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Pierre Gattaz, président du Medef

Pierre Gattaz, président du MEDEF

Les travaux du Mittelstand Lab du Medef portent notamment sur un benchmark avec l’Allemagne. Qu’ont à apprendre les entreprises françaises de ces entreprises allemandes de taille moyenne ? Et inversement, quel élément d’exemplarité peuvent revendiquer les entreprises françaises auprès de leurs voisines allemandes ?

Tout d’abord, je suis convaincu que chacun a intérêt à apprendre des autres. L’industrie allemande est restée forte car l’Allemagne a réussi à conserver des entreprises patrimoniales, constituées de 12 500 ETI, le fameux Mittelstand.  Pour mémoire, elles ne sont plus que 4 500 en France. Cela est dû, entre autres, à des facteurs exogènes liés à la politique fiscale et sociale de la France depuis trente ans. Mais il y a également les facteurs endogènes, que nous pouvons maîtriser, en termes d’exportation, d’innovation, d’excellence opérationnelle et de gestion financière. Il est également intéressant de voir comment ces entreprises, souvent rurales et plus décentralisées qu’en France, ont réussi à se développer et souvent à exporter grâce à la maîtrise des processus. Je crois que ce qui nous distingue, c’est probablement en France une certaine créativité, qui est une force considérable, et du côté de l’Allemagne, peut-être plus de discipline, ce qui favorise le développement. C’est ainsi que nous sommes complémentaires et c’est pourquoi il est intéressant de partager forces et faiblesses de chacun des modèles.

Dans certains secteurs comme la mécanique ou les services, les chefs d’entreprise ne trouvent pas les profils dont ils ont besoin. Dans les métiers de production de nouvelles technologies, notamment celles liées à la transition énergétique, quel est l’état des lieux de l’apprentissage ?

L’apprentissage n’est pas la seule solution, mais c’est en effet une voie. Je répète souvent que je suis obsédé par l’emploi car le chômage est le fléau de la France. François Mitterrand disait que l’on avait tout essayé pour vaincre le chômage. Je ne crois pas pour ma part que l’on ait tout essayé. Pour dire les choses simplement, il y a trois types de patrons. Celui qui cherche mais ne trouve pas d’employés. Celui qui voudrait embaucher mais ne peut pas pour des questions de marges. Et enfin il y a le patron qui a peur d’embaucher. Dans l’industrie, le cas du patron qui ne trouve pas les profils dont il a besoin est récurrent. Cela est dû à deux problèmes qu’il faut régler : rendre attractifs les métiers d’apprentissage. Et simplifier le contrat avec l’apprenti. Nous avons aujourd’hui 350 000 apprentis en France pour 1,2 million en Allemagne. Il faut réhabiliter ces métiers. Et, d’autre part, que les ruptures éventuelles soient simplifiées et ne mènent pas forcément aux prud’hommes.

Enfin, il faut que les entrepreneurs dans les bassins d’emploi soient coresponsables, avec l’Éducation nationale, des parcours de formation de ces métiers.  Pour ce faire, il faudrait que l’enseignement ne vise pas forcément 80 % de bacheliers. Voyez-vous, en Suisse où le chômage des jeunes est de 4 %, seuls 30 % des jeunes sont bacheliers. Les 70 % restants sortent de filières apprentis ou alternants. Ces filières ne sont pas du tout des voies de garage. Ce sont des filières qui permettent de s’épanouir dans des métiers demandés, avec des passerelles permettant d’aller jusqu’au stade d’ingénieur et éventuellement de revenir dans le cursus académique.

Au Medef, nous contribuons à cette réhabilitation de l’apprentissage par des campagnes de sensibilisation, dont celle que nous avons appelée « Beau Travail » avec des spots TV, mais aussi en étant présents sur le Tour de France cycliste où nous avons filmé des jeunes dans des métiers en tension : soudeurs, charpentiers, menuisiers, ébénistes, métiers de bouche, métiers du Web. Nous estimons qu’il y a entre 200 000 et 300 000 emplois demandés et non pourvus en France chaque année. Il faut réhabiliter ces métiers, qui pour 80 % d’entre eux conduisent à des emplois en CDI en fin de cursus. Et surtout, à terme, un apprenti sur deux finit par monter sa propre entreprise. Enfin, ce sont des métiers dont les rémunérations sont intéressantes dès le départ. Un soudeur ou un charpentier commence avec des rémunérations qui sont bien plus élevées que le Smic.

