Pour autoconsommer, l’installation photovoltaïque sera connectée soit uniquement à l’installation électrique du consommateur, soit en partage entre cette installation électrique et le réseau local du distributeur. Hormis les sites isolés non raccordés au réseau, l’autoconsommation est encore très peu développée en France, mais aujourd’hui elle revient sur le devant de la scène : groupes de travail et rapports des professionnels et des pouvoirs publics sur le cadre législatif et réglementaire, offre de produits et services adaptés par des entreprises qui voient là un moyen de développer une filière en difficulté, une loi sur la transition énergétique qui devrait aller dans le bon sens. Mais aussi des réalisations qui montrent que le sujet n’est pas théorique même si ces réalisations doivent être mesurées d’un point de vue économique et financier.
Un contexte plutôt favorable
Le premier élément favorable est la baisse continue des coûts des équipements (panneaux, onduleurs, coffrets) par un effet combiné des volumes en forte augmentation, en particulier hors d’Europe, et de l’innovation (augmentation des rendements, procédés plus efficaces, réduction des matériaux). Philippe Malbranche, directeur général de l’INES, estime ce facteur de progrès à 20 % sur la courbe d’expérience, certains systémiers étant passés au-dessous de 1 €/W : 0,8 à 1 €/W pour les grandes centrales, 1,2 à 1,8 €/W pour les toitures commerciales et 3 à 4 €/W pour le résidentiel individuel intégré au bâti. Ainsi, le prix de l’électricité solaire est en dessous de 0,1 €/kWh en Europe du Sud pour les grandes centrales, et Philippe Malbranche voit ce prix passer au-dessous de 0,05 €/kWh dans la prochaine décennie.
Dans le même temps, on assiste à une hausse des prix de vente de l’électricité dans tous les pays européens, même si la France conserve des prix relativement bas, beaucoup des prix du kWh dépassant 20 c€. On s’approche donc de plus en plus de cette « parité réseau », c’est-à-dire lorsque le prix du kWh solaire sera inférieur au prix du kWh distribué. Comme le confirme Richard Loyen, délégué général du syndicat professionnel Enerplan, « cette parité est déjà atteinte pour certains segments dans le sud de la France et elle va progresser sur tous les segments jusqu’au nord de la France ; le prix du kWh solaire baisse tandis que celui du kWh distribué est de plus en plus élevé. Et la fin du tarif réglementé pour les puissances > 36 kW au 01/01/2016 va dans ce sens. On peut viser à moyen terme (2025) une parité réseau de l’électricité solaire incluant le stockage ».
L’autoconsommation locale de cette électricité est aussi en phase avec le développement du véhicule électrique et des nouveaux usages : baisse du coût des batteries de stockage du fait de l’augmentation de la production pour le véhicule électrique, utilisation de l’électricité PV pour la recharge du véhicule électrique (ombrières), mais surtout développement des éco-quartiers mixant différents usages et différents profils de consommation (résidentiel et tertiaire/industriel). Des modèles rapprochant production et consommation devraient se développer à l’échelle d’un immeuble ou d’un quartier (bâtiments Bepos à énergie positive), voire d’un territoire. L’autoconsommation devrait rentrer dans ce schéma associant production photovoltaïque, gestion intelligente de la demande, foisonnement des besoins et si nécessaire stockage. Pour Bruno Lechevin, président de l’ADEME, lors d’un colloque du SER, « si l’autoconsommation est une bonne idée, c’est, me semble-t-il aussi, une belle idée car apte à susciter l’adhésion voire l’enthousiasme de nos concitoyens à une époque où les circuits courts, la production et la consommation locales sont de plus en plus plébiscités ».
Le retour d’expérience de l’Allemagne
En Allemagne l’autoconsommation a bénéficié entre 2009 et mars 2012 d’un soutien qui valorisait, pour les installations de moins de 500 kWc, la part de production autoconsommée à différents tarifs selon le taux d’autoconsommation. Et cela pour encourager la diminution de l’injection de cette production sur le réseau et résoudre des problèmes techniques rencontrés par ce réseau dans certaines régions. En avril 2012, cette politique de soutien a été modifiée en ne conservant qu’une seule formule : autoconsommation et vente du surplus limité à 90 % de la production. Comme l’explique Sven Rösner, directeur adjoint de l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables, « il est aussi possible d’avoir une consommation directe par des tiers, à proximité directe de l’installation, sans passer par le réseau électrique, cette électricité consommée devant être rétribuée : vente à son voisin ou aux locataires d’un immeuble par un bailleur social, par exemple ». Cette option est rentable du fait de l’exemption de certaines taxes ou redevances.
