L’économie circulaire, qui vise à changer de paradigme par rapport à l’économie dite linéaire, limite le gaspillage des ressources et l’impact environnemental. Elle s’applique à la fois à l’offre des acteurs économiques, au comportement des consommateurs et à la gestion des déchets. Quel est aujourd’hui l’état d’avancement des pratiques d’économie circulaire dans la filière électrique ? Comment évolue le traitement des déchets électriques et électroniques (DEEE) ? À l’heure où des enjeux technologiques et économiques nouveaux accompagnent une réglementation qui évolue, un point d’étape s’impose.
« Lorsqu’on parle d’économie circulaire, du point de vue des équipements électriques et électroniques, des enjeux forts émergent, autant en termes de matière et d’énergie que de comportement des acteurs et d’évolution de la société vers plus d’efficience matière et énergétique », rappelle Catherine Jagu, déléguée Développement durable au Gimélec.
Ce que beaucoup oublient, c’est qu’il y a déjà en la matière une réglementation abondante. L’éco-conception, la frugalité, le recyclage, sont déjà une réalité concrète depuis plusieurs années. Et bien au-delà du niveau français, les impulsions sont souvent européennes. Aujourd’hui, le risque est que tout le monde veuille faire de l’économie circulaire et invente des critères qui ne sont pas forcément cohérents. « La directive éco-conception, par exemple, qui cible les produits liés à l’énergie, est en train de s’étendre à l’économie circulaire, avec des exigences d’indicateurs de recyclabilité qui ne correspondent pas forcément à des réalités mesurables », déplore la déléguée du Gimélec. Par ailleurs, on ne voit pas forcément le lien entre les nouvelles initiatives européennes sur les matières premières, sur l’éco-conception des produits et leur empreinte environnementale, et les directives existantes. C’est un point de vigilance pour les industriels.
Les enjeux de la normalisation
Avec les processus de normalisation en cours concernant le recyclage et la réutilisation, il apparaît peu évident de fixer des objectifs mesurables et cohérents. Que veut dire un pourcentage de produits réutilisés par rapport à une quantité de déchets quand les produits peuvent être réutilisés jusqu’à 20 ans s’ils sont réparés, sans passer par le statut de produits en fin de vie ? Comment cela se traduit-il si un produit est remplacé par un autre plus efficient en énergie et que l’on revend le premier à l’export car il fonctionne très bien ? Comment faire sortir du statut de déchet des pièces détachées en bon état issues du démontage de produits en fin de vie ? Pourtant, on fait ainsi de l’économie circulaire. La normalisation du processus de dépollution pose aussi la question de la mesure de cette dépollution : à partir de quelle valeur estime-t-on qu’une fraction est dépolluée ? Selon quelle méthode de laboratoire le mesurer ?
Dernier objectif complexe : les produits doivent être traités dans le respect de l’environnement et de la santé-sécurité au travail à tous les stades du processus. Comment le vérifier et le mesurer ?
On voit bien dès lors combien la démarche est complexe, car certains objectifs ne sont atteints qu’au détriment des autres, en particulier si les chiffres sont considérés à l’échelle nationale. Les produits encore en état de marche, qui ne plaisent plus car ils sont passés de mode, ont encore plusieurs vies devant eux dans des pays à niveau de vie plus faible. Un bon exemple de changement rapide de comportement sociétal est celui du téléphone portable revendu d’occasion et passant de main en main avec le développement d’une économie de la réparation et de la revente en très peu d’années. Le public a évolué plus vite là-dessus que les autorités.
Qui du public ou de la réglementation est à l’origine des évolutions ?
« La réglementation est un processus assez classique, estime pour sa part Hervé Grimaud, directeur général de Récylum : des militants sonneurs d’alarme finissent par faire bouger le législateur et les pratiques du marché. On passe d’une impulsion militante à une impulsion réglementaire puis à une appropriation du marché. »
À cet égard, la directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques, qui s’inscrit dans une démarche beaucoup plus globale au niveau européen, de gestion des déchets et d’économie circulaire, poursuit une démarche qui a modifié les pratiques il y a plus de vingt ans avec les ampoules, les piles et les accumulateurs. La directive européenne publiée à l’été 2012 et transposée en droit français en 2014 contient deux volets : celui relatif à la dépollution des matières dangereuses, puis l’économie circulaire et plus particulièrement le recyclage. Sur la dynamique des DEEE, on est passé d’une impulsion militante il y a une quinzaine d’années à une impulsion réglementaire en 2003, avec la première directive DEEE, révisée en 2012. Nous sommes en train de rentrer aujourd’hui timidement dans une appropriation du marché.
