Comment est née la marque Vivapolis ?
Cela fait plusieurs années que les acteurs de la ville sont conscients des talents des entreprises françaises, mais aussi de leurs difficultés à l’export, parce qu’elles arrivent en ordre dispersé. Au printemps 2013, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, a organisé le discours sur l’exportation autour des quatre thèmes suivants : mieux se nourrir, mieux communiquer, mieux se soigner et mieux vivre en ville, avec un fédérateur sur chaque thème. Pour ma part, j’ai été nommée fédératrice du « mieux vivre en ville ».
Nous avons commencé par créer une marque, dans l’optique de faire le marketing de la ville durable à la française, avec un nom, un logo, une « définition » et un site web. Le sujet était mûr car il y avait eu en amont des travaux et des réflexions, notamment dans deux groupes de travail, l’un du Cosel (Comité d’orientation des éco-entreprises) présidé par Patrick-Yann Dartout, qui est également un des coanimateurs de Vivapolis, et l’autre de l’Afep, réunissant plutôt les grandes entreprises. Nous avons essayé de définir les caractéristiques de la ville durable à la française en quatre points :
1 – Mettre l’homme au cœur du projet en améliorant les conditions de vie des habitants, ce qui a des conséquences en termes de logement, de santé, de mobilité, de pluri-activités… C’est la recherche d’une ville « attractive » pour les hommes comme pour les entreprises.
2 – Améliorer la performance, qui reste un moyen et est mesurée en termes de sobriété en ressources naturelles : eau, énergie, économie circulaire, occupation des sols, et donc densité de l’habitat… À travers cette performance, on retrouve la notion de ville « verte » et « intelligente ». Le numérique permet en effet d’ajouter une « couche d’intégration » et d’optimisation, pour être encore plus performants en termes de services proposés aux habitants, mais aussi de consommation des ressources naturelles. Cela passe, par exemple, par l’optimisation énergétique à travers les smart grids et l’intermodalité qui permet de faciliter les déplacements et, par conséquent, de réduire les gaspillages de carburants dans les embouteillages. Cela réduit les « coûts de fonctionnement » de la ville et améliore sa compétitivité, ce qui fait aussi partie de son attractivité.
3 – Avoir une gouvernance forte et participative. Il s’agit d’un préalable aux deux sujets précédents. Si la puissance publique n’arrive pas à planifier et mettre en œuvre des projets à moyen-long terme, aucun résultat ne sera atteint, ni en termes de mobilité, ni en termes de performance et de services. Or, il n’est pas évident d’avoir cette visibilité à long terme. Au Mexique, par exemple, les mandats d’élus locaux sont de trois ans, non renouvelables pour l’instant. Les équipes que je vais voir en mars ne seront pas celles d’après les élections en avril, ce qui est un facteur de complexité. Nous avons donc besoin d’une gouvernance forte, transversale et participative. Forte, cela signifie être capables d’appliquer une planification, d’avoir des normes et de les contrôler dans la durée pour lancer des financements à long terme. Transversale, cela nécessite une capacité à imaginer des structures intégrées. Participative, notamment pour attirer des financements publics-privés et pour que le citoyen s’approprie les projets de la ville et participe à leur mise en œuvre.
4 – Enfin, le dernier principe : l’adaptation. La ville que l’on prône n’est pas un modèle figé. À partir de ces principes, Paris, Bangkok, Casablanca ou Bordeaux n’auront pas les mêmes réponses car elles n’ont pas le même contexte géographique, climatique, culturel, religieux ou historique. C’est pourquoi l’on ne pourra pas plaquer des solutions toutes faites. Cela prend un peu le contre-pied des démarches plus anglo-saxonnes qui sont sans doute plus simples, ce qui a ses avantages en termes de mise en œuvre, mais aussi ses inconvénients, face à la complexité de la ville. Cela conduit, par exemple, à généraliser la construction de garages à vélo dans des pays où son développement est limité par d’autres contraintes que les problèmes de parking, comme dans les émirats, par exemple, uniquement parce que cela fait partie des éléments listés comme nécessaires pour avoir une certification développement durable du bâtiment « dans l’absolu ».
Autour de ces quatre principes que tout le monde s’est maintenant approprié, les entreprises peuvent montrer leurs capacités et leur savoir-faire sur chacun des thèmes, chacun selon son sujet, mais en restant dans la démarche globale.
Quels sont les acteurs qui composent Vivapolis ?
