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Interview : Christophe de Maistre, Président de Siemens France

Christophe de Maistre - président de Siemens France

j3e – Comment se portent vos différents marchés en France et à l’international à l’orée de l’année 2016 ?

Christophe de Maistre – Nous sommes dans une situation économique assez plate en ce qui concerne la France. C’est pourquoi nous sommes dans l’optique de faire jouer l’ensemble des synergies du groupe. Concrètement, cela signifie travailler sur la digitalisation de l’ensemble de nos métiers et aller chercher de la valeur ajoutée dans des services supplémentaires. C’est valable dans l’industrie, ainsi que dans le bâtiment, qui est plus hétérogène. Dans ce secteur nous avançons notamment sur des projets liés au développement du BIM (Building Information Modeling). Mais, avant d’atteindre cette couche ultime de conception, nous travaillons sur les outils, en essayant de fédérer l’ensemble des informations dont nous disposons, aussi bien dans la partie HVAC (chauffage, ventilation et climatisation) que dans la partie sécurité. Unifier, simplifier, ouvrir les systèmes, afin de gagner en intelligence, c’est notre façon de rentrer dans une démarche d’automatisation.

Sur des marchés équipés, il nous faut trouver des caractéristiques qui nous différencient. Cette démarche de combinaison de systèmes et de convergence apportera beaucoup aux bâtiments. À partir du moment où l’on se place dans ce type de réflexion à moyen, long terme, cela offre la possibilité de stimuler la recherche et de réaliser de nouvelles idées ainsi que parfois de les exporter.

j3e – Quels sont les principaux chantiers qui vous attendent dans les mois à venir ? 

Christophe de Maistre – Nous avons deux types d’activité : nous essayons d’intégrer la production d’énergie mais également l’aval, avec la transmission et le stockage d’énergie.

Tout d’abord, la production d’énergie, avec l’éolien, sur lequel nous sommes devenus un des leaders sur le marché français. Nous venons de la spécialisation sur de gros projets, notamment d’éolien off shore. Et aujourd’hui, nous nous élargissons sur des projets plus locaux si bien que nous détenons environ 10 % de part de marché en France.

À cela s’ajoute un domaine nouveau : l’émergence d’écosystèmes de production décentralisée, avec l’acquisition par Siemens d’entreprises offrant des solutions de cogénération et de systèmes distribués qui vont de pair avec les smart grids. Le consommateur devient producteur, ce qui a une incidence sur le réseau, qui doit supporter des utilisations à sens multiples. Cette multitude de petits projets constitue pour nous une révolution.

Sur des projets de taille moyenne, tels que des transformateurs basse tension/haute tension, nous sommes capables de jouer sur les effets particuliers liés à l’injection d’énergies renouvelables de manière importante.

Bien au-delà, nous avons également de gros projets, qui se font en interconnexion entre la France et les pays voisins. À titre d’exemple, nous avons réalisé le premier chantier en HVDC +, multidirectionnel pour le projet Inelfe (RTE et REE), la première interconnexion de réseau électrique entre la France et l’Espagne.

Dans le domaine de la transmission, nous lançons beaucoup d’innovations. Le marché français va s’ouvrir à la concurrence et permettre d’initier des projets, pas uniquement sur la téléconduite des réseaux, mais aussi sur les réseaux eux-mêmes.

Cette ouverture du marché est importante. Comme nous sommes une entreprise française, cela offre des opportunités de croissance, pour la France et pour l’exportation. 35 à 40 % de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’export. Pour Siemens, la France est un pays de production et d’inventivité plus que de seule distribution. C’est cette logique qui nous a conduits à céder récemment nos activités d’électroménager, d’audiologie et dans le domaine de l’eau pour acquérir des centres de production dans l’oil and gas, ainsi que les turbines aéro dérivatives de Rolls Royce.

Il y a dix-huit mois, nous avons défini notre vision 2020 au niveau du groupe, qui implique un recentrage sur l’électrification. Nous sommes probablement l’acteur qui a la vision la plus complète sur l’électrification, puisque nous sommes présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est cette intégration qui nous permet de répondre aux besoins des opérateurs.

