Vous êtes président de Legrand et président de la FIEEC, qui rassemble 22 syndicats professionnels depuis 2013. Les métiers couverts par cette fédération de syndicats sont extrêmement larges. Quels sont aujourd’hui les grands enjeux communs aux métiers de l’électrique, de l’électronique et de la communication ?
Oui, nous sommes une fédération très diverse qui va de la haute tension à l’édition de logiciels en passant par la micro-électronique et même l’électro-ménager. Nous comptons aussi bien des acteurs du courant fort que du courant faible. S’il fallait donner notre dénominateur commun, c’est sans doute que toutes ces industries sont mues par l’électron. Le « fil conducteur », c’est l’électricité. La FIEEC représente des industries que l’on peut qualifier de technologiques et qui relèvent de l’énergie, de l’électrique, de l’électronique et du numérique. Nous nous présentons souvent comme les industries de l’électro-technologie, mariage de l’électricité et d’industries technologiques.
Ce qui est sans doute nouveau, c’est la complémentarité technologique entre ces différents secteurs. La FIEEC recouvre plusieurs industries, selon le regard posé. Ce qui est intéressant, c’est la complémentarité qui existe entre ces différentes industries. Au fond, nous sommes de plus en plus convaincus que la FIEEC a une valeur ajoutée transversale sur des sujets qui sont de plus en plus partagés. En complément de ce qui est spécifiquement fait sur chaque métier et traité au sein de chaque syndicat, nous intervenons sur des thèmes transversaux que porte naturellement cette fédération. Je pense à l’efficacité énergétique, à la confiance numérique, au développement des objets connectés. Cela recouvre les secteurs à la fois professionnels et particuliers (BtoB et BtoC). Tous ces secteurs combinent des technologies issues de plusieurs de ces métiers. De plus en plus, un produit électrotechnique aura une couche d’électronique et une couche de numérique.
C’est pourquoi nous pensons qu’une réponse « fédérale » et collective est utile. Cette transversalité provient de la complémentarité croissante de nos technologies. Voilà notre ciment fédéral. Au demeurant, il existe des domaines techniques qui sont également portés par la Fédération. Je pense à la normalisation et au développement durable par exemple.
L’idée est de démultiplier l’action de chaque secteur et de préparer un terrain favorable à l’émergence et au développement des priorités stratégiques que l’on peut avoir au sein de nos différents métiers. Ce qui caractérise les électrotechnologies, c’est d’être à l’origine et au cœur de transformations qui sont à l’œuvre aujourd’hui dans nos secteurs d’activité et notre société.
Comment cela se traduit-il dans vos industries ?
La notion de « Smart » peut être légitimement appliquée à nos secteurs. Que ce soit le « Smart city », les « Smart grids », le « Smart building », ou la « Smart mobility »… C’est une notion forte que d’apporter plus d’intelligence pour apporter plus de valeur d’usage.
Des grands défis sociétaux comme la transition énergétique ou numérique recouvrent concrètement ces applications que l’on retrouve naturellement dans notre quotidien. On pense à la rénovation énergétique des bâtiments, à la fibre optique pour accompagner le plan très haut débit. Dans le champ des objets connectés, la connectivité apporte une véritable valeur. Toute la chaine économique s’enrichit de la connectivité, c’est-à-dire du côté « smart », qui permet à chaque maillon d’optimiser son rôle dans la chaine.
Avec le numérique, les métiers de l’électricité sont mis au défi. Les décisions concernant les évolutions du secteur sont prises au niveau national mais aussi européen. De quel niveau relèvent quels sujets ?
La normalisation est un sujet qui peut relever d’instances internationales et européennes. Nous avons mené une réflexion stratégique il y a deux ans à la FIEEC, avec plus de 200 experts qui provenaient des syndicats professionnels pour comprendre comment il est possible d’améliorer ce triptyque entreprises/ consommateurs/ administrations.
La conclusion que nous en avons tirée, c’est que le niveau décisionnel de nos sujets, au fil des évolutions des technologies, est beaucoup moins exclusivement centralisé qu’auparavant et que de nouveaux paramètres doivent être intégrés dans les réflexions. Dans l’exemple des réseaux électriques, l’irruption des énergies renouvelables, des capteurs, de l’électronique et du « BigData », modifie radicalement la vision mais aussi la stratégie nécessaire pour rendre les réseaux de distribution d’électricité intelligents. Il y a certes un maillage européen au niveau de la fourniture d’énergie avec des décisions collectives et coordonnées. Mais cela est également vrai au niveau de la ville, du quartier, du bâtiment et jusqu’à l’utilisateur. Les problématiques de « Grid » sont propres à chacun des échelons. Et cela a une influence directe sur la production. La bidirectionnalité et la décentralisation modifient en profondeur les schémas décisionnels qui étaient beaucoup plus centralisés et descendants.
Pour avoir une influence dans ce domaine, le défi de nos adhérents est de comprendre cette évolution et de composer avec la multiplicité des acteurs et des niveaux de décision.
En 2016, quels ont été les principaux sujets que la FIEEC a traité ?
On peut citer l’innovation qui est très forte dans nos professions. Les industries électro-technologiques adhérentes de la FIEEC consacrent près de 8% de leur chiffre d’affaire à la R&D. C’est 4 fois le niveau moyen constaté dans les autres industries. Beaucoup de syndicats sont représentés à la FIEEC, donc de nombreuses actions sont lancées mais il y a aussi de nombreuses actions « fédérales ». C’est le cas au niveau politique et législatif où nous essayons de mettre en œuvre toute notre influence, tant au niveau français qu’européen, pour que la réglementation soit favorable à l’innovation.
Cela signifie que nous devons lutter contre les freins à l’innovation. Pensons aux différentes couches législatives et réglementaires à simplifier, pour certaines d’entre elles. Ensuite nous avons voulu être très actifs pour favoriser la recherche dans le monde industriel et notamment dans les PME et ETI. Nous avons lancé il y a cinq ans un partenariat avec les instituts Carnot, qui se traduit par un prix de la recherche appliquée et qui a pour résultat de la création d’emplois. Parmi les lauréats, on trouve de belles réussites industrielles. A travers cette initiative, nous avons voulu créer un lien entre recherche-innovation et entreprises.
Dans le même esprit, nous avons lancé un prix de l’innovation 4.0. Enfin pour favoriser un écosystème propice à l’innovation, nous avons lancé un écosystème de start up, appelé Club « French Electrotech » avec pour but de rapprocher les Startups du monde de l’électro technologie.
En 2017, quelles tendances de marché vous semble-t-il important de prendre en compte pour ces industries ? Quel est le climat à l’export ?
Toutes les transitions dont je parle continueront à alimenter les marchés, non pas seulement en 2017 mais pendant de nombreuses années. Nous sommes convaincus que nos technologies ne pourront intégrer les marchés en augmentant la valeur d’usage des applications, que ce soit à travers la gestion intelligente des bâtiments et l’efficacité énergétique active, l’industrie du futur, la mobilité ou la « Silver Economy ».
Je parlais de sécurité et de confiance numérique. Ces sujets doivent évoluer en parallèle de l’explosion du numérique dans les produits qui doivent s’accompagner de sécurité et de confiance. Voilà pour les tendances de fond qui devraient non seulement se prolonger au-delà de 2017, mais aussi s’amplifier.
Pour l’export, il me semble que les tendances dont nous parlons sont lourdes et de fond et qu’au-delà des variations conjoncturelles qui peuvent affecter tel ou tel pays, elles vont se développer.
Il faut savoir que les industries de la FIEEC réalisent environ 46% de leur chiffre d’affaires à l’export. Beaucoup de leaders mondiaux d’électro technologie sont d’origine française et de très belles PME et ETI conquérantes portent haut les couleurs tricolores.
La FIEEC a tout un volet d’action en faveur de la formation et de l’emploi. Pouvez-vous nous en dire plus …
Lorsqu’on voit l’évolution de nos technologies, il faut prendre en compte la nécessité de formation et de montée en compétence des métiers. La nouvelle donne numérique nécessite de faire évoluer les formations des salariés et d’anticiper pour contribuer à la formation de nouveaux métiers. La FIEEC agit dans ce sens à tous les niveaux de compétence. Nous entretenons un lien permanent entre les administrations et les écoles concernées pour aider à moderniser les formations existantes.
Et par ailleurs, celles qui conduisent nos secteurs à faire en sorte qu’il y aura une adéquation entre ces jeunes qui sortent diplômés et leur orientation vers des métiers qui recrutent.
D’où notre implication proche des administrations et écoles à travers un lien régulier avec les pouvoirs publics concernés tels que les Ministères de l’Education Nationale, de la Recherche, l’Onisep et les instances en charge du lien avec les écoles. La FIEEC, par exemple, siège à la Commission des Titres d’Ingénieur.
Par ailleurs, nous entretenons également des relations étroites avec de nombreux établissements, notamment avec Centrale Supélec et la Conférence des IUT. Nous avons également des actions pour créer des nouvelles formations centrées sur ces métiers. Je pense notamment à la fibre optique liée au très haut débit. Il faut pour cela des connaissances techniques très particulières auxquelles aujourd’hui trop peu de salariés sont formés pour répondre aux besoins. Avec la plateforme « Objectif fibre » qui rassemble aux côtés de la FIEEC des acteurs concernés par le sujet (opérateurs Telecom, installateurs électriques), après une étude avec l’Etat, nous avons enclenché une action de grande envergure pour labelliser des centres de formation. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de centres sont ouverts pour apprendre à manier la fibre optique, que l’on ne traite pas de la même manière que le cuivre.
Sur l’emploi, nous sommes convaincus de façon plus large, que ces besoins sont à même de créer des emplois sur tout le territoire. Je crois qu’il y a une relation directe entre productivité et croissance et entre croissance et emploi.
Tous ces thèmes autour de l’industrie 4.0 et du numérique, sont source de productivité significative, avec à la clé de la croissance et de l’emploi, même s’il sera différent de l’emploi actuel. Chaque révolution industrielle a apporté des nouveaux métiers en lien avec les leviers de croissance et les gains de productivité qu’ils ont générés.
Propos recueillis par Aymeric Bourdin