Quels sont les impacts de la normalisation et des démarches de certification dans l’amélioration de la performance énergétique du bâtiment ? Olivier Peyrat, directeur général du groupe Afnor, répond à cette question centrale.
j3e – En quoi le groupe Afnor est-il profondément impliqué dans la performance énergétique des bâtiments ?
Oliver Peyrat – Tout d’abord, rappelons qu’au sein du groupe Afnor les activités de normalisation portées par l’association se situent historiquement aux côtés des acteurs de la construction ! Qu’il s’agisse de filtres à air, d’appareils sanitaires, de planchers, de compteurs à gaz ou d’électricité, toutes les composantes du bâtiment dans ses moindres éléments sont régies par des normes françaises, européennes ou internationales, élaborées par tous les acteurs concernés et destinées à émettre des recommandations de qualité, de sûreté de fonctionnement et de sécurité pour le consommateur. De même, les normes françaises de mise en œuvre des ouvrages NF DTU, les normes européennes sur les produits de construction ou normes d’aide à la conception des ouvrages (Eurocodes) font partie des règles de l’art depuis des décennies. Elles constituent des éléments de référence précieux pour les acteurs de l’acte de construire en tant que gages de qualité, de sécurité, d’aide à la mise en œuvre des réglementations ou d’appui en termes d’assurance. L’intervention d’Afnor n’est donc pas nouvelle et elle se veut proche des enjeux majeurs pour ces activités. Essentiel est aussi notre rôle pour soutenir la transition énergétique dans le bâtiment ! Un sujet d’actualité illustre pleinement la nature de nos interventions. Les professionnels du bâtiment ont ainsi eu jusqu’au 13 octobre pour faire remonter, auprès d’Afnor, leur avis et recommandations sur la méthodologie d’évaluation de la performance énergétique globale des bâtiments. L’approche globale consiste notamment à étudier les interactions entre l’enveloppe, les systèmes techniques du bâtiment et leur gestion active. L’objectif est d’aboutir in fine au vote sur une proposition de texte et à un consensus européen fin novembre au sein du Comité européen de normalisation et de l’ISO. L’enjeu n’est pas mince ! Il s’agit de définir la position de la France à partir des remontées de ces acteurs, et d’avoir l’opportunité de renforcer notre position de leader sur le projet de norme NF EN ISO 52000-1 (Performance énergétique des bâtiments – Évaluation cadre PEB – Partie 1 : Cadre général et modes opératoires). De plus, il est essentiel que les méthodes de calcul réglementaires françaises, permettant par exemple d’établir les diagnostics de performance énergétique, soient cohérentes avec la méthode européenne en cours d’élaboration. C’est un moyen de répondre aux exigences européennes tout en favorisant l’adoption d’un langage international pour évaluer la performance énergétique des bâtiments. Là encore, en filigrane, Afnor souhaite répondre à deux objectifs : en premier lieu, contribuer à relever les défis de la transition énergétique dont un des principaux leviers est la performance énergétique du bâtiment, mais aussi ceux de la simplification du cadre réglementaire et administratif. Les documents Afnor sont, sauf très rares exceptions, des documents d’application volontaire et contractuelle, je le rappelle, et peuvent être utilisés dans le secteur de la construction pour fournir un moyen de présomption de conformité aux exigences exprimées par les directives européennes. De plus, cela représente une opportunité appréciable pour valoriser le savoir-faire français et européen en la matière sur la scène mondiale. Les enjeux de performance sur les marchés extérieurs et de compétitivité sont donc tout à fait considérables pour les acteurs français…
j3e – Quelles seraient les conséquences, pour les professionnels français du bâtiment, d’être absents de la normalisation sur le thème de la transition énergétique ?
O.P – Revenons aux sources de la norme. Il convient en premier lieu de rappeler la distinction entre norme Afnor et réglementation. Les normes Afnor sont par essence d’application volontaire. Quelques-unes d’entre elles ont été rendues obligatoires par la réglementation. Mais 98 % conservent un statut volontaire et contractuel. Les normes constituent bien souvent une référence appréciée même en dehors des acteurs de la construction. Les assureurs en cas de sinistre, les magistrats en cas de litige n’hésitent pas à s’y référer. Elles sont donc tout à fait centrales pour le secteur de la construction. Ainsi, le groupe de coordination « Performance énergétique des bâtiments » constitué au sein d’Afnor a précisément reçu pour mission de proposer une organisation optimale du système français de normalisation pour traiter du thème de l’énergie dans le domaine de la construction. Cette mission a suscité la réorganisation de la commission de normalisation « Conception de l’environnement intérieur et performance énergétique des bâtiments » (Afnor/P529). Cette nouvelle organisation est désormais mieux à même d’aider les parties prenantes françaises à faire valoir au mieux leurs points de vue individuels et collectifs dans un contexte à la fois national, européen et international. Se couper d’une telle réflexion, ce serait tout d’abord faire une impasse sur le plan des technologies, de la diffusion des innovations et de l’état de l’art, dans un domaine où les approches, les méthodologies ne sont pas toutes éprouvées et bougent très vite. Ce serait également renoncer à une certaine forme d’avantage compétitif aux niveaux européen et même international, à une stratégie nationale de normalisation puissante visant à préserver les intérêts collectifs français. Ce serait enfin jouer dans une cour restreinte, celle du strict marché national, alors même que la France, compte tenu de ses atouts dans le domaine de la performance énergétique, peut viser une certaine exemplarité !