Face au bouleversement du numérique et à l’apparition de nouveaux acteurs, nous sommes amenés à un recentrage à partir d’un socle solide. Pour notre part, nous venons de l’industrie et mettons à profit notre expérience métier en intégrant une couche software. Le big data, par exemple, s’avère utile à partir du moment où l’on a une expérience industrielle, comme c’est notre cas dans la motorisation, depuis deux siècles.

On peut même dire que Siemens est une des grandes entreprises informatiques dans le domaine industriel, puisque nous avons environ 18 000 développeurs dans le monde qui ont la connaissance spécifique des machines. C’est très utile pour faire de la maintenance prédictive, ce qui est difficile à réaliser pour des acteurs qui viennent « d’en haut » de la chaîne et pas « d’en bas » comme nous. Par ailleurs, nous avons établi une alliance capitalistique avec Atos, dont nous sommes actionnaires et qui, lui, est intégrateur de ces données.

Inelfe, interconnexion électrique franco-espagnole permettant de doubler la capacité d’échange d’électricité entre les deux pays et d’intégrer davantage de production à base d’énergies renouvelables.

j3e – L’offre de Siemens Building Technologies ne se limite pas à la simple fourniture de matériels sur des projets toujours plus complexes, mais englobe l’ensemble des solutions et services qui s’y rattachent : conception, mise en œuvre, pilotage, modernisation, services énergétiques… Vous qui êtes dans l’entreprise depuis longtemps, comment décririez vous cette évolution des industriels vers les services ? À quoi est-elle due ? Comment la mener au mieux ?

Christophe de Maistre – Nous essayons d’utiliser les bonnes pratiques que nous avons déjà dans le groupe, de manière à pouvoir les répliquer et unifier un paysage qui apparaît un peu hétéroclite, vu de l’extérieur. La culture building technologies venait notamment des savoir-faire en matière de détection incendie avec des normes particulièrement exigeantes. À partir de cette connaissance, nous couvrons le territoire à partir de nos 41 agences au plus près des clients, pour monter en gamme avec de nouveaux outils et services. Notre prochain outil s’appelle Desigo. Il va ouvrir sur une même plate-forme la partie HVAC et la partie protection feu et gestion des systèmes de sécurité, pour entrer dans un système de convergence ouvert, afin de stimuler l’innovation. Nous n’avons pas la prétention d’avoir LA solution à nous seuls. C’’est pourquoi nous poursuivons l’ouverture vers des applications et des services complémentaires qui permette une vision durable des buildings.

De façon transversale, nous avons en permanence le souci de l’économie d’énergie, sur un des métiers forts de Siemens, qui est la variation de vitesse à visée d’optimisation. La variation de vitesse se démocratise. Elle permet d’avoir l’ensemble des informations en temps réel, de piloter et de réguler pour réaliser des économies d’énergie. Nous souhaitons nous inscrire dans ce mouvement, sur lequel la France a des marchés à conquérir. Actuellement nous avons de nombreux projets d’application avec des retours sur investissement de l’ordre de six ans. Comme vous le savez, sur un bâtiment, ce n’est pas toujours facile, car il faut convaincre de nombreux partenaires, du propriétaire au constructeur, en impliquant toute la chaîne.

Mais si l’on veut continuer à exister en tant qu’acteur, ainsi que l’ensemble des intégrateurs et des métiers de la chaine de valeur, nous devons apporter plus. Sinon, nous sortirons du marché et n’apporterons pas la valeur attendue. Il y a là une prise de conscience importante, que les pays du nord de l’Europe ont eue plus tôt que nous pour la raison que le prix de l’énergie y est souvent plus cher qu’en France. C’est finalement le paradoxe que nous avons en France : le prix de l’énergie n’y est « pas assez cher » pour justifier ces lourds investissements en économie d’énergie pourtant nécessaires.

j3e – Power and Gas et power to gas. j3e présente ce mois-ci un dossier sur le potentiel des solutions hydrogène pour le bâtiment. Vous travaillez sur ces sujets. À quel stade de développement en sont les solutions hydrogène, tant en termes technologique que de pénétration du marché ?

Christophe de Maistre – Il s’agit d’un marché émergent, là où plus personne ne discute l’intérêt des énergies renouvelables. À Hanovre 2015, nous avons sorti des électrolyseurs de première génération : 1,5/ 1,25 mégawatts. Nous ne voulons pas devenir fabricants d’hydrogène mais être au plus près des centres de production et stocker l’énergie renouvelable, dont la faille est l’intermittence de production. Grâce à l’hydrogène, on peut stocker l’énergie et gérer les effets de pic.

Nous avons produit des PEM, ces électrolyseurs qui cassent la molécule de l’eau et fabriquent de l’hydrogène, stocké sur place et qui permettent de créer ensuite une chaîne de valeur. L’hydrogène peut être soit réinjecté au cours d’un cycle combiné, par exemple pour la propulsion de véhicules présents sur place.

L’idée pour nous avec cette nouvelle gamme est de monter en puissance (100 MWatts) avec un système très modulaire. Le « Graal » de l’énergie, ce sera lorsqu’on arrivera à stocker l’énergie. Si les solutions existent, il reste à les rendre économiquement viables. La question qui reste est celle du prix, pour le développer à échelle industrielle.

C’est pourquoi il faut que l’on stocke là où l’on produit, pour éviter tous les effets liés au transport à distance. C’est le vrai sujet des énergies renouvelables. À partir du moment où l’on est dans une optique de fabrication décentralisée, cela a du sens de trouver des usines de production d’hydrogène très localisées.

Siemens, leader mondial en matière de production d’énergie éolienne en mer et de maintenance éoliennes, est le premier acteur du secteur à concevoir et commander ce nouveau type de navire, développé spécifiquement pour l’entretien et la maintenance des parcs éoliens éloignés.

j3e – Vous êtes également président de Pacte PME, une association qui vise à innover avec les PME, en adaptant les processus achats à travers un pilotage dédié. Cette responsabilité vous place à un poste d’observation national. Quels sont selon vous les enjeux d’aujourd’hui pour les relations PME grands groupes en France, notamment dans l’industrie ?

Christophe de Maistre – En France, si l’on veut réussir, nous devons apprendre à chasser en meute, ce qui n’est pas naturel dans notre culture. Or je crois qu’il y a actuellement une prise de conscience, qui peut être favorisée par des outils collaboratifs et des plates-formes qui permettent, comme c’est le cas avec Pacte PME, d’avoir 12 000 à 15 000 PME innovantes qui réalisent des synergies sur certains sujets tout en travaillant en lien avec le MEDEF, la CGPME, l’AFEP.

Aujourd’hui, l’innovation doit venir du partenariat entre grands groupes et PME. Cela prend la forme d’un échange de bonnes pratiques, comme par exemple l’affacturage inversé, qui permet à une banque de donner les mêmes conditions financières aux partenaires PME qu’aux grands groupes.

Ou encore dans le domaine de l’apprentissage : 55 grands groupes qui mettent en commun des bases de données de manière neutre, cela constitue un marché de l’emploi formidable pour de jeunes apprentis.

Tout ceci avec un souci « patriotique» de renforcer les PME et de faire gagner du temps à tout le tissu d’entreprises dans une démarche gagnant-gagnant.

Chez Siemens, nous avons 9 000 sous traitants, même si je préfère le terme allemand qui dit : co-traitants et reflète mieux la réalité de cette relation partenariale. Et bien nous mettons à profit leurs bonnes idées pour créer une dynamique commune.

Si on veut réindustrialiser en France, où nous avons d’excellents ingénieurs, très talentueux, notamment en software, je crois qu’il manque en France un endroit qui puisse incarner cette coopération grands groupes/ PME.

Ce lieu pourrait être le Plateau de Saclay, une sorte de Silicon Plateau européen, qui doit être desservi au plus tôt par le projet de ligne 18, prévue pour 2025-2030, ce qui est très tard, compte tenu du rythme d’évolution des industries ailleurs dans le monde.

Aymeric BOURDIN:
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