L’exigence d’efficacité énergétique implique logiquement une bonne conduite du bâtiment avec une GTB opérationnelle, évolutive et pérenne. La maintenance de la GTB est au cœur de cet enjeu. Mais est-elle perçue à sa juste valeur ? Sommes-nous dans un nouveau paradigme, avec l’ouverture du bâtiment aux nouvelles technologies numériques et informatiques ?
Les activités de maintenance, des exigences croissantes, des budgets serrés
Selon une étude récente des Echos, le marché de l’amélioration et de l’entretien des installations techniques pèserait en France près de 37,5 milliards. Un marché en croissance mais qui fait face à une forte pression sur les prix, avec des donneurs d’ordre qui veulent davantage de services et systématiquement de l’efficacité énergétique, mais aussi, qui font pression sur les prix. Des marges à la baisse alors que l’évolution des services nécessite de nouvelles compétences et des investissements.
Compte tenu de la récurrence des revenus, le marché reste attractif mais l’étude n’exclut pas une recomposition à terme, avec des rapprochements entre acteurs ou des opérations de croissance externe, pour associer savoir-faire techniques et compétences numériques, dans un secteur qui compte près de 80 000 entreprises souvent locales. Qu’en disent les spécialistes et experts du domaine ?
Daniel Magnet, IBTECH Ingénieurs-Conseils, consultant AMO et chargé de cours en systèmes de Gestion du Bâtiment et en M&V, dans plusieurs programmes de mastères.
L’étude réalisée pour l’ADEME avec Pierre Nolay, parue en début d’année 2016 : « Evaluation de systèmes de GTB dans le tertiaire » en France, démontre qu’il y a encore de nombreux gisements de progrès à effectuer, notamment en phase de conception mais également en maintenance et en exploitation…
Quinze cas ont été sélectionnés. Ils ont fait l’objet d’une étude approfondie par échantillonnage, sur une trentaine de projets dans des domaines d’activités-cibles, bureaux, commerces, hôtellerie, enseignement.
À en relever quelques points majeurs, en phase de conception les spécifications fonctionnelles sont souvent imprécises, voire non disponibles ou restreintes à une documentation commerciale non spécifique au système mis en œuvre sur le site, ou bien se réduisent à un descriptif de l’interface de supervision du système. Dans cette phase, les conditions d’exploitation sont ignorées et l’implication de la MOA et des exploitants extrêmement réduite. « Un peu à l’image des DCE qui évoquent trop souvent « l’état de l’art » et sont trop peu détaillés, sans référence précise aux actions d’efficacité énergétique et aux besoins des exploitants. »
D’une façon générale, pour bien maintenir, la phase de conception est primordiale. Elle est encore trop sous-estimée ou envisagée avec des budgets restreints.
L’application d’une méthodologie structurée est rare
La méthodologie proposée par la norme EN ISO 16484* n’a été appliquée que dans un cas unique, sur l’ensemble étudié. « Il en est de même pour la mise en œuvre d’une plateforme de conception (BIM GTB) qui n’a été réalisée que dans un seul des cas répertoriés », souligne l’expert.
La formation des utilisateurs (opérateurs de veille et chefs de poste, prestataires externes, opérateurs de maintenance GTB) est jugée insuffisante et accompagnée d’une documentation limitée. « Il peut y avoir des problèmes de transmission au cours du temps, ce n’est que dans une très faible proportion des cas que l’opérateur dispose des compétences nécessaires pour faire « vivre » le système. » En conséquence, la maintenance évolutive ne se fait qu’au travers de projets de rénovation et non comme réponse à des besoins du circuit complet du couple GTB – exploitant. Ce défaut d’appropriation conduit inéluctablement à une dégradation des gains de performance.
« Enfin, il convient de souligner qu’engagement de performance et CPE peuvent changer la donne, car l’exploitant devient le principal intéressé à la performance et l’outil GTB est alors pleinement utilisé », conclut Daniel Magnet.
* Quelques références pour approfondir :
- ISO 16484-1 -2010: spécifie les principes généraux pour la conception et la mise en œuvre de projets et pour l’intégration d’autres systèmes dans le Système de Gestion Technique du Bâtiment (SGTB). Elle décrit également les exigences en matière de documents de récolement et de formation.
- Le guide RAGE intitulé « Bonnes pratiques pour concevoir et réaliser des systèmes de GTB.»
Cyril Rolland, responsable Marketing de Codra, éditeur de logiciels de supervision : « une GTB / supervision moderne surveille et permet d’interagir efficacement avec les process du bâtiment, mais vérifie également l’état de sa propre infrastructure. »
« La supervision, pour nos clients et leurs clients, est devenue incontournable avec la multiplication des informations, des automatismes, couplé à l’impératif d’efficacité énergétique en continue et à moindre coût. Du fait des diminutions de personnel d’exploitation, la facilité à piloter, réguler en fonction des besoins est au cœur des enjeux de la mise en place d’une GTB moderne et ce quel que soit finalement la taille du bâtiment. L’opérateur est alors plutôt à la marge, sur la gestion des consignes de réglage et les éventuelles résolutions des incidents au fil de l’eau. »
Maintenir une GTB en parfait état de fonctionnement suppose à la fois une formation adaptée des exploitants, mais aussi des possibilités d’évolutions pour être capable à la fois de dialoguer avec des équipements de terrain et des protocoles anciens, tout en accueillant des technologies modernes, l’ensemble garantissant la pérennité des systèmes dans le temps.
L’accompagnement des intégrateurs et installateurs est essentiel
En tant qu’éditeur, nous accompagnons nos clients intégrateurs à plusieurs niveaux :
- Un pôle d’experts pour les audits ou migrations éventuelles des solutions pour, par exemple, migrer d’une ancienne version de notre logiciel Panorama et inclure des lots techniques supplémentaires.
- Un second pôle pour la maintenance curative et évolutive, avec un site technique qui pousse les patchs vers les différents clients concernés et un support technique hotline sur les contrats de maintenance et la mise en œuvre d’évolutions. En moyenne nous avons une nouvelle version majeure tous les 2 ans.
La supervision se supervise elle-même
La supervision supervise sa propre infrastructure et peut donner visibilité sur son état de vie. « C’est un gage fort d’accompagnement pour obtenir un niveau de disponibilité élevé et anticiper la panne réseau, la défaillance d’un PC ou d’un switch réseau », poursuit l’expert.
Légende : Vue de « maintenance » d’une architecture GTB (process de Production Energie /Chauffage Urbain) ©Enerlis / Codra
Enfin nous qualifions nos clients
La mention « Platinium » que nous délivrons à nos clients se base sur des critères pragmatiques comme avoir effectué 4 à 6 projets par an avec nos solutions, avoir un certain nombre de personnes formées aux dernières versions.
Pierre Blanchet, responsable innovations Vinci Energies France : « toute la filière a à gagner à coopérer et tout doit contribuer à la passation entre les phases d’installation, réception et la mise en exploitation maintenance. »
Le service Innovation intervient auprès de toutes les entreprises régionales de génie climatique et d’électricité (courant faible et courant fort) du Groupe Vinci Energies France : « Notre quotidien c’est de créer le lien, échanger les savoir-faire, dispenser les formations aux nouvelles technologies », conclut l’expert.
Maintenance des GTB, une situation en demi-teinte
« Une situation en demi-teinte, notamment car la passation des travaux est encore trop imprécise, il n’y a pas toujours de lot dédié GTB, l’analyse des besoins précis du bâtiment souffre d’absences de détails. On gagnerait beaucoup à avoir un descriptif fonctionnel dans les cahiers des charges de construction, et enfin, à la remise des clés, à assurer une bonne appropriation par les exploitants et sociétés de Facilities Management », poursuit-il.
La GTB est le seul moyen d’agir de façon efficace sur tous les équipements pour obtenir un bâtiment intelligent c’est-à-dire, confortable, exploitable, sobre en énergie et connectable à son environnement extérieur. Quand on parle d’environnement extérieur, l’exemple typique est le logiciel externe d’optimisation des modes de chauffe en fonction des critères réels météo, de l’inertie du bâtiment et des conditions d’occupation.
« Les systèmes GTB peuvent pourtant parfaitement prendre le virage car ils se sont simplifiées avec le temps. Ainsi pour un petit bâtiment, un seul automate multi-fonction suffit, car il dispose d’une interface graphique et de suffisamment de richesses fonctionnelles et de protocoles d’échanges. »
Le commissionnement et la formation des exploitants sont clés
« Nous préconisons un commissionnement poussé, qui donne une garantie réelle que les équipements vont bien fonctionner et ce dans des conditions similaires aux conditions d’exploitation à venir. Cette phase permet également l’apprentissage par le futur exploitant dès la phase d’essais, de levée des réserves et une appropriation progressive ».
« Enfin il est nécessaire d’organiser de vraies séances de formation, entre l’installateur et l’exploitant mainteneur. Et non pas juste une simple remise de DOE », conclut l’expert.
Fabien Pont, associé de Apilog Automation, intégrateur de GTB : « La maintenance n’est pas systématique et les budgets des maîtres d’ouvrage sont encore trop restreints »
L’efficacité énergétique donne naissance à de nouveaux projets de rénovation ou bien de remplacement de la GTB. « Dans tous les cahiers des charges que nous recevons, il est d’ailleurs demandé d’intégrer l’efficacité et le comptage énergétique. Le plus souvent le superviseur remonte la valeur des compteurs et les analyses mensuelles sont effectuées dans un système externe. Les exploitants et mainteneurs sont peu consommateurs de ces données, par contre les Property Manager et les occupants y sont bien sensibles », explique Fabien Pont.
90% des problèmes rencontrés sont dans la mise en œuvre et non dans le logiciel de supervision
« Nous avons été appelé il y a peu car la GTB était qualifiée ‘d’inexploitable’ par le maître d’ouvrage qui se plaignait également de son exploitant. Nous sommes intervenus, avons effectué un changement de GTB et avons accompagné l’exploitant qui a commencé à s’approprier avec succès la nouvelle GTB. Le hic c’est qu’ensuite, le maître d’ouvrage a décidé de changer d’exploitant, et de nouveau, la situation a été bloquée. »
La qualité de l’intégrateur est aussi clé
Mais comment la mesurer ? « Ce n’est pas toujours simple, toutefois sa méthodologie et son organisation pour consigner les retours d’expérience et réutiliser des savoir-faire et solutions déjà éprouvées sur d’autres projets est fondamentale. Ensuite, le volume de formation interne et externe, notamment sur les technologies complexes et nouvelles, ainsi que sa capacité à former les exploitants sont les deux priorités complémentaires. »
Evidemment la qualité a un prix et cet effort qui se matérialise par un service méthodologie et des plans de formation conséquents, se répercutent au niveau du coût journalier.
La maintenance et exploitation souffre souvent d’un manque de personnel ou de budget
Le contrat de maintenance n’est pas systématique sauf pour les datacenters. Pour les immeubles de bureaux, qui représentent 80% de nos activités, nous intervenons souvent au coup par coup, car il y a trop de pression de la part des maitres d’ouvrage sur leurs exploitants et le budget GTB est très serré.
Certains maitres d’ouvrage ont compris l’intérêt d’évolutions régulières, parfois homéopathiques, mais qui pérennisent la GTB et évitent d’avoir à tout recommencer, faute d’avoir fait les évolutions minimales au fil de l’eau.
« N’oublions pas qu’une GTB en bon fonctionnement valorise le patrimoine, avec jusqu’à 30% d’économies dans certains cas », conclut Fabien Pont.
Jean-François Moreau