j3e – Ces normes européennes pourraient-elles être reprises dans la réglementation française ?
O.P – Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il est certain que la stratégie du groupe de coordination « Performance énergétique du bâtiment » est d’assurer la cohérence, à l’horizon 2020, entre réglementation française et normes européennes, pour éviter que ne se côtoient des référentiels concurrents. L’idéal serait que la réglementation soit aussi concise que possible, et fasse référence aux normes volontaires comme fournissant la base pour un mode de preuve reconnu (mais non imposé en tant que tel) par les autorités.
j3e – Les audits énergétiques représentent aussi une vraie question d’actualité pour les entreprises…
O.P – La directive européenne Efficacité énergétique, transposée en France par la loi Daddue du 16 juillet 2013, porte en effet obligation aux ETI et grandes entreprises de réaliser un diagnostic énergétique de leurs activités en France, dans un premier temps avant le 5 décembre 2015, puis tous les quatre ans. Les sociétés concernées sont des entreprises qui ont des effectifs supérieurs à 250 personnes ou bien un chiffre d’affaires de plus de 50 M€ et un total de bilan annuel dépassant 43 M€. Près de 5 000 organisations sont concernées en France. Le périmètre d’audit porte sur au moins 65 % du montant global des factures énergétiques pour l’audit effectué avant le 5 décembre 2015, et 80 % pour les audits réalisés postérieurement à cette date. Ces audits visent bien évidemment à identifier des opportunités d’amélioration de l’efficacité énergétique dans les entreprises. La réalisation de ces audits s’appuie sur des prestataires extérieurs qualifiés, ou des auditeurs énergétiques internes dont les compétences ont été éprouvées et l’indépendance établie. Or la préparation de cette échéance a beaucoup mobilisé le groupe Afnor. Nous avons ainsi contribué à former en France les auditeurs et responsables d’audit énergétique certifiés bâtiment, qualifié des bureaux d’études, mais aussi constitué notre propre activité d’expertise par le biais d’Afnor Énergies. L’enjeu est clair : systématiser les premiers pas vers une utilisation plus rationnelle de l’énergie, éclairer les dirigeants sur les actions d’optimisation à mener, voire les investissements nécessaires à programmer dans le temps pour obtenir des gains d’énergie plus significatifs dans le bâtiment. À noter toutefois que les entreprises certifiées ISO 50001 (norme relative au système de management de l’énergie), qui pratiquent déjà couramment l’audit énergétique, sont exemptées de cette obligation…
j3e – Précisément, quelle audience la certification ISO 50001 recueille-t-elle ? Quels sont les retours observés chez ceux qui la pratiquent ?
O.P – Une étude commandée par le groupe Afnor, et menée au niveau international auprès de près de 80 organismes certifiés ISO 50001, vient juste d’être rendue publique en septembre 2015. Elle révèle des praticiens véritablement enthousiastes, avec 89 % de satisfaits et 95 % d’organisations qui recommandent vivement la mise en œuvre de cette norme ! Tous soulignent que l’ISO 50001 fournit aux entreprises les clés d’une démarche collective de progrès pour réaliser rapidement des économies. Les propres travaux menés par l’ISO montrent une progression significative de la certification ISO 50001 avec une hausse de 40 % entre 2013 et 2014 et désormais 6 778 certificats décernés dans le monde, dont plus de 80 % en Europe. Avec 450 certificats délivrés, dont une majorité en France et en Allemagne, les activités conduites par Afnor Certification se positionnent comme celles d’un acteur de premier plan sur la thématique. En France, de grands acteurs de la filière du bâtiment et des entreprises plus petites ont initié de façon pionnière une démarche de management de l’énergie. Leur engagement sur le sujet qui les a conduit à innover dans leur positionnement et toute leur ligne de produits et services est le meilleur témoignage, me semble-t-il, des gains et leviers apportés.