La directive DEEE et son application
La directive est transposée dans sa deuxième version en 2014. La première version demandait que chaque État membre atteigne un niveau de collecte de 4 kg de matériel usagé par habitant. Cette première étape était délicate dans la mesure où d’importantes disparités de consommation existent entre États de l’UE. Suite à la révision de la directive, les objectifs sont donc passés en pourcentages des mises sur le marché. Les derniers objectifs sont plus ambitieux puisque la nouvelle directive demande à ce que 45 % des équipements électriques et électroniques vendus soient collectés en 2016 et 65 % en 2019. En 2014, 43 % des lampes étaient recyclés. Sur les équipements électriques et électroniques professionnels, Récylum, bien que sans doute l’éco organisme ayant le taux le plus élevé, n’est pourtant qu’à 12 %. Dans la façon dont la France transpose la directive, un volet répressif est en train de monter en puissance. La loi fait la différence entre les DEEE ménagers (par exemple l’électroménager grand public) et les DEEE professionnels, dont la collecte a démarré plus tardivement. Les pouvoirs publics ont fait évoluer le droit de manière à pouvoir sanctionner les producteurs et distributeurs qui ne remplissent pas leurs obligations. Il y a eu une centaine de mises en demeure et une vingtaine d’amendes infligées à des sociétés qui fabriquent ou importent du matériel électrique et électronique professionnel et qui ne remplissaient pas leurs obligations.
Marché international et trafic de déchets
L’économie circulaire étant une dynamique globale d’efficacité des ressources, il ne s’agit pas seulement d’obtenir des matières premières à coût abordable : la raréfaction des matières premières la rend également utile. Conjoncturellement, la pression économique peut se déplacer d’un produit vers un autre, en fonction de conflits géopolitiques, d’accroissement de la demande ou d’intérêts géostratégiques. Aujourd’hui, les brokers peuvent acheter et revendre des DEEE partout dans le monde.
Des fractions métalliques de DEEE achetées en Allemagne peuvent, par exemple, être revendues en Chine. « Si l’on souhaite conserver ces flux en Europe, cela revient à interdire leur exportation, ce qui va à l’encontre des principes de l’Organisation mondiale du commerce », souligne Catherine Jagu à ce sujet. Cela pose des questions car il n’y a pas que des trafiquants sur ce marché. Comment dès lors capter les flux de métaux précieux et critiques sans entraver le commerce et la libre concurrence ? Sans doute à travers une filière de collecte organisée et efficace qui favorise un traitement de proximité des déchets, permettant ainsi à notre industrie locale de bénéficier d’un accès équitable aux matières première issues du recyclage. Dans la pratique, comment fonctionne un circuit vertueux ? Les équipements électriques sont dépollués des substances dangereuses. Ensuite, il y a plusieurs possibilités technologiques : broyage ou déchiquetage, séparation des matières, chimie ou métallurgie. La première difficulté technologique provient du mélange de métaux et de plastiques. Dans certains cas, on peut directement passer en métallurgie sans étape de broyage et tri, dans d’autres non. Plus il y a d’étapes intermédiaires, plus cela coûte cher.
Encadré initiative WEEE 2020
Des projets européens visent à développer de nouveaux business models, qui permettraient de récupérer les métaux qui sont dans les équipements. Le projet WEEE 2020 regroupe aussi bien des universités que des fabricants d’équipements (Digital Europe) ou des métallurgistes comme Umicore. L’ensemble des acteurs amont/aval se rassemble pour inventer de nouveaux business models et créer des technologies innovantes. Il s’agit d’un gros projet qui vise à traiter en Europe les DEEE et les transformer en matières premières secondaires pour ce qui est métallique.
Le recyclage des lampes, vecteur d’économie circulaire
En 2007, Récylum a initié un programme avec Rhodia – aujourd’hui Solvay – pour récupérer les terres rares contenues dans les poudres fluorescentes. À l’époque, la démarche relevait de l’impulsion réglementaire. À ce moment, la Chine avait imposé des quotas sur l’exportation de ces terres rares, tout en étant très majoritairement productrice de ces terres. Pour les fabricants de lampes, l’accès à ces terres rares était devenu impossible du fait de leur prix élevé. L’action de Récylum avec Rhodia a permis à des fabricants de lampes en Europe de continuer à s’approvisionner en terres rares dans des conditions acceptables. Les lampes, ce sont aussi du verre, réintroduit dans le processus de fabrication et très majoritairement renvoyé dans les usines qui fabriquent des tubes fluorescents en Europe. Réutiliser du verre pour faire du verre contribue à réaliser des économies d’énergie. C’est une logique complète d’économie circulaire, le verre représentant plus de 90 % du poids des lampes. Par ailleurs, il s’agit de l’équipement électrique qui se recycle le mieux actuellement.
La nécessaire prise de conscience du grand public et des filières
Avec la crise, le grand public a commencé à faire de son côté de l’achat-revente. Une nouvelle économie s’est donc déjà mise en place, avec un marché d’occasion très important sur des sites comme leboncoin.fr. Cela concerne également l’électronique, et certains grands distributeurs comme la FNAC se sont impliqués pour revendre des téléphones d’occasion. « Des avancées réglementaires permettraient de faire bouger les choses plus rapidement en faveur de l’économie circulaire, mais la France n’avance pas sur des sujets aussi importants que l’interdiction d’enfouissement ou la sortie du statut de déchet. Aujourd’hui, on enfouit encore des équipements qui contiennent des métaux », regrette Catherine Jagu.
3 questions à Hervé Grimaud, directeur de Récylum
Récylum, n’est-ce que les lampes ?
Non, Récylum c’est aussi les équipements électriques professionnels. Depuis 2009, nous avons lancé une filière de collecte et recyclage de DEEE du bâtiment, principalement.En 2012, notre action s’est étendue aux DEEE de l’industrie (automatismes, instrumentation de contrôle et surveillance) et du médical : de l’IRM au pousse-seringue, en passant par le lit médicalisé électrique. Nous avons là une action qui vise à faire tourner tous les maillons de l’économie circulaire à la même vitesse. L’économie circulaire a entre autres pour objet de faire que les matières premières extraites des sous-sols pour fabriquer des produits soient extraites des déchets générés puis réintroduites dans la fabrication de nouveaux produits. Globalement, si l’on veut entrer dans une économie circulaire qui fonctionne, il faut que les fabricants aient l’assurance d’être approvisionnés régulièrement en matières secondaires de qualité. Pour cela, il faut collecter d’importantes quantités de déchets.
Sous l’impulsion réglementaire des DEEE, la collecte des déchets a beaucoup été poussée. Maintenant, nous avons besoin de développer la réutilisation des matières secondaires, notamment les plastiques.Une de nos actions aujourd’hui a pour objet de développer des technologies qui permettent de démanteler ces équipements, d’isoler les parties plastique et de les trier avec une finesse qui permette de faire des lots de qualité homogène.La difficulté réside dans le foisonnement de plastiques de compositions très variées. Il y a un gros travail des opérateurs de traitement pour développer des capacités techniques de tri automatique assez fines. Encore faut-il que les fabricants acceptent d’intégrer dans la fabrication de leurs équipements des matières plastique secondaires. C’est une des missions des éco-organismes que de susciter et accompagner cette évolution des pratiques industrielles.
Le périmètre d’action de Récylum s’est élargi au fil des années. Avez-vous vocation à traiter tous les DEEE ?
Les pouvoirs publics ont divisé les déchets électriques en déchets ménagers et professionnels. De chaque côté, il y a des sous-familles. Récylum s’occupe des lampes et des équipements électriques du bâtiment, de l’industrie et du médical. Les éco-organismes sont créés et gérés par les fabricants de matériel électrique et électronique. Les fabricants de matériel informatique se retrouvent plutôt chez notre confrère Ecologic. Les fabricants d’électroménager au sens large se retrouvent plutôt au sein d’Eco-systèmes.
Avez-vous un message pour la filière en 2015 ?
Oui, deux messages. Aux producteurs, je dirais : attention à ceux qui ont rempli jusque-là leurs obligations a minima. Les pouvoirs publics ont durci le ton. Des sanctions tombent. Soyez donc attentifs à bien remplir vos obligations, soit en montant une filière individuelle, c’est-à-dire en collectant chez vos clients – 45 % des équipements vendus d’ici 2016 – ou en rejoignant un éco-organisme qui assurera cette mission pour vous. Si vous êtes détenteur d’équipements électriques usagés, soyez attentif à ne pas les considérer comme de la banale ferraille, car ils nécessitent une dépollution et un recyclage adapté.
Avis d’expert
Erwann Fangeat, ingénieur à l’ADEME, expert DEEE : « Il faut développer de nouveaux canaux de collecte. »
À l’ADEME, nous avons une action d’information, de mesure et de suivi de la filière, ainsi qu’une mission d’appui du ministère, notamment sur les aspects réglementaires. Nous tenons un inventaire régulier des sites de traitement, nous menons des études. À propos du gisement des DEEE et de leur destination, le ménager et le professionnel ont été étudiés. D’autres études sont menées avec les fédérations professionnelles (Gifam, Simavelec). Nous essayons d’évaluer la durée de vie des équipements, ou encore l’attitude des consommateurs face à une panne. Deux études sont en cours avec le Gifam, l’une sur la faisabilité d’une filière de réemploi de pièces détachées, et l’autre comportant des ateliers d’autoréparation. Le consommateur peut arriver avec son équipement et avoir accès à des outils pour réparer lui-même. Sur le sujet, un atelier sera inauguré le 4 juin 2015 à Limoges.
Sur le plan réglementaire, la nouvelle directive est bien plus ambitieuse. La filière DEEE est à un vrai carrefour puisque les tonnages collectés devront être doublés d’ici 2019. Il faut développer de nouveaux canaux de collecte, par exemple en milieu urbain, où les déchetteries sont souvent rares. Le développement d’opérations de collecte chez l’habitant est une piste intéressante. Dans le 11e arrondissement de Paris, Emmaüs et Eco-Systèmes viennent récupérer directement chez l’habitant. Autre exemple, la collecte en entreprise, qui va faire face à une demande croissante. Troisième piste, la collecte chez les ferrailleurs et les broyeurs. Environ 200 000 tonnes de DEEE arrivent directement chez eux sans transiter par la filière réglementaire, esquivant parfois des phases de dépollution pourtant obligatoires. Les éco-organismes ont pour objectif de prendre en charge la dépollution et d’assurer la traçabilité nécessaire.