La France, avec beaucoup d’autres pays, a fait le choix de la généralisation des compteurs intelligents ou communicants ; ce n’est pas le cas de l’Allemagne qui a pour l’instant choisi d’aller à l’encontre de la directive européenne en ne réservant les compteurs intelligents qu’aux bâtiments les plus consommateurs faisant valoir un coût de généralisation supérieur aux bénéfices escomptés.
Les projets Linky (compteurs intelligents électricité) et GazPar (compteurs communicants gaz), à la fois évolution nécessaire des compteurs pour partis devenus obsolètes et première brique visible de l’Internet of Things, sont aujourd’hui des symboles – critiqués ou encensés – de la transition énergétique. Mais n’en fait-on pas trop dans un sens ou dans l’autre et constituent-ils un vrai déclencheur ou un nouvel épisode du génie français prenant parfois un certain plaisir à avoir raison à côté des autres ? Il est vrai qu’à l’ère de l’immédiateté et du tout connecté, il peut paraître un peu décalé de monter des projets pharaoniques avec des retours sur investissement en dizaines d’années et des technologies qui auront effectivement du mal à suivre l’innovation galopante de l’Internet of Things.
Il est vrai aussi qu’il peut sembler inopportun de rajouter un énième équipement intelligent/communiquant au domicile des particuliers alors que tous les experts s’accordent à dire que les équipements électriques aval compteur (radiateurs, chaudières, électroménager, ampoules…) seront à moyen terme « connectés » et en mesure de fournir des informations bien plus granulaires que les compteurs eux même. Il est enfin vrai en écoutant les oracles du digital, parmi lesquels Marc Andreessen (« the soft is eating the world »), que de gros projets hardware de cette nature peuvent sembler surprenants et qu’on pourrait, en guise de compteur intelligents, imaginer de petits modules logiciels simples supportés – par exemple – par les box Internet désormais installées dans nombre de foyers français. Mais ces arguments, s’ils sont bien sûr à prendre en compte, ne doivent pas occulter trois raisons fondamentales qui rendent aujourd’hui vertueuse la généralisation du Smart Metering.
Raison n° 1 : Permettre aux opérateurs de réseau de distribution d’être plus efficaces dans l’exploitation et la maintenance des réseaux dont ils ont la responsabilité : autant remplacer les compteurs historiques obsolescents par des compteurs permettant – par leur intelligence – ces sauts de performance. Raison n° 2 : Incarner « physiquement » et tenter de dynamiser la transition énergétique dans son volet MDE (maîtrise de l’énergie) au domicile des particuliers, ces derniers restant pour l’instant, il est vrai, assez peu sensibles à la question pourtant capitale des économies d’énergie. Raison n° 3 : Assurer une homogénéité pérenne dans les formats de comptage, d’échange et de publication de données : imaginons un monde où chaque acteur proposerait sa propre solution de comptage et des services sans aucun cadre commun… c’est ce qui a été historiquement fait en Angleterre, aboutissant à un modèle où chaque opérateur a son modèle de compteur, incompatible avec les services énergétiques des concurrents directs et indirects : cela a finalement eu l’effet inverse à l’attente initiale en bridant la capacité à changer simplement de fournisseur. En conséquence, le département à l’énergie a décidé de lancer le projet DCC (Data & Communication Company) d’opérateur global des données énergé- tique qui collecte et redistribue l’ensemble des données de comptage… mais certifie également les compteurs autorisés pour l’ensemble des fournisseurs.
En conclusion, il ne faut pas nécessairement attendre des compteurs communicants une contribution immédiate et spectaculaire au développement des services énergétiques pour les particuliers, mais ils constituent bien une brique nécessaire à la transition énergétique et à l’installation d’une libre concurrence dans les futurs services énergétiques. La redistribution libre et maîtrisée des données de comptage et leur réutilisation par des acteurs innovants pourra par ailleurs constituer un gisement dynamisant pour les futurs services énergétiques. L’intérêt de ces projets ne semble donc pas à remettre en cause mais il sera déterminant de les mener avec une réelle agilité pour s’adapter dans la durée à des écosystèmes de services énergétiques et d’Internet of Things par essence extrêmement mouvants.
Ghislain de Pierrefeu, senior manager au sein du cabinet Solucom