Pour Sven Rösner, « il y a un véritable engagement des citoyens et des entreprises, une incitation économique et un facteur sociologique pour l’autoconsommation, avec comme résultat un relais de croissance pour l’industrie photovoltaïque allemande ».
La part des installations autoconsommant une partie de leur production est importante :
- – 95 % pour P < 10 kW ;
- – 85 % pour 10 < P < 40 kW ;
- – 70 % pour 40 < P < 1 000 kW ;
- – 2 % pour P > 1 000 kW.
En 2009, ces pourcentages étaient inférieurs à 7 %, la politique d’incitation à l’autoconsommation a donc bien porté ses fruits même si elle n’a pas résolu le problème de la puissance de raccordement pour la pointe de consommation en hiver. Mais l’autoconsommation est vraiment en Allemagne un élément très important du programme énergétique, avec un engagement des citoyens en faveur des énergies renouvelables.
Les solutions techniques sont disponibles
Du fait du développement depuis 2009 de ce marché allemand, mais aussi du marché italien, les constructeurs ont rapidement proposé des solutions adaptées en particulier pour la gestion de l’énergie produite et consommée. En effet, les habitudes de consommation ne sont pas toujours adaptées à l’autoconsommation. Pour le résidentiel, ce sera de faire marcher son électroménager et aussi la production d’eau chaude sanitaire en journée plutôt que la nuit. Un constructeur comme SMA, avec l’expérience du marché allemand, propose un coffret Sunny Home Manager qui va assurer le pilotage des appareils électriques en fonction de leur consommation et de la production PV réelle. Pour David Lawson, directeur marketing de SMA France, « cela permet d’augmenter de 15 % l’autoconsommation par pilotage automatique ou manuel des appareils (prises radiocôntrolées). Ce taux peut encore être augmenté de 15 % avec un stockage intermédiaire dans un coffret batterie li-ion de 2 kWh optimisé pour une installation en toiture de 5 kW.
De son côté, Fronius va livrer dès juin 2015 son Fronius Energy Package 3 à 5 kW équipé d’une batterie lithium fer phosphate de longue durée de vie et avec une recharge courte. La capacité de stockage peut aller jusqu’à 9,6 kWh. Des solutions d’autoconsommation existent aussi pour de petites puissances de 250 W à 1 kW pour couvrir la consommation de base d’une maison ou résidence avec une installation simple en façade. Cet ensemble panneaux-onduleur est alors relié à l’installation électrique du bâtiment et sa production absorbée par les appareils fonctionnant en continu ou en veille (VMC, box Internet, congélateur, pompe de piscine…). Un premier pas vers l’autoconsommation.
Même si l’utilisation du stockage associé à l’autoconsommation reste encore peu rentable en France du fait du coût des batteries, l’expérimentation menée par l’INES dans le cadre d’un projet franco-allemand avec l’ensemble Sol-ION incluant des batteries li-ion, et un onduleur 5 kW a montré que, sur 88 maisons en Corse, le pourcentage d’autoconsommation a plus que doublé, passant de 30 à 60-70 % suivant le nombre de batteries. D’où le développement d’offres de stockage comme l’armoire Billy de Technideal intégrant onduleur et batterie li-ion ou plomb. Cette société française a signé avec le constructeur breton d’onduleurs Imeon Energy un contrat de 1,5 MW de solutions « plug and play » pour les DOM-TOM. C’est dans ces îles que la production PV avec autoconsommation et stockage pour le résidentiel se développe le plus du fait de l’ensoleillement, mais surtout du coût élevé du kWh produit par des centrales thermiques polluantes. Dans ces territoires, la parité réseau est déjà atteinte et il faut plutôt gérer l’injection sur le réseau d’une production qui peut dépasser la barre des 30 % fixée par le distributeur. Forsee Power, autre PME 100 % française, a été choisie par Sunzil pour livrer 65 systèmes de stockage résidentiel pour La Martinique dans le cadre du programme pilote européen « Sun Stockage » ; la Martinique ayant pour ambition d’être autonome en énergie en 2050. Il semble bien que pour le résidentiel les premiers marchés apparaitront dans ces ZNI (Zones non interconnectées) que sont les îles après des expérimentations passées telles que les projets Millener ou Pegase.
