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Interview : Pauline Mispoulet, présidente du Gesec

Pauline Mispoulet

Ni fédération, ni ONG, ni centrale d’achat, le Gesec a adopté comme devise : Ȇtre unis pour être uniques. Pouvez-vous présenter cette forme originale de groupement d’entreprise ?

Sur la forme, le Gesec est un groupement d’intérêt économique (GIE). Sur le fond, nous avons créé une entreprise en réseau, avec 1,2 Md € de chiffre d’affaires cumulé et 9 000 collaborateurs. Nous avons créé un écosystème où l’on mutualise tout ce qui peut l’être à grande échelle : juridique, technique, ressources humaines, gestion, communication, formations, etc. Les fonctions support, hors production, qu’une petite entreprise ne peut pas avoir seule, deviennent alors envisageables à plusieurs.

En fait, le Gesec est né il y a 45 ans d’une réalité vécue par beaucoup de dirigeants : la solitude face à la complexité, aux doutes et aux manques de moyens. Il existait des groupements d’achats et des développements orientés business. L’originalité du Gesec, c’est d’avoir d’emblée créé un groupement de services. À plusieurs, on peut envisager un partage d’intelligence, de bonnes pratiques, de questions, qui font progresser tout le réseau. De plus, le Gesec assemble des compétences en fonction de la demande des clients. Et comme notre typologie de clients est en train de changer, le Gesec permet de créer ces assemblages de métiers différents, de tailles d’entreprises variées pour qu’elles puissent continuer à répondre aux besoins de leurs clients.

Aujourd’hui, nous comptons 350 entreprises adhérentes et une équipe de 32 collaborateurs. Notre première force, c’est la capacité à réunir le réseau lui-même, avec toutes les complémentarités métier que cela implique. Le chauffage et l’électricité étaient un mix qui s’envisageait difficilement il y a quinze ans. Aujourd’hui, on assiste à une complémentarité entre les travaux, la maintenance et l’exploitation. Il s’agit d’abord pour nous d’être proches du terrain. Nous avons des animateurs de réseau qui connaissent bien nos adhérents, leurs compétences et leur savoir-faire. À partir de là, nous pouvons faire de l’assemblage d’offres, qui est, en quelque sorte, le dernier étage de développement du Gesec.

Pour cela, il nous faut bien comprendre les problématiques clients et en quoi elles sont en train d’évoluer. En effet, les segmentations de marché sont en train de changer et le raisonnement qui tend à distinguer particulier, petit tertiaire et grand tertiaire, est de plus en plus remplacé par un raisonnement en termes de processus d’achat. Une entreprise aujourd’hui sait encore adresser une offre pour son marché quand il est local ou régional. Mais il y a deux marchés à taille critique qui deviennent inaccessibles à beaucoup d’entreprises : les marchés nationaux, où de plus en plus de clients privés et publics centralisent leurs achats, et le marché du client particulier dont le processus d’achat a aussi beaucoup évolué. Face à ce dernier, une grande partie des entreprises se trouve quelque peu démunie pour le capter, le séduire ou répondre à ses besoins…

Vous vous distinguez des fédérations professionnelles…

À l’inverse d’une fédération qui, à l’image d’une pyramide, fait remonter les sujets d’une branche professionnelle pour dialoguer avec les pouvoirs publics, nous avons pour mission de traiter la complexité du monde pour la rendre accessible aux plus petites entreprises, sous la forme d’une pyramide inversée. Notre rôle est d’aider les entreprises à s’adapter.

Vos adhérents couvrent des services tels qu’études, conseils, conception, installation, maintenance, dépannage, dans des métiers aussi divers que le chauffage, la climatisation, le traitement d’air, la ventilation, l’électricité, la plomberie, le sanitaire. Quels sont selon vous les enjeux communs pour les différents métiers de ces PME ?

Nous nous positionnons moins sur les questions de technique et de métiers que sur l’entreprise et les préoccupations de l’entrepreneur. Des transitions énergétiques, la plus vieille entreprise du Gesec, qui date de 1850, en a vécu trois ou quatre ! La question pour nous est moins celle de la technique que celle du modèle d’affaires, du financement et de la capacité à rester en phase avec l’évolution des attentes des clients. La question du business model de l’artisan est un point commun à tous les métiers, de l’électricien au plombier, en passant par le chauffagiste. Nous sommes des métiers techniques et nous pensions que le fait d’être de bons techniciens suffisait à faire venir les clients. Ce monde-là est fini. La difficulté aujourd’hui, c’est le chemin à parcourir entre les clients et nous. Il nous faut de bons produits mais aussi des services ajoutés, ce qui concerne tout le monde.

