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Luc Rémont, président de Schneider Electric France

Comment définiriez-vous le positionnement stratégique de Schneider Electric en France ?

En fait, on peut dire que le positionnement du groupe en France est d’abord historique, puisque c’est de France que tout est parti, de la région Rhône-Alpes et plus précisément de Grenoble, pour croître ensuite dans différents métiers et connaître un développement partout dans le monde. La France, aujourd’hui, est le lieu où une grande partie de notre R&D est toujours réalisée, tout comme l’est la conception de nos produits et solutions, mais c’est le lieu aussi où ces produits et ces solutions sont commercialisés, ce qui en fait une sorte de laboratoire. Et même si le marché français n’est pas le plus important en volume, il l’est en termes de maturité, de savoir-faire, de déploiement de nos différentes technologies. Tous nos métiers sont déployés, assez profondément dans l’écosystème, où il faut être physiquement proche des clients pour être performants, adaptés, réactifs. Nous développons beaucoup d’applications en France dans un premier temps, pour en maîtriser les processus et les déployer ensuite dans d’autres pays. Nous disposons également de nombreux sites de production, et, au global, près de 20 000 collaborateurs travaillent sur le territoire national.

Nos activités s’étendent dans différents secteurs du bâtiment au sens large. La maîtrise de l’énergie dans ces bâtiments, qu’ils soient résidentiels, tertiaires et industriels, est notre métier historique. Mais, au cœur des usines, nous travaillons aussi au niveau des procédés, notamment dans les systèmes de supervision et d’automatismes des processus industriels.

Nous sommes également présents au niveau des réseaux de distribution d’énergie avec tout ce qu’ils incorporent d’équipements, d’automatismes et de solutions complètes pour ces réseaux qui deviennent aujourd’hui de plus en plus « intelligents ».

En résumé, nos terrains d’action sont axés sur le bâtiment intelligent, sur l’usine intelligente et sur le réseau intelligent. Sans oublier des applications particulières comme le datacenter qui est une infrastructure de stockage de données, objet industriel énergétique en soi, pour lequel nous développons des solutions dédiées.

Quelles sont, selon vous, les perspectives de développement à attendre en 2015 et pour les prochaines années ?

En 2015, pour nous, comme pour la profession, nous espérons, bien sûr, une reprise de la croissance en France. Pour cela, nous croyons assez fermement que pour la stimuler, il faut apporter de la valeur ajoutée supplémentaire à nos clients et aux clients finaux de la filière électrique. Apporter cette valeur ajoutée nécessite en grande partie de repenser un certain nombre d’infrastructures et d’applications, afin de tenir compte des dernières technologies. L’entrée du numérique dans l’ensemble de nos univers professionnels fait qu’aujourd’hui, par exemple, nous ne considérons plus un bâtiment de la même manière qu’il y a quelques années. C’est une petite révolution.

Un bâtiment tertiaire était en effet une enveloppe relativement passive, dont on réalisait les installations pour assurer la distribution électrique et la protection des biens et des personnes. Aujourd’hui, un bâtiment est un objet interactif, vivant, qui doit disposer de capacités d’action, pour que, indépendamment de la qualité intrinsèque de son bâti, il puisse s’adapter aux besoins de ses utilisateurs. Pour cela, il doit être équipé de capteurs, de systèmes de pilotage… Nous disposons des technologies pour, mais, bien sûr nous n’y arriverons pas tout seuls. C’est toute une filière industrielle, allant jusqu’au propriétaire et à l’utilisateur des bâtiments, qui doit porter cette révolution.

La construction neuve a fait de grands pas ces toutes dernières années, plus particulièrement dans les grandes constructions. Mais il reste un formidable enjeu, y compris pour la croissance dans notre pays, qui consiste à rénover les bâtiments existants, publics ou privés. Ces bâtiments représentent une part colossale de toutes les infrastructures, et près de 40 % des consommations énergétiques totales de la France.

Chez Schneider Electric, nous nous positionnons comme une entreprise de technologies qui, à travers le contrôle actif de l’énergie, apporte des solutions concrètes pour transformer la relation des utilisateurs avec leurs bâtiments. Les investissements sont limités et s’amortissent sur des périodes courtes, de trois à cinq ans en moyenne, à mettre en regard d’économies de l’ordre de 30 % minimum sur la facture énergétique.

Le but est de gagner en performance énergétique bien sûr, mais aussi en performance d’usage avec des applications nouvelles. La collecte des données, qui est indispensable pour mener des actions d’économies d’énergie, peut par exemple être restituée à l’utilisateur sous forme de services supplémentaires, non liés à l’énergie, pour la gestion des espaces, des salles de réunion… Ce sont des ouvertures nouvelles. C’est un marché potentiel très élevé, pour toute notre filière, qui doit être développé en France, et si possible avant d’autres pays, parce que nous considérons que le potentiel, le savoir-faire et la maturité des acteurs sont là.

Dans cette révolution numérique, comment sont impactés les métiers traditionnels de l’électricité ? Au niveau de la filière, quelles sont les incidences en termes de changement de métier ?

C’est en fait un vrai challenge et chacun de nos partenaires, et nous-mêmes, travaillons à ces évolutions de compétences, sans jamais oublier les fondamentaux : un immeuble doit répondre aux normes qui garantissent la sécurité des biens et des personnes. Mais de nouvelles compétences sont nécessaires pour faire entrer le bâtiment dans le monde numérique. Nous y contribuons, à notre niveau, en développant celles de nos collaborateurs, mais aussi en accompagnant nos partenaires. Plus de dix mille professionnels suivent, chaque année, des sessions de formation chez nous. Les associer à ces évolutions technologiques fait partie de notre credo et de notre responsabilité.

Cette responsabilité se retrouve également dans la formation des jeunes. C’est un engagement fort, qui se retrouve par exemple au sein de notre École de métiers de l’énergie, dans la banlieue grenobloise. Cette école prépare des jeunes qui sortent de troisième pour les amener vers un bac pro et pour certains jusqu’au BTS, dans les métiers de l’électro-technologie. Ils sortent ainsi parfaitement formés aux technologies numériques, ce qui est naturellement très recherché sur le marché du travail.

L’ouverture des tarifs de l’électricité se profile d’ici quelques mois, quels en sont les enjeux pour vous ?

Rappelons que nous ne sommes pas producteurs d’énergie et nous n’avons pas d’implication directe dans la structure commerciale du prix de l’énergie. Nous sommes plutôt des « observateurs » de cette structure en tant que fournisseur de solutions techniques pour l’utilisateur, qui peut se poser des questions face à un marché de plus en plus ouvert. Avec la fin programmée du marché réglementé, les tarifs de l’électricité devraient connaître une certaine volatilité, absente jusqu’ici. Cela engendrera pour les entreprises une forme d’incertitude quant à leur budget énergétique. Un plus grand nombre d’utilisateurs va chercher à mesurer ce qu’il consomme et où il consomme.

Quand la structure du prix de l’électricité est déterminée, le choix du consommateur se limite globalement au « comment je consomme ». Si vous introduisez la variable supplémentaire qu’est l’évolution du prix, il va adapter ses stratégies en fonction du « comment j’achète ». Il lui faudra optimiser ses approvisionnements énergétiques en intégrant de nouvelles pratiques, de nouveaux acteurs… Cette évolution du comportement des utilisateurs est un sujet important pour nous et ouvre de nouvelles perspectives.

Vous êtes président du Gimélec depuis début mars, comment abordez-vous votre mandat et quels vous paraissent être les enjeux de la filière pour les années qui viennent ?

Je tiens à dire que c’est avant tout une grande responsabilité pour moi, mais que cette responsabilité est très motivante. Je retrouve dans les enjeux du Gimélec beaucoup de ceux que j’ai cités pour Schneider Electric, notamment au sujet du bâtiment. Mais je voudrais en citer deux autres, majeurs également : l’usine du futur et les réseaux d’énergie.

Le Gimélec s’est résolument engagé dans le processus d’alliance annoncée par le président de la République en vue du projet « Industrie du Futur ». Cette alliance a vocation à rassembler, autour d’un organe très opérationnel, les filières industrielles. Il s’agit de développer une vision intégrée de l’usine, pour avoir une approche la plus moderne et la plus complète possible de l’industrie du futur. Celle-ci ne doit pas en effet se limiter à la seule optimisation interne de l’usine, mais bien apporter des solutions qui vont d’un bout à l’autre de la production : de la conception des produits au marketing avancé. Ces solutions doivent favoriser la capacité d’adapter le produit en boucle très courte à la demande du client. Être capable de s’adapter rapidement, en agissant sur des outils de production flexibles, est un élément clé de compétitivité. La partie automatismes, placée à l’intérieur de l’usine, est un des axes de travail pour le Gimélec, partagé par l’ensemble de nos membres et que nous allons pousser avec beaucoup de volonté dans les prochains mois.

Sans oublier les réseaux de distribution d’énergie ?

Oui, et c’est le troisième enjeu. Avec des technologies qui évoluent, des consommations de plus en plus importantes, des réglementations qui bougent, les réseaux de distribution doivent s’adapter, en intégrant de plus des productions plus flexibles, dues notamment aux énergies renouvelables au fonctionnement décentralisé et intermittent. Tout cela conduit à revoir leur architecture et leur intégration dans la ville et dans les zones de consommation, pour en faire des outils beaucoup plus adaptatifs que les générations précédentes. Les enjeux technologiques, économiques, de gouvernance locale et nationale ou de réglementation sont très importants.

Je conclurais en disant que ces trois axes majeurs sont tout particulièrement impactés par l’évolution rapide des technologies, mais ils ne sont pas les seuls… En fait, nous sommes à un moment charnière où les acteurs de ces domaines d’activité se posent des questions fondamentales sur l’évolution de leurs métiers. Notre rôle, au sein du Gimélec, est d’être à leur côté et de leur apporter des réponses.

Aymeric BOURDIN: