Directeur général, Hager France. Ingénieur diplômée de l’Insa de Lyon et titulaire d’un MBA de l’Edhec Lille, Sophie Breton est multilingue. Parler couramment anglais, allemand et espagnol est un atout pour diriger Hager, un groupe toujours perçu comme franco-allemand, dont les racines européennes plongent de part et d’autre du Rhin. Après General Electric, où elle est amenée à réorganiser les filiales européennes, Sophie Breton rejoint Hager en 2013, un des fabricants majeurs de matériel électrique. Par ailleurs élue présidente d’Ignes il y a un an, elle a aujourd’hui pour mission de mener son groupe et la filière à poursuivre leur évolution, ce qui passe à la fois par un approfondissement des savoir-faire historiques et par l’exploitation de nouveaux gisements de croissance. Rencontre avec une patronne connectée.
Hager fête ses 60 ans. Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de développement de l’entreprise ?
– Comme je n’étais pas née il y a 60 ans, je suis allée faire des recherches dans l’historique… En fait, l’histoire de Hager a commencé avec la grande Histoire, puisque la société a été fondée en Sarre, à Ensheim en 1955, par les deux frères Hager, Oswald et Hermann, ainsi que leur père. Au départ, ils ont travaillé pour des clients principalement français, notamment Remington, le fabricant de rasoirs de référence. Ils s’étaient spécialisés dans le décolletage de pièces métalliques. Par la suite, à la demande de Remington, Hager s’est développé dans l’injection plastique pour produire la coque du rasoir.
Deux ans après la fondation, en 1957, un référendum a été organisé. On a demandé aux Sarrois s’ils souhaitaient rester français ou être rattachés à l’Allemagne (la Sarre avait été donnée à la France au titre des dommages de guerre). Les Sarrois ont choisi de rejoindre l’Allemagne. La société Hager s’est retrouvée du jour au lendemain en situation d’exportateur car la plupart de ses clients étaient implantés en France. Rapidement, les frères Hager et leur père ont décidé de louer un atelier-relais à Obernai en 1959, à proximité de leurs clients. Hager est donc une société française et allemande et ce, depuis sa fondation.
Les tableaux sont alors fabriqués la plupart du temps en bois et quelquefois en marbre ou en bakélite. Il s’agit parfois d’un véritable travail d’ébéniste de la part de l’installateur qui va jusqu’à vernir les tableaux de plusieurs couches. À la faveur d’une évolution d’une norme électrique, les frères Hager vont créer un tableau dans lequel ils vont intégrer le rail DIN (norme DIN = Deutsches Institut für Normung) et sur lequel ils vont fixer des porte-fusibles en porcelaine. En 1968, ils créent en fait le 1er tableau électrique préfabriqué pour supporter des coupe-circuits à broches et le nomment « Rapid Hager ».
Un seul objectif les anime : rester indépendants. C’est pourquoi, ils ont intégré en interne de plus en plus de savoir-faire. En 1970, ils inventent le premier coupe-circuit rotatif modulaire. Le standard dimensionnel adopté par les frères Hager va devenir un standard de fait sur le marché qui servira de base de fabrication de tous les produits modulaires qui suivront.
Dans les années 1980, une série d’acquisitions a eu pour but d’internationaliser le groupe, avec des rachats de sociétés comme Tehalit sur la partie goulottes et cheminements de câbles. Puis l’entreprise Flash sur la partie composants électroniques ; Atral sur la sécurité en 2004 et Weber, en Suisse, sur les tableaux de distribution tertiaire. Des acquisitions plus récentes l’ont été autour du service, de la télésurveillance, mais aussi de l’appareillage mural avec Berker, ce qui a permis à Hager de compléter cette gamme déjà lancée en France dès 2006.
Aujourd’hui, Hager est un groupe de 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, avec 23 sites de production dans 11 pays.
Les 60 ans sont donc loin d’être une fin en soi. À cette occasion, nous avons choisi, d’une part, de remercier nos clients installateurs qui nous ont fait confiance depuis de nombreuses années, en particulier à travers la promotion Happy Days de début d’année. Et, d’autre part, nous allons inaugurer un nouvel espace pour nos clients nationaux et internationaux : le Forum Hager Group. Ce sera, à Obernai, un espace de démonstration de nos solutions, mais aussi un lieu d’échanges et de discussions.
