’air chaud ou froid diffusé dans les différentes centrales de traitement d’air utilisent de l’eau qui provient des nappes souterraines. L’hôtel de la Cité dispose d’un puits de captage en amont, l’eau est utilisée puis rejetée en aval suivant des conditions strictes imposées par la Drire (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement) : les paramètres de conductivité de l’eau, de différentiel entre la température de puisage et celle de rejet sont remontés à la supervision Panorama. « Grâce à la GTC, nous sommes capables de fournir à la Drire des bilans énergétiques mensuels. L’hôtel de la Cité est l’un des seuls acteurs dans la région à leur communiquer des informations aussi détaillées », confie Hervé Compagnon, responsable technique de l’hôtel de la Cité.

Écran de suivi des puits de puisage de l’hôtel de la Cité. (c) Codra

Récupérer ou gérer les eaux pluviales

L’utilisation de l’eau de pluie n’est pas une pratique nouvelle dans le bâtiment : elle préexistait avant la naissance des grands réseaux d’adduction d’eau potable urbains et peut s’appuyer sur des systèmes simples basés sur une dérivation de l’eau d’une gouttière vers un stockage extérieur ou bien sur des systèmes plus sophistiqués avec citerne enterrée et filtration, notamment en cas d’usage interne. Le recours à l’eau de pluie pour l’arrosage, l’alimentation des chasses d’eau des toilettes, le lavage des sols et du linge, est autorisé et limité aux eaux collectées en aval des toitures non accessibles.

Par ailleurs, la diffusion croissante des toitures végétalisées, qui contribuent à retenir une fraction de l’eau pluviale, est aussi un autre vecteur de traitement des eaux pluviales, ajoutant à celles-ci les aspects régulation des flux pluviaux et l’amélioration du confort et de l’esthétique du bâtiment.

Utiliser l’énergie grise des eaux usées

Couplée à une PAC, la récupération d’énergie sur les eaux de douche ou plus généralement sur les eaux usées peut fournir 100 % des besoins en eau chaude. « Cela peut être mis en place aussi bien pour de grands ensembles collectifs que pour l’hôtellerie, la restauration, les complexes sportifs avec piscine, les hôpitaux ou encore à l’échelle d’un éco-quartier », explique Nicolas Le Brestec, directeur Ingénierie de Enerlis.

Ce type de projet a d’ailleurs déjà été mis en place avec succès en Europe, en Suisse à Bâle ou encore en Hongrie à Budapest, pour un hôpital de 600 lits, avec 3,8 MW de puissance en chaud, 3,3 MW de puissance en froid pour un COP de plus de 7.

« Le système peut fonctionner avec une PAC ou une cogénératrice. Il est ainsi possible de fournir aisément près de 1 MW pour couvrir les besoins de chauffage et d’ECS de 250 logements environ. Pour cela il est cependant nécessaire d’avoir un débit suffisant en sortie d’eaux usées et que les bâtiments concernés ne soient pas trop éloignés de la station de filtrage », poursuit l’expert.

Principe avec station de filtrage et de pompage et salle des machines. (c) Enerlis

On peut le dire, le bâtiment, tous secteurs confondus, s’affirme désormais comme acteur à part entière de la gestion de l’eau. Une affirmation qui est aujourd’hui bien visible en ce qui concerne les économies d’eau et la récupération d’eau de pluie, mais d’autres tendances émergent notamment sur les systèmes de récupération d’énergie et la mise en place de toitures végétalisées.

Jean-François Moreau

Filière 3e: