Président de la Fédération française de domotique et dirigeant de NT Conseil.
Diplômé de l’INSA (Institut national des sciences appliquées), il intervient en tant que consultant indépendant auprès des collectivités, des promoteurs, des bailleurs, des architectes, des fabricants, des installateurs et des particuliers
À vous entendre, la domotique est magique. Pourtant, les détracteurs sont nombreux.
FX Jeuland – Après quinze ans d’activité dans la domotique, je pense avoir beaucoup de recul et je suis moi-même parfois le premier détracteur de la domotique quand elle est mal conçue ou mal mise en œuvre. Je plaide avec les autres membres de la Fédération pour une domotique « raisonnée », fondée sur l’humain, que ce soit avant, en phase d’écoute et de conception, pendant le déploiement et après la livraison dans la mise au point, les évolutions, les mises à jour… Je ne pense pas que les détracteurs soient contre tout ce qu’apporte la domotique, mais sur la façon dont elle a été déployée dans le passé. La domotique est fondamentalement incompatible avec les méthodes traditionnelles du bâtiment. Avec l’arrivée du numérique, il faut revoir notre manière de concevoir le bâtiment, avec tout ce que cela implique en termes de ruptures fonctionnelles, technologiques et organisationnelles. Tous les acteurs doivent s’y adapter. Ce n’est pas en résistant que l’on peut survivre à la vague numérique. Les géants comme Amazon, Google, Samsung et Apple ont tous investi massivement dans leurs solutions domotiques. Ils travaillent maintenant activement à la constitution d’écosystèmes en dehors desquels aucun acteur historique ne pourra réussir. On ne peut pas aborder le smart home avec les méthodes d’hier, il faut de l’agilité, de la souplesse, de l’ouverture, du prototypage rapide, de la cocréation avec les startups et de la co-construction en impliquant les utilisateurs. Regardez Somfy avec Myfox, Schneider Electric avec Awox, Legrand et Velux qui s’associent avec la startup française Netatmo et intègrent la synthèse vocale Alexa d’Amazon…
Justement, racontez-nous ce que vous avez vu au CES 2017 de Las Vegas ?
FX Jeuland – La France était particulièrement bien représentée, avec toutes ces synergies intéressantes entre grands groupes et startups/PME. L’arrivée à maturité du marché de la domotique aux États-Unis se confirme cette année et, tandis que certains secteurs comme les smartphones (+ 2 %) ou les tablettes (- 8 %) s’essoufflent, la Consumer Technology Association (CTA) prévoit une très forte progression du marché de la domotique en 2017 (+ 57 %). J’ai été particulièrement marqué par l’arrivée de nouvelles générations de produits basés sur le Wi-Fi et le Bluetooth « mesh », qui vont enfin permettre l’adoption massive de la domotique par les consommateurs. Autres signes encourageants, la surface consacrée au smart home était en hausse de 33 % par rapport à 2016 et le prestigieux concours CES 2017 Innovation Awards a illustré la percée du marché de la domotique ; plus d’un tiers des innovations primées étaient directement liées au smart home, avec de nombreuses entreprises françaises récompensées comme Myxyty, Holi, Awox, Velux, Netatmo, Legrand… Tous les équipements de la vie courante deviennent connectés : on a vu des brosses à cheveux, des tireuses à bière, des écrans plats (très très plats) et des frigos, beaucoup de frigos… Mention spéciale pour le parasol Sunflower, de Shadecraft, avec tout ce qu’il faut de design, de connecté, d’intelligence artificielle et d’autonomie. Autre coup de cœur côté français pour le ventilateur intelligent d’Enerbee, le radiateur computer de Qarnot ou encore le superviseur 3D de Stereograph.
Vous nous parlez de produits, mais où sont les services pour les clients ?
FX Jeuland – Le CES est avant tout un salon consacré aux produits grand public, mais de nombreux acteurs français comme La Poste, Engie, Boulanger ou Leroy Merlin ont mis en avant la nécessité d’accompagner l’utilisateur avant, pendant et après l’installation d’une solution domotique. L’humain est primordial. Même si les solutions deviennent « plug & play », le conseil et le service d’installation ne pourront pas disparaître. On pourrait imaginer que les boutiques d’informatique habituées à l’installation de logiciels et d’antivirus retrouvent une seconde jeunesse avec le conseil et la vente de solutions connectées et sécurisées. Les gens ont besoin de parler, d’être écoutés et de se sentir rassurés, sinon il n’y a pas d’acte d’achat. C’est exactement ce que l’on voit dans les magasins Best Buy aux États-Unis, où le distributeur de matériel met en avant ses « Geek squads », des spécialistes qui viennent à domicile installer, configurer, sécuriser et maintenir les produits connectés. C’est aussi la promesse apportée par l’intégrateur en domotique, un nouveau métier que la FFDomotique s’emploie à faire connaître. Au-delà de la qualité des produits, ce sont les compétences de tous ces professionnels de terrain qui permettront d’assurer un taux de satisfaction élevé de la part des utilisateurs.
La société est donc prête pour la domotique.
FX Jeuland – La société est prête pour les services connectés et le confort de vie qui en découle. Chacun a droit à sa domotique, mais le jeune couple de 25 ans n’a pas les mêmes attentes pour son logement ni les mêmes habitudes de vie qu’une famille avec trois enfants, une personne en fauteuil ou un senior isolé. On ne peut donc pas équiper tous les logements de la même façon. Pour se développer, le marché a encore besoin de pédagogie, de professionnels qualifiés et certifiés, de rupture dans l’organisation du bâtiment avec l’avènement d’un lot « smart » et de l’implication massive de certains acteurs comme les assureurs qui sauront, j’en suis certain, inventer de nouveaux modèles économiques.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
FX Jeuland – Oui, un dernier mot pour dire qu’en 2017, l’objectif prioritaire de la FFDomotique est de travailler plus intensément auprès des prescripteurs. Comme l’a rappelé Jean-Raymond Hugonet, conseiller régional Île-de-France et maire de Limours, aucun donneur d’ordre ne peut plus désormais se reposer sur un seul fabricant ou un seul protocole. Un projet de smart city, d’écoquartier ou de bâtiment intelligent nécessite un accompagnement indépendant, mené par un AMO Smart qui saura trouver l’adéquation idéale entre les besoins de la population, le choix des technologies, la sélection des intervenants, la mise en place de process rigoureux, tout en maîtrisant le budget, l’évolutivité et la pérennité des solutions déployées. Le fonctionnement de la Fédération française de domotique est unique en son genre. Chaque adhérent (membre ou administrateur) est bénévole. Le système est totalement en phase avec notre société, qui se veut de plus en plus collaborative. C’est ce qui fait la force de la FFDomotique et ce qui, je l’espère, donnera envie à de plus en plus d’acteurs d’y adhérer. Tous ensemble, nous serons plus forts pour légitimer le recours aux solutions smart dans les cahiers des charges, insuffler un nouvel élan, faire bouger les lignes au niveau des pouvoirs publics et faire la promotion d’une nouvelle filière d’excellence au niveau international. Le CES 2017 a montré que nous avons en France des startups ultra-innovantes, mais aussi les fleurons mondiaux du BTP, de la fabrication et de la distribution de matériel électrique, des télécoms et de l’énergie. Nous ne pouvons pas laisser filer l’opportunité de devenir un leader mondial de la ville de demain, du bâtiment intelligent et du logement connecté.