Par Isabelle Jourden, architecte-paysagiste – responsable Aménagement durable Île-de-France, bureau d’études Cap-Terre.
L’urbanisation grandissante et l’imperméabilisation des sols entraînent une problématique sur la gestion de l’eau et surtout questionnent la capacité des réseaux d’assainissement à traiter toujours plus de mètres cubes. Le système du « tout tuyau », consistant à collecter systématiquement les eaux pluviales et les eaux usées pour les évacuer à l’aval, a révélé ses limites. Devant la saturation des réseaux d’assainissement, les inondations en centre urbain et la dégradation des milieux récepteurs, d’autres solutions ont dû être utilisées, très souvent en complément des réseaux. C’est pourquoi de nombreuses techniques dites alternatives sont apparues dans les aménagements urbains et sont largement diffusées aujourd’hui. Le ministère de l’Écologie et du Développement durable a notamment initié un guide La Ville et son assainissement édité en 2003 par le Certu.
Ces nouveaux modes de gestion intègrent cependant une combinaison d’expertises : hydrologiques (à l’échelle du bassin versant), paysagères (avec un rôle structurant de l’aménagement de l’espace et des nouveaux modes de gestion à anticiper), sociales (avec une conception de mutualisation des usages) et environnementales (avec la création d’habitats où la faune et la flore interagissent). Les responsabilités en matière de gestion alternative des eaux se répartissent désormais entre de nombreux acteurs, de la planification urbaine à l’entretien des ouvrages.
Chaque projet, selon le lieu, les caractéristiques du sol et les usages futurs, peut proposer une combinaison d’ouvrages de gestion des eaux. En tant que concepteurs, nous devons être force de proposition auprès de nos clients et présenter une analyse des atouts et contraintes de chaque dispositif. Ainsi dans notre dernier projet de zone d’activité, nous avons étudié et validé deux systèmes ambitieux répondant aux enjeux de développement durable souhaités par notre maîtrise d’ouvrage :
- 1. Une station d’épuration avec filtres plantés pour gérer les eaux usées des futures entreprises, appelée phytoépuration.
- 2. Une noue et deux bassins de gestion des eaux pluviales qui permettent de stocker provisoirement et de participer à la dépollution des eaux avant rejet contrôlé au milieu naturel.
1. La phytoépuration s’appuie sur le principe de l’association de plantes aquatiques et de micro-organismes. Les plantes jouent un rôle essentiellement physique en évitant au substrat de se colmater grâce au maillage constitué par leurs racines ou rhizomes. Elles favorisent aussi l’oxygénation du milieu et permettent le développement de micro-organismes comme des algues ou des bactéries autour de leur système racinaire.
Les systèmes de filtres plantés se sont développés depuis une quinzaine d’années et constituent une alternative aux micro-stations d’épuration classiques. Ils ont l’avantage de ne pas générer d’odeurs, de présenter une bonne adaptation aux variations saisonnières des populations et de permettre l’installation de zones humides végétalisées.
2. Le système de traitement de gestion des eaux pluviales consiste, lui, à stocker l’eau de pluie à ciel ouvert, voire à l’infiltrer quand cela est possible de manière à ce que les particules polluantes (hydrocarbures) s’éliminent ou plutôt que les chaînes des molécules se cassent afin d’être transformées et utilisées soit par le sol et ses micro-organismes, soit par les plantes.
Dans notre projet, ces deux ouvrages ont été complètement intégrés dans le plan masse de la zone d’activité, ils ont même orienté un caractère végétalisé où la thématique de l’eau est devenue une force. Les études de conception avançant, ces ouvrages à ciel ouvert sont devenus la « signature » de la nouvelle zone grâce à ces aménagements paysagers incontournables. Implantés en entrée de site, les futurs usagers profiteront des aménagements paysagers de ces « bassins » sans même se rendre compte qu’il s’agit de traitement des eaux usées et pluviales participant efficacement à la dépollution. En revanche, l’eau transportée et circulante sur les espaces publics sera omniprésente aussi bien grâce à l’ambiance végétale que sur les ouvrages des espaces publics. Sa mise en scène comme support des aménagements paysagers sera optimisée. Le cycle de l’eau est entièrement intégré à l’aménagement et donne un aspect très « naturel » aux espaces publics grâce à des palettes végétales locales jouant de surcroît un rôle technique primordial.
Ces modes de traitement des eaux impliquent cependant d’aborder leur type de maintenance afin d’anticiper un fonctionnement optimum. Les moyens nécessaires à l’entretien des ouvrages doivent être présentés lors de la phase de conception car ils nécessitent un entretien adapté et régulier. Ces aménagements, contrairement à des techniques classiques, demandent des plans de gestion précis comme une taille des végétaux, le faucardage des roseaux, des nettoyages fréquents des espaces de décantation, le remplacement des matériaux filtrants. Des accès techniques adaptés aux moyens de gestion doivent également être prévus afin de faciliter les différents entretiens à dispenser. La gestion de ces espaces de régulation des eaux est un sujet souvent complexe puisqu’il renvoie sur les moyens mis en œuvre à court, moyen et long terme et questionne la prise en charge de ces moyens. Notre bureau d’études participe à l’accompagnement de nos maîtres d’ouvrage sur ces choix éclairés qui conditionnent le bon fonctionnement des systèmes et permettra aux générations à venir de ne pas aggraver les périodes d’inondations des années 2000 et de préserver les milieux naturels récepteurs face au développement toujours croissant des villes.
Nous aimons à penser que les projets de développement durable incarnent ces questionnements de l’amont à l’aval d’un projet. Les bâtiments aujourd’hui traitent des modes constructifs, des matériaux mais aussi de l’entretien et de la maintenance de l’énergie qu’ils produisent, l’aménagement doit suivre ce chemin et permettre de rendre compte, en toute transparence, sur les moyens investis à long terme.
Par Isabelle Jourden, architecte-paysagiste – responsable Aménagement durable Île-de-France, bureau d’études Cap-Terre.