La question de fond, pour nos entreprises, c’est « qui est capable d’acheter quoi ? » Donneurs d’ordre publics et privés ont de moins en moins de moyens. Si l’on veut vendre à tous les particuliers une transition énergétique à 23 000 € avec un salaire moyen par ménage de 2 400 €, il faudra un jour que l’on m’explique comment l’on fait…

Sur la rénovation énergétique du bâtiment, je crois que l’on s’est trop focalisé sur la question technique et pas assez sur les moyens de la financer par tout un chacun. C’est pour cela qu’aujourd’hui on ne fait pas la transition énergétique, parce que cette question n’a toujours pas trouvé de réponse.

Sur un autre plan, il y a des éléments sur lesquels nos entreprises peuvent travailler et d’autres qui leur échappent. Sur la structure de coûts, aucune entreprise ne pourra être compétitive par rapport à des tarifs roumains, par exemple. Se battre sur ce terrain contre les travailleurs détachés est impossible.

Encore une fois, la question pour nos entreprises est : quel est le marché, quel est mon client, de quel budget dispose-t-il ? Et combien je coûte ? Trop peu de personnes se posent la question dans notre filière. Il y a trop de grands poètes de la transition énergétique et pas assez de réponses à ces questions-là.

Pour adresser ces sujets, nous avons créé une offre nationale qui va nous permettre d’assembler les compétences en fonction de ces problématiques. C’est notre savoir-faire que de donner à nos entreprises les moyens de répondre à ces enjeux-là.

À quel point « vos » PME sont-elles touchées par l’arrivée du digital ? Dans quelle mesure est-ce vécu comme une menace ou comme une opportunité ?

Bien entendu, nous souhaitons faire du digital une opportunité et non une menace. Nous avons donc investi dans une plate-forme numérique, un projet de start up, intitulé Drapo, dans laquelle nous avons investi.

À terme, il s’agit de répondre à la question critique du marché de masse : comment faire émerger les 5 % d’entreprises qui ne sont pas au niveau des attentes du marché sur le plan à la fois technique, commercial et organisationnel ? Les labels et autres certifications n’y parviennent pas car ils sont insuffisants, méconnus et ne sont pas orientés clients. S’il y a de la compétence technique dans nombre d’entreprises, cela ne suffit plus. Il faut avoir des entreprises assez organisées pour tenir des délais simplement, facturer en temps et en heure. Autant d’éléments simples que tout client attend, mais pour lesquels seule une minorité de professionnels est au niveau. Cette minorité est dissimulée, noyée dans la masse qui peine à se structurer correctement.

De façon plus large, nous sommes entrés dans une mutation inévitable entre un paradigme ancien et un paradigme nouveau, à la fois sur le plan de l’énergie et des métiers. Le monde ancien qui, en quelque sorte, se trouve en face du gouffre, tend à se bunkeriser. Ce constat est valable pour les grands énergéticiens qui sont en résistance forcenée pour éviter de changer.

En France, dans le secteur de l’énergie, on a réussi à faire croire que ce sont les fournisseurs d’énergie qui vont réaliser la transition énergétique. Il y a dans ce raisonnement une forme d’imposture qui nie un conflit d’intérêt latent. Aujourd’hui, la transition ne peut pas se faire à cause de cette imposture où les arbitrages n’en sont pas. Donner du poids au renouvelable sans toucher au système actuel revient à mener un double langage qui nous met dans une impasse extrêmement dommageable sur le plan économique. Un jour, il y aura une catastrophe économique, financière ou technique de la filière nucléaire française, et aujourd’hui ce n’est pas assumé. Et pendant ce temps, nous, entreprises, sommes mises face à des marchés perturbés par les anciens monopoles publics qui jouent de leur influence politique et économique à tous niveaux.

À cet égard, 2016 répond à ce que nous avions prévu : il ne peut pas y avoir de reprise, car nous sommes dans un scénario de mutation. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui mutent. Ceux qui ne bougent pas vont continuer à avoir des difficultés. La vraie question est : comment est-on capable de muter et à quelle vitesse ? Les entreprises du Gesec, elles, vont plutôt bien.

Quelle est votre position sur le sujet ?

Il faut arrêter ce conflit d’intérêt et par exemple expliquer aux acheteurs publics qu’associer la fourniture d’énergie et les services est un non-sens. En tant qu’entreprises, nous sommes pour la concurrence. Tout ce que nous demandons est de travailler sur la base d’une concurrence saine, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous voulons assainir la situation du marché par l’accès aux services de travaux d’énergie.

Quels sont les champs d’innovation dans vos métiers ?