Autoconsommation dans le tertiaire et l’industriel
Alors que dans le résidentiel le profil de consommation est peu adapté au profil de production et rend difficile un dépassement du seuil de 30 % d’autoconsommation (sans stockage), le profil des consommateurs industriels/tertiaires est bien plus proche de la courbe de production et devrait permettre d’atteindre 70 %, en particulier en présence d’équipements de production de froid ou de machines (supermarchés, entrepôts). Et, pour ces bâtiments, l’espace est souvent disponible en toiture ou en façade (voir l’exemple d’Alpes Coop Fruits). Pour Richard Loyen, « ces établissements ont un bon profil avec des consommations diurnes régulières, comme pour les îlots urbains et quartiers avec leur foisonnement de consommations électriques diurnes ». Et de citer les réalisations du Syndicat intercommunal d’assainissement de Rennes (35) pour alimenter les machines de la station d’épuration, le Carlit Hôtel à Font-Romeu (66) pour alimenter les besoins de l’hôtel (44,8 kWc), la plate-forme logistique de Biocoop à Mélesse (35).
Pour les professionnels, l’autoproduction et l’autoconsommation sont à encourager en priorité dans les secteurs tertiaires en favorisant les démarches répondant à une logique collective plutôt qu’individuelle et en mettant en place un dispositif de soutien.
Des recommandations que l’on retrouve dans l’épais « Rapport sur l’autoconsommation et l’autoproduction de l’énergie renouvelable » de la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat), publié en février 2015, mais dont les propositions risquent bien de ne voir le jour qu’en 2016 .
RÉALISATION : ALPES COOP FRUITS (05 Laragne)
Jean-Pierre Tomas, président SAS J.-P. Tomas Consulting Ingéniérie, conseil-assistance, maîtrise d’Ouvrage
La coopérative agricole Alpes Coop Fruits, implantée dans les Hautes-Alpes, assure le stockage, conditionnement et commercialisation de 20 000 t de fruits par an et occupe une surface de 6 000 m2 dont 2 500 m2 d’entrepôt frigorifique et 3 000 m2 de conditionnement. La consommation électrique se répartit en :
- – 710 600 kWh pour 7 chambres froides ;
- – 328 200 kWh pour les lignes de calibrage/ensachage ;
- – 55 000 kWh pour les bureaux, éclairage, VMC.
Nous avons proposé à la coopérative d’équiper la toiture du bâtiment de 1 200 panneaux solaires de 250 Wc. La production de 400 panneaux (100 kWc) est affectée à la revente à EDF, celle de 800 panneaux est autoconsommée sur place. La production annuelle s’élève à 337 000 kWh soit environ 30 % de la consommation annuelle du site. Le bilan financier est très favorable : la partie « revente » permettant de cofinancer la partie autoconsommation :
- – la vente de 1/3 de la production va générer des revenus de 21 465 €/an, soit 429 300 € sur 20 ans.
- – la production des 800 panneaux est autoconsommée et les 224 666 kWh ainsi produits génèrent des économies estimées à 24 300 € au tarif actuel, soit 486 000 € sur 20 ans ;
- – le projet a bénéficié d’une subvention Agir de la région Paca de 124 145 € ;
- – l’investissement total de l’installation a été de 490 050 €.
Cette centrale est bien adaptée avec des courbes de consommation et de production assez proches :
- – taux d’autoconsommation des 200 kWc : 100 % ;
- – taux d’autoproduction des 300 kWc : 30 %.
Rapport de la DGEC de février 2015
Après plus d’un an de travail, un groupe rassemblant plus de 40 organisations dont l’objectif était de caractériser les enjeux et opportunités soulevés par l’autoconsommation, d’identifier les différents types d’autoconsommateur/autoproducteur y compris dans les ZNI et d’étudier la rémunération et l’architecture d’un dispositif de soutien, a rendu son rapport en février 2015.
Quelques recommandations :
- – expérimenter un dispositif de soutien pour des installations tertiaire/industriel > 100 kWc dans le cadre d’un appel à projet et expérimenter sur un volume limité un système de prime à l’énergie autoconsommée pour P < 100 kWc ;
- – mettre en place une expérimentation au niveau d’îlots urbains ;
- – soutenir le développement dans les ZNI ;
- – prévoir un dispositif spécifique pour le résidentiel diffus : recommandation d’une prestation globale standardisée ;
- – porter une attention particulière aux conditions et financement des installations dans la perspective du déploiement massif de ce modèle en substitution du dispositif actuel.
Le rapport complet est disponible sur le site du ministère www.developpement-durable.gouv.fr