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Interview : François-Xavier Jeuland FFDomotique

Diplômé de l’INSA (Institut national des sciences appliquées), il intervient en tant que consultant indépendant auprès des collectivités, des promoteurs, des bailleurs, des architectes, des fabricants, des installateurs et des particuliers. Après une carrière dans les secteurs du numérique, du multimédia et des télécoms au sein des Bell Labs et chez AT&T notamment, il se spécialise dès 2002 dans l’intégration des technologies innovantes dans le bâtiment. Il est l’auteur du livre « La Maison communicante – Réussir son installation domotique et multimédia » (4e édition – Eyrolles). François-Xavier est également Ambassadeur auprès de la Smart Building Alliance.

Vous venez d’organiser la convention annuelle de la FFDomotique. Quels enseignements en tirez-vous ?
FX Jeuland – Tout d’abord, on peut dire que le sujet de l’habitat connecté pour tous intéresse plus que jamais. Plus de 200 professionnels ont pu confronter leur vision respective et échanger sur les perspectives du marché pour 2017. Comme chaque année, la Convention a alterné entre discussions en groupes de travail, forums collaboratifs, conférences, tables rondes, visites de showrooms, démonstrations et énormément de moments partagés en toute convivialité. De nombreux adhérents comme AV Industry, B&W Group, Casanova, EDF, Giga-Concept, Mobotix, Nodon ID-RF, Protect France, Sowee, Switchiteasy, Theben ou Vivoka ont pu présenter leurs innovations et recueillir le retour des domoticiens. L’adhésion récente de Bosch Smart Home, Loewe ou TP-Link démontre notre vision à 360 degrés et c’est tout ce qui fait la légitimité de la Fédération française de domotique.

Qu’est-ce que la domotique précisément ?
FX Jeuland – Pour nous, la domotique c’est la convergence des équipements issus de 12 filières généralement isolées et qui, pourtant, doivent communiquer ensemble dans l’habitat. Pour répondre à nos besoins de confort, d’efficacité énergétique et de sécurité et ainsi, faire front aux enjeux de société majeurs que sont le vieillissement de la population, les nouveaux usages du numérique et l’efficacité énergétique de nos quartiers… Les filières concernées sont l’automatisme, la sécurité, l’électricité, la ventilation, le chauffage, l’énergie, les télécoms, l’informatique, l’audiovisuel, l’électroménager, l’autonomie et le bâtiment. La domotique doit permettre de nous simplifier la vie au quotidien.

Vous avez fondé la FFDomotique en 2012, quel bilan feriez-vous aujourd’hui ?
FX Jeuland – Notre ambition réaffirmée, après quatre ans d’existence, est de devenir un observatoire indépendant et de développer le concept de « logement connecté pour tous ». Les premières années nous ont permis de nous positionner, de démontrer notre capacité à faire bouger les choses et à véhiculer une image positive, dynamique et professionnelle du secteur. Maintenant que nous sommes installés dans le paysage, nous allons continuer à être force de proposition, à favoriser l’émergence de nouveaux métiers et faciliter les synergies entre industriels, distributeurs, opérateurs, sociétés de services, professionnels du bâtiment, organisations professionnelles, associations de consommateurs, médias spécialisés et, plus globalement, tous ceux qui sont intéressés par l’avenir du smart home en France.

Pourtant, le bâtiment est encore structuré par lots ou chacun vit sa vie ?
FX Jeuland – Plus pour longtemps. La maquette numérique, le BIM, va obliger tous les corps de métiers intervenant dans la construction à échanger. Il ne sera plus possible d’ignorer l’entreprise qui passe après vous. Les réunions de chantier impliqueront tout le monde et chaque retard ou modification de produit sera répertorié et notifié. Cela ne se limitera pas à la maquette numérique 3D en phase de conception/construction d’un bâtiment, mais constituera sa « carte vitale » durant toute sa vie, avec les notions de supervision, de tableau de bord, d’optimisation, de carnet d’entretien et de suivi de maintenance. Une vision transversale du bâtiment est nécessaire et c’est ce que prône la FFDomotique depuis quatre ans. Les choses évoluent très vite et de nombreux secteurs, comme la promotion immobilière par exemple, sont en train de généraliser le déploiement de logements connectés. En tant que telle, la connectivité intéresse peu. Ce sont les services associés qui plaident en la faveur de la domotique. On l’a bien vu lors de notre Convention à travers tous les témoignages des chercheurs d’EDF, de Covea, l’assureur, de Mohammed Malki, consultant expert du « bien vieillir », de Delta Business, spécialiste du marketing, d’Alain Kergoat, spécialiste Smart Cities, d’HXperience, startup dans l’énergie, d’Immotek l’intégrateur, de Vincent Gufflet, directeur des services de Darty et de Jean-Raymond Hugonet, conseiller régional Île-de-France et maire de Limours, ainsi que René Trégouët, sénateur honoraire qui, tous, ont milité pour une nouvelle vision de la domotique basée sur les services.

Concrètement, quels sont les travaux que vous menez ?
FX Jeuland – Nos experts travaillent sur de nombreux sujets, notamment ceux susceptibles de déverrouiller le marché. Les discours médiatiques se focalisent souvent sur les risques et peu sur les bénéfices induits. Près de 64 % des personnes interrogées* disent vouloir disposer des fonctions et d’objets connectés, mais ne savent pas à qui s’adresser. C’est pourquoi nous organisons, grâce à nos membres répartis sur tout le territoire national, dans les Drom-Com et les pays francophones, des séances de coaching domotique dans les salons régionaux. C’est encore un travail d’évangélisation, car les gens n’imaginent pas tous les services que peut leur apporter une maison connectée. Nous œuvrons également à rassurer les consommateurs en travaillant, par exemple, sur un baromètre du marché ainsi que sur un label qui certifiera les installateurs professionnels disposant des compétences nécessaires pour accompagner et satisfaire les utilisateurs sur le long terme. Ces 200 professionnels sont répertoriés dans l’annuaire accessible sur le site ffdomotique.org avec tous les détails sur leur expérience, leurs formations, leurs certifications et leurs domaines d’expertise : sécurité, énergie, multimédia, maintien à domicile…

Vous parlez du maintien à domicile. En quoi la domotique peut-elle être utile aux plus âgés ?
FX Jeuland – L’étude Promoletec/Credoc 2016 nous apprend que 94 % des logements des personnes âgées ne sont pas adaptés au maintien à domicile, alors même que 55 % seraient prêts à investir dans la domotique pour favoriser leur autonomie ou celle de leurs proches. Concilier domotique et services à la personne constitue une réponse très efficace aux défis posés par le vieillissement de la population. La perte d’autonomie peut survenir très vite. Notre déficit public est abyssal, l’État ne pourra pas accueillir le 4e âge dans des maisons de retraite parce qu’il n’a pas les moyens de les financer et que de toute façon les intéressés eux-mêmes souhaitent rester le plus longtemps possible à leur domicile. Toute une économie du service pour les seniors se constitue. Philippe Metzenthin, notre expert Silver economy, explique souvent que la technologie, les objets connectés et les plateformes constitueront une innovation de rupture dans le secteur des Services à la personne (SAP). L’offre technologique amène de la valeur ajoutée à l’intervention humaine auprès des personnes à leur domicile. Les acteurs des SAP ont pour eux la connaissance fine des besoins au quotidien des clients au sein de ce lieu si particulier qu’est le domicile. Si l’assemblage de l’intervention humaine et de la technologie paraît pertinent, autant au regard de l’optimisation de la qualité que de la recherche d’efficience du coût du service pour le rendre accessible au plus grand nombre, pour autant, celui-ci doit s’installer dans le cadre d’une collaboration étroite entre les acteurs concernés bien en amont de la mise sur le marché.

Quels sont les messages pour motiver les gens d’intégrer la domotique chez eux ou dans leur entreprise ?
FX Jeuland – En complément du smartphone qui, depuis dix ans, a ouvert une nouvelle ère de la domotique, c’est maintenant l’intelligence artificielle qui va nous permettre de démocratiser le logement connecté. Comme les voitures, nos maisons vont devenir autonomes pour nous simplifier la vie, nous rassurer et optimiser nos consommations d’énergie. Mais ce n’est pas le nombre d’objets connectés qui détermine la valeur d’un smart home ou d’un smart building, c’est la pertinence de sa conception et la qualité des services rendus : optimiser ses consommations sans réduire son confort, être prévenu d’une fuite en sachant que l’arrivée d’eau a été coupée, savoir si les enfants sont bien rentrés à la maison, savoir nos anciens en bonne santé et être prévenu d’éventuelles anomalies dans leur quotidien… La domotique n’est pas (encore) totalement sécurisée ni « plug & play », il faut savoir s’entourer de fournisseurs de services et de professionnels compétents pour en tirer bénéfices en toute sérénité sur le long terme.

À vous entendre, la domotique est magique. Pourtant, les détracteurs sont nombreux.
FX Jeuland – Après quinze ans d’activité dans la domotique, je pense avoir beaucoup de recul et je suis moi-même parfois le premier détracteur de la domotique quand elle est mal conçue ou mal mise en œuvre. Je plaide avec les autres membres de la Fédération pour une domotique « raisonnée », fondée sur l’humain, que ce soit avant, en phase d’écoute et de conception, pendant le déploiement et après la livraison dans la mise au point, les évolutions, les mises à jour… Je ne pense pas que les détracteurs soient contre tout ce qu’apporte la domotique, mais sur la façon dont elle a été déployée dans le passé. La domotique est fondamentalement incompatible avec les méthodes traditionnelles du bâtiment. Avec l’arrivée du numérique, il faut revoir notre manière de concevoir le bâtiment, avec tout ce que cela implique en termes de ruptures fonctionnelles, technologiques et organisationnelles. Tous les acteurs doivent s’y adapter. Ce n’est pas en résistant que l’on peut survivre à la vague numérique. Les géants comme Amazon, Google, Samsung et Apple ont tous investi massivement dans leurs solutions domotiques. Ils travaillent maintenant activement à la constitution d’écosystèmes en dehors desquels aucun acteur historique ne pourra réussir. On ne peut pas aborder le smart home avec les méthodes d’hier, il faut de l’agilité, de la souplesse, de l’ouverture, du prototypage rapide, de la cocréation avec les startups et de la co-construction en impliquant les utilisateurs. Regardez Somfy avec Myfox, Schneider Electric avec Awox, Legrand et Velux qui s’associent avec la startup française Netatmo et intègrent la synthèse vocale Alexa d’Amazon…

Justement, racontez-nous ce que vous avez vu au CES 2017 de Las Vegas ?
FX Jeuland – 
La France était particulièrement bien représentée, avec toutes ces synergies intéressantes entre grands groupes et startups/PME. L’arrivée à maturité du marché de la domotique aux États-Unis se confirme cette année et, tandis que certains secteurs comme les smartphones (+ 2 %) ou les tablettes (- 8 %) s’essoufflent, la Consumer Technology Association (CTA) prévoit une très forte progression du marché de la domotique en 2017 (+ 57 %). J’ai été particulièrement marqué par l’arrivée de nouvelles générations de produits basés sur le Wi-Fi et le Bluetooth « mesh », qui vont enfin permettre l’adoption massive de la domotique par les consommateurs. Autres signes encourageants, la surface consacrée au smart home était en hausse de 33 % par rapport à 2016 et le prestigieux concours CES 2017 Innovation Awards a illustré la percée du marché de la domotique ; plus d’un tiers des innovations primées étaient directement liées au smart home, avec de nombreuses entreprises françaises récompensées comme Myxyty, Holi, Awox, Velux, Netatmo, Legrand… Tous les équipements de la vie courante deviennent connectés : on a vu des brosses à cheveux, des tireuses à bière, des écrans plats (très très plats) et des frigos, beaucoup de frigos… Mention spéciale pour le parasol Sunflower, de Shadecraft, avec tout ce qu’il faut de design, de connecté, d’intelligence artificielle et d’autonomie. Autre coup de cœur côté français pour le ventilateur intelligent d’Enerbee, le radiateur computer de Qarnot ou encore le superviseur 3D de Stereograph.

Vous nous parlez de produits, mais où sont les services pour les clients ?
FX Jeuland – Le CES est avant tout un salon consacré aux produits grand public, mais de nombreux acteurs français comme La Poste, Engie, Boulanger ou Leroy Merlin ont mis en avant la nécessité d’accompagner l’utilisateur avant, pendant et après l’installation d’une solution domotique. L’humain est primordial. Même si les solutions deviennent « plug & play », le conseil et le service d’installation ne pourront pas disparaître. On pourrait imaginer que les boutiques d’informatique habituées à l’installation de logiciels et d’antivirus retrouvent une seconde jeunesse avec le conseil et la vente de solutions connectées et sécurisées. Les gens ont besoin de parler, d’être écoutés et de se sentir rassurés, sinon il n’y a pas d’acte d’achat. C’est exactement ce que l’on voit dans les magasins Best Buy aux États-Unis, où le distributeur de matériel met en avant ses « Geek squads », des spécialistes qui viennent à domicile installer, configurer, sécuriser et maintenir les produits connectés. C’est aussi la promesse apportée par l’intégrateur en domotique, un nouveau métier que la FFDomotique s’emploie à faire connaître. Au-delà de la qualité des produits, ce sont les compétences de tous ces professionnels de terrain qui permettront d’assurer un taux de satisfaction élevé de la part des utilisateurs.

La société est donc prête pour la domotique.
FX Jeuland – La société est prête pour les services connectés et le confort de vie qui en découle. Chacun a droit à sa domotique, mais le jeune couple de 25 ans n’a pas les mêmes attentes pour son logement ni les mêmes habitudes de vie qu’une famille avec trois enfants, une personne en fauteuil ou un senior isolé. On ne peut donc pas équiper tous les logements de la même façon. Pour se développer, le marché a encore besoin de pédagogie, de professionnels qualifiés et certifiés, de rupture dans l’organisation du bâtiment avec l’avènement d’un lot « smart » et de l’implication massive de certains acteurs comme les assureurs qui sauront, j’en suis certain, inventer de nouveaux modèles économiques.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?
FX Jeuland – Oui, un dernier mot pour dire qu’en 2017, l’objectif prioritaire de la FFDomotique est de travailler plus intensément auprès des prescripteurs. Comme l’a rappelé Jean-Raymond Hugonet, conseiller régional Île-de-France et maire de Limours, aucun donneur d’ordre ne peut plus désormais se reposer sur un seul fabricant ou un seul protocole. Un projet de smart city, d’écoquartier ou de bâtiment intelligent nécessite un accompagnement indépendant, mené par un AMO Smart qui saura trouver l’adéquation idéale entre les besoins de la population, le choix des technologies, la sélection des intervenants, la mise en place de process rigoureux, tout en maîtrisant le budget, l’évolutivité et la pérennité des solutions déployées. Le fonctionnement de la Fédération française de domotique est unique en son genre. Chaque adhérent (membre ou administrateur) est bénévole. Le système est totalement en phase avec notre société, qui se veut de plus en plus collaborative. C’est ce qui fait la force de la FFDomotique et ce qui, je l’espère, donnera envie à de plus en plus d’acteurs d’y adhérer. Tous ensemble, nous serons plus forts pour légitimer le recours aux solutions smart dans les cahiers des charges, insuffler un nouvel élan, faire bouger les lignes au niveau des pouvoirs publics et faire la promotion d’une nouvelle filière d’excellence au niveau international. Le CES 2017 a montré que nous avons en France des startups ultra-innovantes, mais aussi les fleurons mondiaux du BTP, de la fabrication et de la distribution de matériel électrique, des télécoms et de l’énergie. Nous ne pouvons pas laisser filer l’opportunité de devenir un leader mondial de la ville de demain, du bâtiment intelligent et du logement connecté.

David Le Souder: Rédacteur en chef magazine Electricien+ en charge du développement de www.filière-3e.fr Dirigeant de l'agence de communication Mediaclass et responsable marketing opérationnel indépendant; Master marketing industriel. De 1998 à 2007 : responsable communication chez SICK AG De 2007 à 2009 : responsable communication chez Siemens Industry Automation and Drives Technology Depuis 2009 : responsable marketing opérationnel indépendant.