Polo, jean, veste marine, Martin Villeneuve se souvient, nous sommes en 2010, alors que le groupe canadien Distech Controls acquiert une PME lyonnaise, il lui faut trouver un nouveau boss pour en prendre la tête. Un message qui tombe de son patron en pleine nuit, « veux tu être cet homme-là ? » Une décision à prendre, une épouse à convaincre de traverser l’Atlantique, qui lui répond, « là où tu iras, j’irai ». Pourtant, « venir en France n’a jamais été un rêve ». Alors qu’est-ce qui peut bien le motiver à poser ses valises, là où la Saône épouse le Rhône : « Le dévouement pour mon entreprise ». La fidélité aussi, alors qu’il y a fêté le 10 avril dernier ses 17 années de présence.
Au pas de charge, Martin Villeneuve métamorphose l’entreprise qui devient ambitieuse, et se propulse à l’international. Le recrutement s’accélère, 35 salariés au début de la décennie, 80 à ce jour, « huit d’entre eux seulement sont issus des effectifs historiques et, aujourd’hui, il n’y a pas un collaborateur dont je ne sois pas fier ». Bien entendu, il lui aura fallu s’imposer, « à mon arrivée, ma première préoccupation fut le développement commercial, je sème partout et regarde là où ça pousse, je passe l’essentiel de mon temps chez les clients, au début donc mes absences déstabilisent les salariés qui vivent un sentiment d’abandon », et puis l’âge, « mes collaborateurs me trouvaient trop jeune au regard de mes responsabilités, mais lorsque l’on vient d’Amérique du Nord, l’état d’esprit qui prévaut, c’est que passé 50 ans c’est plié ». Il est vrai qu’à son arrivée Martin n’a que 33 ans, un âge qui autorise toutes les audaces !
Martin Villeneuve, c’est une personnalité qui s’est révélée très jeune. À la fin des années 80, il est un gamin de 12 ans, né à Chicoutimi, qui déjà écume les petites annonces pour se dégoter un job, et se déclare tout de go prêt à démarrer sa vie professionnelle, « dans la vente de macarons en porte à porte ! » Du coup, ses parents prennent vite conscience que le centre aéré constituera un terrain de jeu quelque peu étriqué pour leur fils ! Son père le fait entrer dans un centre de rénovation, pour s’occuper de la quincaillerie, le bâtiment déjà ! Il s’y astreint à un rythme soutenu, « jusqu’à 27 heures travaillées hebdomadaires ! », tout en lustrant ses fonds de culotte à l’école, bien sûr. Sur ce point, conscient de son talent, mais sans plastronner, il confesse « avoir eu de l’aisance dans [ses] études ». Ses nombreux prix en té- moignent, mais sans la ramener, « obtenir de bonnes notes constituait presque un handicap, être perçu comme une « tronche asociale », coupée du monde, qui ne s’intègre pas ». Pas son cas, alors qu’il fait feu de tout bois, et parce que probablement pas assez occupé, se lance « dans l’achat-revente de motos, motos-neige », bref, tout ce qui possède un volant, un guidon et une boîte de vitesses, « le garage de mon père était bourré de matériel ! » De quoi quand même accumuler un apport suffisant pour s’offrir sa première maison à 21 ans, « avec piscine, à Sainte-Julie, rive sud de Montréal ».
Mais, avant cela, il lui aura fallu faire le choix des études supérieures. L’écrivain et journaliste Marc Lambron, un Lyonnais, écrit dans son discours d’entrée à l’Académie française, « la vraie noblesse, elle est dans le voyage et l’interrogation ». Martin Villeneuve se nourrit d’action, et le questionnement lui tient lieu de ligne directrice, il veut apprendre, déchiffrer le monde et ses lois physiques, « comment est-il possible de faire couler l’eau à un robinet au 50e étage d’un building ? » Les études d’ingénieur s’imposent, le génie mécanique du bâtiment en particulier. Études, jobs, boulimique, il traverse la vie en apnée, occupe la moindre parcelle de vie disponible. Éternel pressé, pas question d’attendre d’être diplômé pour envoyer des dossiers de candidature, il lui faut vite « gagner l’équivalent de 20 e de l’heure et finir de payer [sa] maison ! » Le patron de Regul Var, « la plus grosse boîte d’automatisation du Québec », dégaine le premier. Martin pendant un temps sera donc à la fois étudiant et concepteur de systèmes d’automatisation. C’est bien, l’impatience pas rassasiée le rattrape, ce dont il avait envie ? « Prendre la route, enfiler mes bottes et mon casque, entendre mon téléphone sonner à trois heures du matin, ouvrir une armoire électrique, écouter le clic-clic des relais électriques. » Deux ans plus tard, Distech Controls l’appelle, moment clé, « mon histoire personnelle fusionne avec celle de ma nouvelle entreprise ». Alors qu’il n’est « qu’un numéro » chez Regul Var, sa nouvelle boîte lui permet, « de prendre des postes à responsabilité et de [se] frotter à tous les métiers ». Recruté comme directeur de mise en service de sites, il passe vite à la R&D, « pour affiner notre produit, pas encore à la hauteur de la concurrence ». Apprentissage à marche forcée, il aime ; « en 2001, je suis parti 26 semaines aux États-Unis, pas une ville du pays que je ne connaisse pas, je développe le matériel de formation dans les avions et deviens bilingue à force de me frotter aux accents, surtout ceux du Sud ! »
Distech Controls se réorganise, « abandonne la partie intégration et se concentre sur la partie manufacturée ». Martin est « l’un des seuls à connaître le métier et surtout à croire à la nouvelle stratégie ». Il ajoute : « J’enquille les postes de support technique, assurance qualité, Product management, puis deviens en 2010 vice-président Europe », la boucle est bouclée. Désormais, ce sera la Gaule, terre exotique, « où les routes ne sont pas droites, les places de parking trop exiguës pour s’extraire de sa voiture sans beugner celle du voisin, où un salarié ne se rémunère pas à la semaine mais au mois et à qui l’on doit proposer un contrat de travail ». Et puis, vu d’Amérique, les Français sembleraient peu bosseurs, un goût de cliché quand même, « ici, les salariés bien souvent travaillent beaucoup plus qu’en Amérique du Nord ». En tous les cas, les doutes du début sont balayés, « je suis chez moi en France ». Olivier Durand