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Audit énergétique : déclencher la rénovation des copropriétés

Suivant les estimations, les copropriétés représentent un peu moins d’un tiers du parc de logements français, soit entre 7 et 10 millions de logements. Si l’on ajoute que près de 19 % des copropriétés sont d’une part en situation de dégradation avancée et d’autre part dans des situations financières délicates, audit énergétique et dispositifs collaboratifs sont autant de moyens pour obtenir une décision souvent longue et difficile à obtenir.

Pour Max Maurel, directeur du bureau d’études thermiques Maya Construction durable, « l’audit est le point d’ancrage, nécessaire à la bonne connaissance de l’état de la copropriété, à la sensibilisation des acteurs, et enfin à la prise de décision. Comme l’audit est étendu au-delà du volet énergétique, c’est un accélérateur de décision car il n’y a pas que l’étiquette énergétique qui est considérée par les copropriétaires, mais aussi l’amélioration de la qualité globale du bâtiment, ce qui permet d’obtenir un consensus souvent plus rapide sur un plan pluriannuel, mixant différents types de travaux ».

Le cas du ravalement obligatoire que l’on peut opportunément coupler à une isolation thermique par l’extérieur est typique de l’approche globale issue de l’audit, ajoute-t-il.

Les étapes clés de l’audit

L’audit énergétique tel qu’il se présente dans le cahier des charges de l’ADEME et notamment par l’APC pour Paris et la région parisienne s’intitule d’ailleurs « audit architectural et énergétique ». Il est pluridisciplinaire et constitué de plusieurs phases.

Pluridisciplinaire parce qu’il est recommandé une équipe ou tout au moins les compétences d’un architecte et d’un thermicien au minimum.

Pour Marie-Line Tassius, présidente de Optimisme 23, jeune société spécialisée dans l’assistance organisationnelle et qualité auprès des acteurs de l’immobilier, notamment syndics et copropriétés, on peut retenir cinq phases :

  • réunion de démarrage et recueil des attentes de la copropriété ;
  • état des lieux architectural et technique ;
  • analyse et traitement des données ;
  • préconisations, programmes d’améliorations et définition du programme de travaux adapté à la copropriété ;
  • coordination, rapport et synthèse.

Il y a donc une volonté de promouvoir une démarche en processus au plus proche des besoins des copropriétés. « Cependant, l’architecte et le thermicien sont avant tout des techniciens. On ne traite pas toujours forcément de manière prioritaire l’accompagnement relationnel et la pédagogie de la démarche, ce qui est essentiel pour déclencher la décision. La compréhension du vécu de la copropriété et des attentes des copropriétaires sont clés, nécessitent dialogue et communication pour emporter l’étape suivante, la décision du plan de travaux », précise la spécialiste.

Caroline Bouteloup, experte au sein de BEA Ingénierie.

« Avant d’envisager des travaux lourds, il faut souvent d’abord optimiser ce qui est en place, et parer aux urgences. La priorité est donc souvent donnée aux travaux apportant des amortissements les plus rapides, ce qui enclenche aussi une démarche positive rapidement », ajoute Caroline Bouteloup, directeur du département CVC et thermique du bureau d’études BEA Ingénierie.

Ce qui revient donc le plus souvent sur les premières étapes du plan de rénovation énergétique et d’amélioration du confort, ce sont le changement partiel ou complet des systèmes de production (chauffage et/ou ECS), l’isolation des réseaux de distribution, l’équilibrage et le désembouage des réseaux, la mise en place de régulations plus fines avec par exemple une sonde extérieure, un meilleur contrôle des températures de départ et retour, et les systèmes de comptage individualisés, etc…, ajoute-t-elle. Ensuite, sont traités les travaux un peu plus longs à amortir comme le changement des menuiseries, et dans certaines situations le changement de caissons ou la mise en place d’une VMC.

Exemple de scénario en résultat pour un immeuble à Saint-Gratien (Val d’Oise). Avant travaux, les déperditions étaient de 328 kWhep/m2/an. (source BEA Ingénierie)
Marine-Line Tassius, Optimisme 23

« L’audit doit aussi pointer les dysfonctionnements comme par exemple les aspects sécurité électrique, les points de vétusté des équipements et de l’architecture du bâtiment, et présenter les étapes des projets de la copropriété dans une vision pluriannuelle. Les problèmes vécus par les occupants (humidité, bruit, confort dans les parties communes…) seront également mis en évidence », ajoute Marie-Line Tassius.

L’approche est liée aussi à la date de construction de la copropriété, ajoute Max Maurel : avant 1948, 53 % des copropriétés en France avaient une consommation moyenne de 253 KWhep/m2/an)) ; pour la période 1948-1975, environ 25 % des copropriétés avaient une consommation moyenne de près de 400 Kwhep/m2/an ; et, enfin, des années 1980 à ce jour, une consommation énergétique de 230 Kwhep/m2/an.

La coordination est tout aussi importante que la qualité du contenu technique

Pour Marie-Line Tassius, il y a au moins trois points cruciaux :

  • En phase 1, la réunion initiale et le recueil des attentes de la copropriété est le moment privilégié de prise de contact de l’équipe : c’est essentiel, car c’est le premier pas vers la confiance réciproque. La pédagogie de la démarche commence dès ce stade. Écouter, regarder, détecter les besoins implicites et surtout la qualité des relations entre copropriétaires, mais aussi entre copropriétaires et syndic. Cette phase permet également de bien identifier la position stratégique de celui ou ceux qui sont moteurs. Il peut y avoir des déconvenues (par exemple, le leader énergétique de la copro qui n’est pas soutenu par le conseil syndical, car il agit de façon solitaire).
  • Pour la phase 3 (ou 2??) et l’analyse des données, une vision pluridisciplinaire est essentielle : des besoins non énergétiques peuvent être importants à traiter pour la cohésion de la copropriété, par exemple les omettre peut freiner l’appropriation des copropriétaires.
Exemple de schéma de répartition des déperditions de chaleur. (source ADEME)

Enfin, la présentation en AG est à préparer avec soin et stratégie. « Par exemple, la présentation de l’audit ne doit pas être placée à l’avant-dernière résolution à 22 heures ! Et on ne laisse pas un thermicien expert mais avec un jargon particulier seul devant un auditoire épuisé. »

L’audit aborde aussi la partie financement des travaux

C’est un point nouveau et prioritaire. L’audit doit permettre de prendre des décisions financières. « Aides, crédits, subventions, c’est le nerf de la guerre, et c’est surtout au niveau de l’accès à l’information, à la compréhension des articulations des différents financements et à la restitution de l’impact concret pour chaque propriétaire qu’il faudra s’attacher », note Marie-Line Tassius, de Optimisme 23.

Cela suppose une analyse financière et patrimoniale la plus individualisée possible, or c’est difficilement soutenable économiquement pour les équipes d’auditeurs de pouvoir réunir ces compétences, cette disponibilité.

L’intention de la réglementation est louable, mais la mise en place ne peut être réalisée sans un vrai travail d’équipe pluridisciplinaire en étroite association avec le conseil syndical et le syndic, poursuit-elle.

Le regroupement et la collaboration entre professionnels est un bon moyen pour y parvenir, il permet à la fois de préserver les marges de chaque professionnel tout en enrichissant la restitution aux copropriétaires.

Le prix de l’audit peut être un frein à la bonne décision

Et pourtant le contexte est très favorable, l’audit est subventionné jusqu’à 70 % à Paris et des aides existent également dans d’autres régions.

« Faire un travail sérieux et donc un audit complet avec un accompagnement global, cela a un coût qui va au-delà du simple calcul thermique », indique Caroline Bouteloup. Le hic, c’est que cela coûte plus cher, et que les copropriétés peuvent avoir le réflexe du moins-disant.

Pour Max Maurel, « on commence cependant à voir émerger une logique de marché, le rapport qualité-prix est considéré plus souvent. En fonction des typologies de la copropriété, le prix pour la partie audit thermique est situé entre 100 et 150 € par lot ».

Mise en évidence des déperditions et anomalies sur une façade avec caméra thermique infrarouge. (source BEA Ingénierie)

Les obligations du contexte réglementaire

Avant le 1er janvier 2017 :

  • Le décret no2012-111 du 27 janvier 2012 impose que l’audit soit réalisé, et l’arrêté du 28 février rend opérationnel l’audit. Sont concernées les copropriétés de plus de 50 lots juridiques (appartements, caves, parkings couverts), équipées d’un chauffage collectif et dont le permis de construire est antérieur au 1er janvier 2001.
  • Pour les copropriétés de moins de 50 lots, il y a obligation de réaliser un diagnostic énergétique (décret no°2012-1342 du 3 décembre 2012).

À compter également du 1er janvier 2017, la loi Alur oblige la constitution d’un « fonds de travaux », non remboursable, sous forme de cotisation annuelle obligatoire. Le fonds de travaux doit permettre de faire face aux dépenses engagées « pour les travaux prescrits par les lois et règlements » et des travaux décidés en assemblée générale.

 

Pour approfondir les données du sujet

  • Les copropriétés très dégradées, Claude Dilain, sénateur et président de l’Anah

www.territoires.gouv.fr/IMG/pdf/RAPPORT_COPROPRIETES_DEGRADEES_2.pdf

  • Cahier des charges de l’audit architectural et énergétique de copropriété, Ademe APC

http://www.apc-paris.com/actualites/2014/un-nouveau-cahier-des-charges-audit-architectural-et-energetique-a-disposition.html

  • Rénovation : 70 M€ supplémentaires pour l’Anah et pour financer la rénovation énergétique

http://www.anah.fr/actualites/detail/actualite/renovation-energetique-70-millions-deuros-supplementaires-pour-lanah/

  • Rénover les parties communes en copropriété, les financements par l’Anah.

http://www.anah.fr/proprietaires/proprietaires-occupants/renover-les-parties-communes-de-votre-copropriete/

  • Le tour d’horizon des financements en copropriétés :

http://optimisme23.com/wp-content/uploads/2015/02/note-dinformation.00114.Financement-RGE-Audit-%C3%89nerg%C3%A9tique-en-copropri%C3%A9t%C3%A9.pdf


Préconisation et bouquet de travaux – Immeuble Saint-Louis Paris – Audit réalisé par Maya

État initial des consommations énergétiques de la copropriété

Le premier bouquet proposé permet de passer de 350 kWhep/m2/an à 267 kWhep/m2/an.

« Nous avons également proposé quatre autres points : l’isolation du plancher suspendu (porche), l’isolation de la toiture, l’installation de chaudières gaz à condensation individuelles et enfin l’installation de panneaux photovoltaïques (90 m2)  », ajoute Max Maurel, de Maya.

En haut, bouquet de travaux avec isolation des murs accessibles (murs cour intérieure) en béton de chaux chanvre et changement des menuiseries (double vitrage peu émissif) – En bas le bouquet complet. (source Maya)

Si l’on ajoute ces points au bouquet initial, la performance serait de 128 kWhep/m2/an, ajoute l’expert. Les temps de retour sur investissement suivant les bouquets proposés s’échelonnent entre 10 et 18 ans.


Vous avez dit collaboratif ?

« Il y a nécessité de bien expliquer, pédagogie et dialogue sont clés indépendamment des résultats qui ne sont pas juste un calcul ou un rapport de situation », insiste Caroline Bouteloup.

« Bien sûr, les outils informatiques sont des supports intéressants d’échanges, mais il ne faut pas confondre la fin et les moyens », ajoute Marie-Line Tassius.

La copropriété participe à l’histoire du vivre ensemble, des êtres humains qui vivent dans une enveloppe construite commune. Ce n’est ni un gros mot, ni ringard que de parler de l’humain.

Il est nécessaire d’apprendre à comprendre la complexité des rapports humains au sein de la copropriété, les rapports de force de cette mini-démocratie, et pacifier les relations. La copro, c’est un petit concentré de notre société, précise-t-elle.

Dans une situation économique difficile pour les ménages, au-delà du numérique, pourquoi ne pas encourager les sociologues, mais aussi les philosophes, les psychologues, à s’intéresser à la copropriété, ils ont des savoir-faire utiles qu’aucune application ne restituera complètement.

« Nous animons bénévolement des ateliers participatifs avec des copropriétaires dans le XVIIIe à Paris, nous constatons bien que les gens sont pris dans des jeux de rivalités mimétiques, les relations sont faussées et la communication physique se révèle très importante pour progresser dans les relations entre les acteurs. »

Un outil collaboratif peut être très efficace notamment pour dispenser facilement de l’information, sensibiliser et partager, ce qui est le cas de CoachCopro, l’outil en ligne de l’Agence parisienne du climat (APC). Mais les outils collaboratifs et l’Internet ne font pas tout, ils doivent être maniés avec précaution car ils peuvent devenir aussi une arme de guerre psychologique (par exemple, échanges violents de messages sans modérateur, etc.).

Demain, la massification de la rénovation en copro?

Petit à petit, le monde de la copropriété se met donc en mouvement, toutefois tout semble indiquer que le frémissement constaté est encore initié par les pionniers et que le mouvement de masse n’est pas encore engagé.

Les copropriétaires investissent pour leurs parties communes parce qu’ils en perçoivent l’intérêt immédiat (confort, économie). « Les parties communes de l’immeuble, c’est plus abstrait, différent… Faire pour l’autre est plus compliqué. Sauf que faire pour et avec l’autre, c’ est s’enrichir patrimonialement . Nous devons donc remettre l’intérêt commun au centre de la copropriété et arriver à des compromis d’intérêt franc au moment de la rénovation. La transition énergétique demeure très abstraite pour le grand public et résonne parfois comme un slogan politique de plus, c’est  dommage. Enfin, la loi  Alur en réformant les règles de majorité et en permettant la constitution de provisions est une belle avancée », conclut Marie-Line Tassius.

Certains espèrent également que la loi de transition énergétique contribuera à accélérer ce processus, notamment si l’isolation par l’extérieur devient obligatoire en cas de ravalement à effectuer.


 

Jean-François MOREAU: