Hans Peter Kurzweil fut un inlassable voyageur. Pendant dix ans, c’est une vie pendulaire, entre l’Allemagne et la France, qu’il vécut. Pour finalement, depuis douze ans, finir par poser ses valises près de Paris. Depuis son entrée dans la vie active, sans faille, avec pragmatisme, un brin d’audace et le goût de l’effort, il a su faire valoir ses compétences pour se retrouver finalement à la tête de la filiale française de Wago Contact, une PME de 150 collaborateurs dont il est le « poisson pilote », pour le meilleur et le meilleur !…
Hans Peter Kurzweil, je l’avais déjà rencontré, il y a un an, afin qu’il me parle de son entreprise. Mais, cette fois, c’est de lui dont il sera question, son parcours, son histoire. Une fin d’après-midi, une salle de réunion, le téléphone portable à portée de main et des premiers mots en forme d’avertissement, « je ne suis pas un grand bavard, d’habitude c’est moi qui écoute ». Un entretien qui se fera sur un mode sobriété des paroles ! Pas de digressions, à peine esquissera-t-il quelques mots pour évoquer les quelques difficultés rencontrées lors de ses premiers séjours en France, en cause, « l’usage du français, pas trop maîtrisé et des habitudes culturelles différentes à assimiler ! » Loin derrière désormais. Mots après mots, Il va brosser le portrait d’un homme qui sut, au bout du compte, faire les bons choix, grimper dans les bons trains, ceux qui, voyage après voyage, l’ont emmené toujours plus loin et furent invariablement liés à la France. Avare de mots, mais direct, cependant, « je ne suis pas d’origine allemande, je suis allemand ! », précise-t-il. Sa nationalité, dont il a fait un atout, ses premiers mots adressés aux salariés de Wago Contact, à sa prise de poste, en témoignent, « si nous arrivons à marier la flexibilité française avec la rigueur allemande, nous devrions faire un beau produit ».
Ses racines personnelles plongent au cœur du Bade-Wurtemberg, à Lauffen Am Neckar, petite cité où naquit aussi une figure majeure de la littérature allemande, le poète et philosophe Friedrich Hölderlin. Son histoire, il décide de la faire démarrer en 1984, alors qu’il vient de décrocher son « bac, option mathématiques et physique » et s’apprête à démarrer une formation en alternance d’électricien industriel, « ma première rencontre avec les composants électromécaniques ». Deux ans et demi plus tard, il endosse l’uniforme de l’armée de l’air, « 15 mois, affecté dans une station relais du sud de l’Allemagne ». En 1988, la vie militaire est remisée au profit de celle d’étudiant de l’université de Stuttgart, pour plancher « en électrotechnique, orientée automatismes ». Quatre années plus tard, l’occasion se présente de migrer sur le campus de Supélec*, en région parisienne, « j’y resterai deux ans », jusqu’en 1994. C’est le virage de la vie professionnelle, « j’ai presque 30 ans et suis déjà trop âgé pour les recruteurs français ». Retour sur la rive droite du Rhin. La société Bernstein l’embauche comme chef de produit pour les composants, une expérience, « assez plaisante ». Et la vie lui envoie des signes, « mon appartement était situé à environ 300 mètres du siège de Wago ! » Sûr de lui, Hans Peter Kurzweil, qui fait le lien commercial et administratif avec la filiale française, « qui ne fonctionne pas bien », monte au créneau « pour en prendre les rênes ». La France de nouveau, cinq ans pour faire le job, « faire le ménage, tripler les effectifs et multiplier le chiffre d’affaires initial de 8 millions de francs par deux ». Mission accomplie, il ressent des fourmis dans les pieds. Nous sommes à l’orée du XXIe siècle, la période se prête à la page blanche. Qui s’écrira en Allemagne, à Darmstadt chez D2T, « le » spécialiste des bancs de tests pour moteurs thermiques. Intense, « on touche au nerf de la guerre des moteurs automobiles, c’est une période extraordinaire ».
Mais la vie glisse son grain de sel, et finalement crée de nouvelles opportunités. Le fondateur passe la main et vend son entreprise. Le temps pour Hans Peter Kurzweil d’éteindre la lumière chez D2T, pour en allumer une autre chez Wago Contact. Un de ses amis y occupe alors les fonctions de directeur commercial et lui parle de l’entreprise, « je me retrouve à postuler au poste de patron de la filiale française », sans en toucher mot à sa femme, française, qui exprime l’envie de retourner vers la mère patrie, « pour garder la tête froide, prendre [ma] décision, sans influence, si le poste m’est proposé ». Il le sera. À l’Ouest, du nouveau ! Trois raisons président au retour, un « 1er juin 2004, le pays, répondre au souhait de ma femme et le nouveau challenge ». Sur ce point, non sans une certaine « appréhension, étant donné le caractère trempé du dirigeant en place ». Le passage de relais se passe en douceur, en double commande pendant six mois, et il devient le vrai patron en 2005. Une greffe qui prend. Alors qu’il s’autorise un petit satisfecit, « à mon arrivée, l’entreprise réalisait 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, malgré la crise, nous avons depuis doublé la mise », il reconnaît avec élégance que son prédécesseur lui avait laissé « un beau terrain de jeu ». Douze années se sont écoulées, « l’époque où je voulais tout maîtriser » est révolue. Son management consiste à mettre de l’huile dans les rouages, « pour faire fonctionner l’entreprise sans devoir prendre toutes les décisions, je suis une sorte de coach qui responsabilise et aide les collaborateurs à devenir autonomes, je veux être sollicité en cas de besoin, mais la plupart du temps ils détiennent déjà la réponse à leurs questions ! » Patron satisfait d’une entreprise aux proportions idéales, « assez petite pour que du nom de chacun je puisse me souvenir et assez grande pour faire des choses fortes ». Mais patron exigeant, « nous jouons en ligue des champions, chacun d’entre nous doit donner plus que la moyenne, pour nos clients et aussi nos collègues, nous sommes une chaîne ». Exigeant, et, en tant que sportif, connaisseur des vertus de l’effort physique, « j’ai fait une sorte de proposition à mes collaborateurs, l’entreprise vous offre la moitié du prix de l’abonnement à la salle de sport, sous réserve d’assiduité, c’est-à-dire de vous y rendre au moins une fois par semaine ». À ce jour, une grosse poignée d’entre eux, 15 % des effectifs, a fait un pas en avant pour relever le gant !
À 51 ans, son voyage est loin d’être achevé, « je parie que les années à venir s’écouleront aussi vite que celles qui se sont écoulées ». Il se projette toujours dans l’entreprise, « on aime bien la stabilité chez Wago », mais ajoute, non sans humour, « vous me voyez vous dire le contraire ?… » En tous les cas, le chantier du nouveau siège qui démarre devrait pas mal l’occuper…
Olivier Durand
*École Supérieure d’Électricité.