Aujourd’hui, nous avons le statut de société européenne, Societas europeae (SE). Nous avons été une des dix premières entreprises à obtenir ce statut en 2007, avec un siège social en Allemagne et le plus gros site de production en Alsace. À noter que 50% du chiffre d’affaires est réalisé en France et en Allemagne.
Quelle est aujourd’hui la vision et le positionnement de l’entreprise pour les années qui viennent ?
– Nous sommes à mi-parcours dans notre internationalisation. Chez Hager, nous fonctionnons avec des plans à cinq ans. Nous sommes dans la dernière année du plan 2010-2015 et il y a quatre piliers dans ce plan.
Tout d’abord, la poursuite de notre développement dans l’habitat, à travers des compléments de gamme. Nous sommes très connus sur le tableau résidentiel, mais nous sommes de plus en plus pertinents sur la sécurité et l’appareillage mural. Au niveau de la domotique, nous sommes historiquement présents, et très à l’écoute du marché qui se développe fortement. Deuxième pilier : le développement du tertiaire. Notre ambition est grande dans ce domaine et nous développons chaque jour notre crédibilité et notre image.
Le troisième pilier, ce sont les pays émergents type Inde et Chine, sur lesquels nous avons beaucoup investi ces quatre dernières années.
Enfin, quatrième pilier, l’enrichissement de notre offre au niveau de l’automatisation de l’habitat et du bâtiment tertiaire.
Pour se projeter plus loin, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il n’y aura pas de rupture pour le plan 2015-2020. L’année 2015 sera consacrée à sa formalisation. C’est un peu tôt pour donner une idée finale du résultat. Même si les fondamentaux résidentiels et tertiaires vont demeurer, les développements tourneront autour des pays cibles et des services, avec des offres complémentaires.
Quels sont les défis tant commerciaux que technologiques que vous vous attendez à devoir relever en 2015 ?
– Dans nos métiers, nous avons longtemps été tirés par l’activité du neuf, avec des offres et produits adaptés. Les aspects de rénovation mais également de modernisation de l’habitat ou du tertiaire doivent être de plus en plus présents dans nos offres.
Dans le second œuvre, la façon d’opérer n’est pas la même. Nous nous inscrivons dans un écosystème sur lequel il nous faut nous greffer de la manière la plus simple et la plus harmonieuse possible. Par exemple, on peut ajouter une fonction qui n’existait pas. Cela fait appel à des technologies d’installation ou de transmission des données qui vont être différentes. L’évolution de notre offre vise à faciliter l’installation et l’utilisation des solutions et produits.
On parle de transition énergétique en France, avec la rénovation de 30 millions de logements et la construction de 300 000 appartements neufs. Cette transition est pour nous une opportunité à la fois au niveau de l’offre et à celui de l’approche. Il faudra longtemps pour rénover l’ensemble du parc. C’est pourquoi ce sont des chantiers long terme que nous prenons en compte et sur lesquels nous développons actuellement une offre de services et de produits.
En 2015, en terme de marché dynamique, du fait de la conjoncture économique globale et de ce que l’on sait des mises en chantier dans les mois qui viennent de s’écouler, on sait qu’il n’y aura pas de miracle. Cela signifie qu’il faut créer du business et être dans le choix des consommateurs. Être dans les choix, cela signifie également donner à nos clients les moyens d’argumenter sur nos solutions et sur nos valeurs ajoutées pour l’utilisateur final. Aujourd’hui, nous sommes plus en concurrence avec les biens de la maison (l’achat de la TV, par ex.), qui représentent déjà un budget important. En période économique difficile, comment faire en sorte que les gens s’orientent vers nos solutions d’amélioration du confort énergétique ? Cela nécessite d’être aux côtés de nos clients pour les aider à vendre.
Nous avons pour cela à mener un travail autour de plusieurs axes. Le marché demande aujourd’hui à un installateur d’être spécialiste dans trois domaines. D’abord d’être un chef d’entreprise, compétent dans les aspects de gestion et d’investissement. Ensuite, d’être un bon technicien. Enfin, de savoir vendre. Sur l’aspect chef d’entreprise, nous accompagnons les créations d’entreprises à travers un service web spécifique www.hager.fr/entrepreneurs qui permet à nos clients d’avoir toutes les informations sur les réglementations à connaître, les bonnes pratiques, etc. Nous avons aussi des partenariats avec des banques et des experts comptables. En ce qui concerne les compétences techniques, nous formons chaque année 6 000 clients à nos solutions produits dans nos centres de compétences.
Enfin, nous construisons actuellement des formations de développement du business, afin d’accompagner nos clients pour les aider à mieux vendre. Nous leur offrons également un service exclusif, à savoir la possibilité pour eux de créer leur propre site web en 10 minutes.
Être entrepreneur, être technicien, être vendeur…
– En complément, nous avons développé une application que nous lancerons en avril. Elle permet à l’installateur d’accompagner son client dans son diagnostic d’installation électrique.
De façon très ludique, l’installateur va pouvoir dialoguer avec son client utilisateur final pour faire émerger des recommandations. Par exemple, une personne qui part souvent en voyage et qui n’est pas technophile sera intéressée par une solution de régulation de chauffage. L’installateur pourra également argumenter autour d’un crédit d’impôts de 30 %.
Cette application est le fruit de 2 ans de développement. Elle s’appelle Wattson, parce que c’est élémentaire. . .
En conclusion, en termes de défis commerciaux, on retiendra l’accompagnement des installateurs autour des 3 piliers de leur métier. Et en termes de défis technologiques, on soulignera la nécessité d’adapter l’offre au marché français qui est un marché de rénovation et de modernisation.
En Allemagne, le secteur est-il différent ?
– Le secteur du neuf est plus porteur, mais la partie rénovation est aussi en développement. Là-bas, la notion d’entretien est plus importante. Par exemple, dès qu’il y a un changement de locataire dans un local, les peintures sont refaites automatiquement. C’est par exemple l’occasion de changer les interrupteurs. Culturellement, la notion d’entretien est plus forte qu’en France. Ce sont des axes que nos collègues allemands traitent parfaitement.
Comment appréhendez-vous l’évolution des normes électriques et la réglementation : Norme NFC 15-100, RT 2012, diagnostic électrique obligatoire, DAAF ?
– Il y a différents types de normes et de réglementations. La C 15-100 est relative à la sécurité et au bon fonctionnement de l’installation électrique. On peut la voir comme une contrainte car cela renchérit le prix d’une installation. D’un point de vue promoteur et utilisateur, c’est une charge supplémentaire.
Sur ces 40 dernières années, il est rare que les utilisateurs aient eu des problèmes de pannes de courant. Les normes permettent un bon fonctionnement de l’installation dans le temps, ce qui est aussi positif pour les installateurs. En Espagne, par exemple, un benchmark nous a montré que les installateurs avaient besoin de se déplacer souvent pour résoudre des pannes. En France, c’est quasiment inexistant car l’installation de départ est de qualité.
On peut réviser la norme, la revoir en fonction des usages, mais pas en fonction des principes. C’est en cours d’ailleurs pour la norme NFC 15-100 qui aboutira à une évolution en juillet 2015.
En fait, Hager a une stratégie d’optimisation…
– Oui, bien que l’on ne soit pas dans une tendance économique facile, notre rôle chez Hager est d’exploiter les gisements de croissance qui existent par rapport à la RT 2012, aux bornes de recharge électrique, à la domotique et à l’appareillage mural.
Par ailleurs, il ne faut pas vivre les normes comme des contraintes mais plutôt comme des opportunités commerciales : en étant dans les choix budgétaires des particuliers et des clients tertiaires. Pour ces derniers, il y a une évolution culturelle dans nos métiers. On passe d’une approche sécurité protection à une compréhension de besoins et à la fourniture de solutions adaptées.
Se positionner en mode solution sur le marché est notre ambition : apporter des solutions à chacun, au quotidien. Cela passe d’abord par la compréhension des besoins de chacun, puis par des réponses adaptées. Et l’habitation deviendra de plus en plus vivante en fonction des évolutions de vie de l’habitant.
Vous êtes présidente d’IGNES depuis janvier 2014. Comment s’articulent selon vous les trois génies numérique, énergétique et sécuritaire dans la filière du bâtiment tertiaire ?
– Notre mission est de promouvoir des solutions pour un bâtiment plus sobre, plus sûr, plus accessible et plus confortable. L’aspect numérique dans nos solutions devient de plus en plus important en amont afin que les installations comportent des prises RJ 45 ou un coffret VDI en entrée de logement. Le numérique, pour nous, consiste à penser l’infrastructure dès le départ. Les aspects énergétiques et sécuritaires, nous les traitons à travers tous les métiers d’IGNES.
Si nous parlons de l’éclairage de sécurité, c’est une partie de la sécurité. Si nous parlons du détecteur d’incendie, c’est une partie de la sécurité. Si nous parlons de l’alarme intrusion, c’est aussi une partie de la sécurité.
Pour l’aspect énergétique, tous les dispositifs actifs de gestion de l’énergie sont en jeu.
Il y a vraiment une convergence de ces différentes activités autour de nos objectifs. De plus, de nombreux sujets sont transverses aux différents métiers.
Si l’on prolonge l’aspect confort en disant que c’est une notion évolutive dans le temps, on peut dire que l’autonomie à domicile est une forme de maintien du niveau de confort d’une habitation. Il faut prévoir un dispositif compensatoire par rapport à une diminution de l’autonomie avec l’âge qui avance. Nos solutions permettent de rendre le logement plus agréable à vivre, en particulier avec la domotique, et plus économe avec les solutions de gestion de l’énergie. Avec un dispositif qui me permet d’avoir un on/off sur une tablette ou un smartphone, je vais pouvoir facilement éteindre toutes les lumières le soir et faire ainsi des économies. L’autonomie à domicile est un thème qui n’est pas forcément à appréhender par le sujet lui-même, mais plutôt par d’autres clés d’entrée, plus sociétales.
Quels sont les principaux enjeux métiers d’IGNES ?
– Les enjeux métiers tournent autour de l’efficacité énergétique, de la sécurité et de l’autonomie à domicile. Ce sont les enjeux sociétaux en France. On parle de sécurité, de réduire la facture énergétique, de bâtiment durable, etc.
Y a-t-il des blocages à lever sur ces enjeux ?
– Au sein d’IGNES je ne vois pas de blocage majeur. Je pense que nous sommes assez alignés. Ce sur quoi on doit travailler se situe plus au niveau de la filière, car elle est complexe. C’est du B to B to C : distributeurs, installateurs, consommateurs. Aussi, nous devons mener plus d’initiatives bipartites, tripartites, voire quadripartites, avec les associations de consommateurs, pour populariser notre offre, la faire mieux comprendre et faire en sorte que les normes ne soient pas vécues comme des contraintes. Par exemple, ce qui est communiqué aujourd’hui, concernant le dispositif détecteur de fumée (DAAF), c’est son aspect obligatoire. On devrait plutôt communiquer sur le nombre d’incendies qui ont été évités grâce à un DAAF. Nous avons un véritable travail de filière à réaliser pour faire passer les messages vers l’utilisateur final. À ce niveau-là, on peut parler d’une sorte de blocage, qui relève du « je ne sais pas faire ». Et aucun acteur fabricant dans la filière ne peut traiter cette problématique à lui tout seul. Ce doit être un travail commun de l’ensemble de la filière.
IGNES a lancé une série de rencontres matinales autour du smart home…
– Oui, ces matinées ont lieu depuis deux ans. Nous sommes responsables de l’infrastructure pour aller vers un habitat de plus en plus connecté. Or, il faut que les différents métiers se parlent. Ces matinales sont ouvertes à l’ensemble des acteurs qui travaillent sur la maison intelligente et sur d’autres domaines, comme la voiture intelligente. Ce sont des forums de discussion et d’ouverture qui ont beaucoup de succès.
Propos recueillis par Aymeric Bourdin