Sur le volet de l’assurance chômage, nous pensons qu’elle doit être modifiée. Il faut vraiment former les populations qui en ont le plus besoin car il y a trop de situations désespérées de personnes qui ont cinquante ans et plus, avec des familles à charge, qui ne trouvent pas d’emploi. Il ne faut pas qu’au chômage, ils aient à attendre sept mois avant d’obtenir une formation. À l’autre extrême, il y a ceux qui tendent à profiter du système. Dans des bassins d’emploi très difficiles, il y a des personnes qui ne cherchent pas d’emploi parce qu’elles peuvent compter sur vingt-quatre mois de chômage et que par ailleurs elles peuvent accomplir des travaux non déclarés. D’où notre proposition d’intégrer une certaine dégressivité dans l’assurance chômage.

Vous connaissez bien les enjeux des industries électriques, électroniques, et de communication pour avoir présidé la FIEEC. Du point de vue du Medef qui est le vôtre aujourd’hui, quels sont les enjeux pour ces industries ?

Nous avons beaucoup travaillé au Medef, dans le cadre de notre projet France 2020, sur les sept grands défis du monde. Pour résumer, le monde est à équiper, via l’exportation, qui est sans doute l’axe de développement le plus rapide pour la France et ses entreprises. Mais il y a également l’axe des filières d’avenir, qui est un défi important. C’est l’industrie du futur, l’agro-industrie, la santé de demain, le tourisme, la sécurité des données, des transports et des citoyens, pour ne citer qu’eux. Le domaine de la sécurité est très en demande et il y a de nombreuses filières d’excellence françaises en la matière, que ce soit autour du hardware ou du software. D’abord, donc, dans les secteurs relatifs à la mécanique, à la mécatronique, ou encore à l’électronique. La voiture de demain se conçoit d’abord au niveau des matériaux, qui doivent être plus légers, plus robustes, plus intelligents. Il y aura toujours besoin de hardware. Mais parallèlement, il y aura de plus en plus de logiciels et de services. Le monde de ces filières d’avenir sera une association d’industries traditionnelles de travail des matériaux, impression 3D avec la partie logiciels, plates-formes et services associés. Sur ce volet-là, le service va prendre une place considérable.

Nous sommes dans un monde où les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et connectique) atteignent des niveaux étonnants. Chez Radiall, l’entreprise que je dirige, les ingénieurs m’ont montré récemment des composants optiques qui étaient usinés à un micron près. C’est une performance considérable car nous approchons le niveau moléculaire. Autre exemple : l’entreprise Bio Mérieux, qui vend des médicaments et des instruments, va proposer trois niveaux de services. Le premier est la collecte des données, puis vient le tri de ces données et enfin leur analyse pour apporter de la prévention et de l’intelligence au service de la santé.

Je vois bien dans un avenir proche ces alliances entre matériaux et big data produire des services nouveaux. Pour moi, il s’agit d’un continuum d’intelligence et d’innovation. Et les Français sont bien pourvus à ce niveau-là. L’enjeu est d’expliquer ces mutations à ceux qui nous gouvernent, tant au niveau national qu’européen.

Regardez : parmi les grandes tendances, si je considère pêle-mêle le réveil africain avec 2,5 milliards d’habitants en 2050 ; le climat, avec quelques centaines de millions d’individus qui vont migrer pour des questions de terres inondées. Si j’ajoute le vieillissement de la population qui interroge le modèle social à inventer pour y faire face. Et par ailleurs l’avènement de l’entrepreneuriat qui attire de plus en plus les jeunes, j’arrive face à des mutations d’ampleur mondiale.

La réponse, à mon sens, réside dans les filières de demain, qui sont autant d’axes de croissance par l’innovation ainsi que dans les standards à mettre en place afin de susciter compétitivité et croissance. À l’échelle française, il faut que nos responsables politiques intègrent ces grandes mutations, en comprenant que ce sont des axes de croissance formidables. D’où la nécessaire mise en place d’une fiscalité incitative, par l’investissement par exemple, et d’un volet social qui libère le marché du travail en acceptant de nouveaux travailleurs indépendants, avec bien entendu la protection sociale idoine à inventer. Nos quatre-vingts codes et quatre cent mille normes induisent de la complexité et un manque d’agilité incompatible avec le monde de demain.

Les entreprises françaises sont engagées dans la transition énergétique. Ce sont elles qui mettront en œuvre concrètement cette transition afin de conforter les atouts de la France. Quel impact économique et social est selon vous acceptable pour mettre résolument en œuvre la transition énergétique ?

Je crois que nous sommes actuellement dans un des sept grands défis dont nous parlions. La COP 21 a été plutôt une réussite et a permis d’affirmer la limite de 2 °C de réchauffement d’ici la fin du siècle. Nous avons là un objectif ambitieux et réaliste. C’est ainsi que nous travaillons dans nos entreprises, avec la vision stratégique d’un monde meilleur, associée à un objectif qui doit être ambitieux et réaliste. Ensuite, je crois que nous pouvons définir le niveau d’augmentation des énergies renouvelables, du nucléaire, d’hydrocarbures, etc. Ce que nous souhaitons éviter, ce sont les contraintes et les obligations qui s’appliquent uniquement à l’échelle française. Nous sommes dans un marché ouvert de compétition internationale. S’il y a des contraintes, il faut les appliquer à tout le monde. Je préfère voir mettre en place des incitations à faire mieux en dépensant moins de ressources et d’énergie que des taxes et des quotas. Là encore, les entreprises détiennent 90 % des solutions, par la recherche et l’innovation, mais aussi par la qualité et l’excellence opérationnelle. Dans mon entreprise, là où nous mettions trois ou quatre mois à produire tel composant, grâce au lean management, nous le produisons aujourd’hui en quinze jours. Cela génère moins de stock, nécessite moins d’énergie, etc.

Les deux axes fondamentaux sur ce sujet me semblent être la recherche/innovation et les processus/excellence opérationnelle. Or faire mieux et plus avec moins a des conséquences sur le management puisque les équipes doivent être formées pour optimiser les processus. C’est vrai au niveau d’une entreprise ; cela doit l’être au niveau d’un pays, de l’Europe et du monde. Dans ces domaines, il faut raisonner au minimum au niveau européen et faire confiance aux entreprises.

Nous avons publié au Medef un livret qui explique aux TPE et PME simplement quels sont les enjeux de la maîtrise de la température de 2 °C d’ici la fin du siècle avec des réponses notamment sur le prix du carbone ou encore les bonnes pratiques à mettre en place. Nous abordons également ces défis dans le livre Le monde change. Et la France ? qui est disponible en librairie.

Dans le contexte pré-électoral d’ici à 2017, vous avez lancé une initiative d’audition des principaux candidats à la présidentielle. Qu’en attendez-vous sur le plan du débat économique ?

Nous avons initié cette démarche lors de l’Université d’été de fin août. Ce qui me paraît important, c’est que la sphère économique, que je représente, puisse expliquer à la sphère politique comment fonctionnent l’entreprise et l’économie d’une façon générale. Il nous revient de l’expliquer simplement et sans arrogance. Nous avons passé beaucoup de temps à publier différents supports et à intervenir dans les médias. Nous avons également mis en œuvre une initiative que nous avons appelée « le vrai débat », qui est l’association de personnalités de métiers très différents, qui vont exprimer d’ici les élections ce qui nous semble être les vrais débats : l’enseignement, l’éducation, la diversité, l’emploi des jeunes, sujets qui ne sont ni de gauche, ni de droite. Enfin, nous allons continuer à rencontrer les candidats et leurs équipes pour vérifier que leurs programmes contiennent bien des éléments qui nous paraissent essentiels.

En effet, la France depuis trente ans a malheureusement eu tendance à prendre des mesures « antiéconomiques ». Je me dois de rappeler que, pour relever les défis dont nous parlons et recréer de l’emploi, il faut que les entreprises fonctionnent. Pour cela, nous devons partager le double objectif de forte croissance et de plein emploi. Le plein emploi signifie revenir à 5 ou 6 % de chômage, ce qui nécessite de retrouver une forte croissance, au-delà de 2 %. Cela est possible grâce à ces mutations. Par ailleurs, il faut déverrouiller le marché du travail, à travers quatre blocs de réformes fondamentales dans le champ social, fiscal, à travers la simplification de l’environnement et au moyen de l’enseignement.

Retrouver de la croissance et du plein emploi d’un côté et faire les réformes nécessaires de l’autre est possible car nous possédons tous les atouts nécessaires. Encore faut-il expliquer ces grandes mutations, qui sont des opportunités formidables. Cela passe par la confiance dans les entreprises et les entrepreneurs ainsi que leurs équipes.

Voyez-vous, nous représentons les forces qui créent de la richesse. Je crois que les Français l’ont compris puisqu’ils placent l’entreprise comme institution la plus crédible pour redresser la France, devant la justice, la police et l’armée. L’entreprise est bien le lieu où l’on donne du travail, de la fierté et de la formation aux personnes. C’est également un lieu de lien social et d’intégration.

Propos recueillis par Aymeric Bourdin

 

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