Cela peut être de l’innovation technologique, mais le champ s’avère surtout celui de la mise sur le marché. Je suis par exemple administrateur d’une start up qui a inventé un compresseur thermique permettant de construire des chaudières réversibles qui consommeront deux fois moins d’énergie. Pour cette innovation de rupture, combien de temps faudra-t-il pour accéder au marché ? Cela rejoint le sujet des partenariats. Au Gesec, nous avons décidé de regarder les choses autrement et de sortir du paradigme client/fournisseur classique pour nous demander comment se mettre ensemble autour de la table afin de raccourcir le délai de mise sur le marché de l’innovation, à un prix pertinent. Pendant longtemps, nous étions sur des enjeux BtoB classiques d’achat. En fait, c’est le client qui est notre enjeu commun. Cela devient de plus en plus le sujet des industriels qui se rapprochent de nous pour construire ensemble des solutions produits-services adaptées aux besoins spécifiques de nos clients, et offrir un ensemble cohérent, packagé, rassurant.

Quels sont les chantiers actuels du Gesec ?

Nous avons en permanence une réflexion sur la valeur que nous créons pour les entreprises. Leur pérennité, le fait que chaque dirigeant se sente libre dans un groupement et la valeur que l’on peut créer collectivement, c’est notre seule raison d’être puisque nous ne sommes pas une institution. Il faut nous inventer en permanence. Cette dernière valeur plus globale, nous pouvons la partager en la restituant aux territoires et à la collectivité, au niveau sociétal. Nous n’essayons pas de devenir gros, mais grands, c’est-à-dire d’atteindre la taille critique, tout en gardant l’emploi. C’est une vraie réflexion sur la valeur, au sens philosophique du terme. Ce que nous faisons et comment nous partageons la valeur autour de nous, pour témoigner qu’il existe des nouveaux modèles économiques qui ont une valeur propre.

Votre organisation surprend-elle ?

Depuis plus de vingt ans que je travaille au Gesec, je ne connais pas d’équivalent en France, en Europe, ni dans d’autres métiers. Parce qu’on l’a créé en avançant, le Gesec est un système complexe et auto-adaptatif. Et l’on se rend compte que ce côté empirique rejoint finalement des réflexions beaucoup plus universitaires sur les business models de demain. Sans le vouloir, le Gesec est une forme nouvelle de modèle économique qui serait reproductible dans d’autres métiers et à d’autres échelles.

Vous avez publié un livre en octobre 2014, intitulé Énergie et prospérité, qui aborde la question de la création de valeur et du bénéfice économique…

Oui, c’est une œuvre collective à laquelle ont participé tous les adhérents du Gesec. Nous avons voulu reprendre ce sujet complexe de la transition énergétique et le rapprocher de nos métiers. En quoi nos entreprises sont-elles concernées et en quoi nous avons des propositions à faire dans ce cadre-là. Cela est très emblématique de la méthode du Gesec qui permet l’écoute, la confiance et l’intelligence.

Ce livre est un outil à plusieurs niveaux. Interne, d’abord, pour expliquer les visions macro et nano et rapprocher les deux. Externe également pour exposer notre position et à quoi elle ressemble. Pragmatique, elle a apporté quelque chose de la réalité de terrain, ce qui en fait un bon outil pour faire comprendre notre action.

De toute façon, ce n’était en aucun cas une tentative de se légitimer auprès des cercles décisionnels. Mais plutôt l’inverse : se saisir du problème et en faire une réalité partagée par le Gesec pour ensuite avoir un message recevable par l’extérieur. En quelque sorte, passer de l’égosystème à l’écosystème. Cette démarche anticipe un autre monde, une autre façon de diriger, d’inspirer, de conduire les gens. C’est une méthode qui s’inscrit dans un monde à venir et non pas dans le monde ancien.


Une action collective tournée vers l’environnement

« Faire rimer performance énergétique et économique pour des clients multisites, c’est possible… en réseau !
C’est en adoptant une démarche collaborative que le Gesec a réussi à répondre aux besoins d’économies d’énergie de son client Casino, pour 53 de leurs supermarchés.
L’idée du client était de pouvoir réutiliser la chaleur dissipée par les compresseurs des chambres froides, pour chauffer d’autres espaces de ses supermarchés et éviter ainsi de gaspiller de l’énergie.
Pour trouver une solution technique, le client a d’abord fait plancher sa filiale de gestion de l’énergie, Green Yellow. Puis, la mise en œuvre de cette solution a été orchestrée par Gesec Développement qui a coordonné l’intervention d’une dizaine d’entreprises (dont Nervet Brousseau à Chartres, Energétique Sanitaire à Marseille et Sanithermic à Montpellier).
Elles se sont concertées pour industrialiser les process via la préfabrication de certains modules, gérer les achats de matériels collectivement et installer les solutions rapidement et efficacement en partageant leur expérience. »

Récupérateur en place dans un supermarché.
Préfabrication des modules de récupération de la chaleur.
Aymeric BOURDIN:
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