Il y a d’une part les partenaires : six ministères, les organismes publics comme l’Ademe, la Caisse des dépôts, l’AFD, Businessfrance, ou le CSTB et le Cerema, pour ne citer qu’eux. Et enfin les réseaux et groupements professionnels, dont l’Afep, le Syntec Ingénierie, le Pexe, le Club Ademe International ou encore le pôle de compétitivité Advancity.
Notre objectif est de réunir les entreprises qui ont envie de se faire connaître à l’extérieur et de nous aider à exporter avec les supports nécessaires en devenant membre de Vivapolis. Cela nous permet de les connaître et de leur envoyer directement de l’information. Aujourd’hui, il y a environ 130 entreprises membres : pratiquement toutes les grosses entreprises qui travaillent sur le sujet de la ville et de plus en plus de PME et d’ETI.
Notre action s’adresse à tous les secteurs concernés par la ville : des acteurs de la planification à l’ingénierie en passant par les architectes, les constructeurs et les acteurs de la mobilité collective et individuelle. Mais aussi les services urbains : déchets, eau, énergie, espaces verts et de plus en plus ce qui regroupe ces activités, c’est-à-dire le numérique. C’est cette partie « smart » qui rajoute une couche aux autres activités. Elle nous intéresse parce qu’elle permet de faire des bonds en matière d’intégration des fonctions urbaines. Or notre objet est de développer la ville intégrée, où l’ensemble des fonctions sont associées et non pas seulement juxtaposées, comme cela a longtemps été fait et pensé.
Pour le moment, Vivapolis n’a pas de structure juridique. C’est une marque, originale par le fait qu’elle fonctionne sur un mode collaboratif, de manière bénévole. Pour ma part, je suis conseillère maître à la Cour des comptes. Les autres membres du « bureau exécutif virtuel » (puisqu’il n’y a pas de structure juridique) sont respectivement responsable des relations internationales du Syntec Ingénierie (Patrick-Yann Dartout) et responsable international du bureau d’études Burgeap et vice-président international d’Advancity (André Dubec). Du point de vue du réseau, les services économiques et les ambassades s’impliquent de plus en plus. À moyen terme, si l’Institut de la ville durable est créé, Vivapolis y sera intégré, sinon nous créerons notre propre structure.
Concrètement, depuis 2013, quelle est l’action de Vivapolis ?
Notre action est une démarche de promotion et de revendication d’un savoir-faire français en matière de ville durable. Dans ce domaine, ce sont souvent d’autres pays qui viennent dans un premier temps à l’esprit, parce qu’ils savent mieux faire leur promotion, notamment à partir de quartiers souvent cités en référence en Allemagne (Fribourg…) ou en Grande-Bretagne (Betzed…). Mais, dès qu’on cite les grandes entreprises françaises qui interviennent dans le domaine de la ville (souvent parmi les leaders mondiaux de leur secteur) et quelques villes françaises, connues et admirées, ce savoir-faire devient évident : encore faut-il revendiquer l’expertise nationale sur le sujet, car ce ne sont pas les autres qui vont faire notre promotion à notre place !
Nous menons donc des actions très opérationnelles. Nous accueillons des délégations, nous nous déplaçons à l’étranger dans des salons, nous participons à des conférences, nous créons des manifestations spécifiques, comme cela a été fait à Istanbul l’année dernière avec Ubifrance, pour faire connaître le sujet.
Par ailleurs, nous nous efforçons de soutenir des projets de ville durable intégrée et même d’en susciter lorsque cela est possible. Bien sûr, nos membres continuent à vendre leurs prestations et leurs produits séparément, mais nous essayons aussi d’exporter plutôt des projets agrégés et globaux, qui sont en général des éco-quartiers. Nous avons commencé à travailler sur des projets d’éco-quartiers en Chine, où nous avons deux accords sur la ville durable avec l’équivalent du Medde et de Bercy là-bas.
C’est assez complexe, mais on avance petit à petit. Si c’est long, c’est qu’il y a une difficile phase d’apprentissage et de compréhension mutuelle. On a l’impression d’utiliser les mêmes notions, mais souvent on ne parle pas de la même chose. Par exemple, pour les Chinois, éco-quartier signifiait une zone industrielle où des entreprises françaises « vertes » allaient s’installer. Ce qui n’est pas du tout notre acception…
À l’origine, nous avons défini quatre priorités géographiques pour diversifier les approches : la Chine, la Turquie, le Maroc et le Brésil. Finalement, il est apparu assez complexe de travailler au Brésil, jusqu’à présent, alors que nous avons travaillé plus que prévu en Turquie, à partir d’un Fasep (subvention du ministère de l’Économie) pour un projet porté par des entreprises françaises dans la ville de Gaziantep, à la frontière avec la Syrie. Il s’agit d’un projet d’éco-quartier sur lequel nous avons fait des propositions de solutions innovantes en termes de gestion d’énergie, d’eau, etc. Aujourd’hui, en pleine zone kurde, les problèmes de sécurité et d’accueil des réfugiés a pris un peu le pas sur l’éco-quartier, mais le sujet est toujours d’actualité. Dans ce contexte, nous avons organisé une manifestation qui a beaucoup intéressé les Turcs à Istanbul en juillet dernier.
Nous avons aussi travaillé dans des pays qui n’avaient pas été définis initialement comme prioritaires en saisissant des opportunités diverses. Par exemple, nous avons beaucoup de relations avec les Émirats arabes unis et en particulier Mazdar City, et nous leur avons proposé de réfléchir ensemble à la possibilité de faire un quartier qui pourrait être réalisé par des entreprises françaises. La notoriété de Mazdar et l’Exposition universelle de 2020, qui se tiendra à Dubai, rendent cette perspective très intéressante. Dernier exemple en date : le Mexique, qui est venu nous proposer, par la voix de son ministre de l’Urbanisme, de venir travailler au Mexique, plus particulièrement dans la ville de Campeche, dans le Yucatan. Il s’agit d’une ville qui est doublement classée au Patrimoine de l’humanité, pour des raisons historiques et écologiques et qui doit se développer, du fait du pétrole découvert dans le golfe du Mexique. Les Mexicains souhaitent donc développer la ville tout en préservant son patrimoine, et ils considèrent que le savoir-faire français peut les y aider.
Cette année, nous allons nous efforcer d’être également présents dans l’ASEAN et en Afrique, en Côte-d’Ivoire notamment, mais aussi dans d’autres régions africaines, par la suite.
Les autres pays européens ont-ils des dispositifs similaires ?
Les Suédois ont un dispositif similaire, avec SymbioCity depuis les années 1990, qui est à la fois le modèle de la ville suédoise et leur outil de travail à l’international. Les Allemands mettent en avant leur réalisation de ville modèle avec Fribourg. Les Britanniques ont une démarche globale d’innovation, avec le programme Catapulte, au sein duquel ils ont une section ville qui s’apparenterait plutôt à nos pôles de compétitivité et qui agrège des acteurs, finance de la recherche, etc. Barcelone et Lisbonne font des choses très intéressantes sur la ville. Aujourd’hui, c’est un sujet partagé sur lequel chacun apporte sa pierre. C’est pourquoi il est important de mettre en avant son savoir-faire.
L’intérêt de Vivapolis pour nos interlocuteurs, c’est que nous leur donnons une vision cohérente, ce qui est rassurant et permet d’organiser le contact avec un interlocuteur unique. Le risque est que les villes se tournent vers des grands cabinets d’urbanisme qui sont souvent américains, allemands ou anglais, et que les marchés échappent ainsi aux entreprises françaises. Même si nous ne nous substituons pas du tout à ces cabinets, nous essayons de donner envie de voir comment les Français traitent ces sujets dans leur globalité. Après, il reste à trouver les financements et à ce que les entreprises s’organisent pour répondre de manière intégrée.
Dans tous les pays, il est impossible aujourd’hui de « vendre » une ville si elle n’est pas « sustainable ». Cela n’a pas de sens et toutes les grandes villes du monde sont impliquées dans la démarche. Mais, selon les contextes, le contenu du mot peut être très différent et c’est tout l’intérêt de notre 4e caractéristique : l’adaptation !
Le sujet de la ville durable trouve-t-il un écho aussi fort chez les émergents qu’en Europe ?
Le sujet est partout sur tous les continents. La population mondiale augmente et la part de la population urbaine augmente aussi. Les pays se trouvent face à des créations spontanées de villes et sentent qu’ils n’en ont pas la maîtrise. Comment arrive-t-on à orienter un minimum la croissance urbaine ? Comment contribuer à organiser ce développement ? Ce sont les questions auxquelles il faut ajouter une couche « numérique » qui vient bouleverser la posture des uns et des autres.
Aujourd’hui, avec la COP 21, tout le monde s’attend à ce que les Français parlent de climat, ce que nous avons toujours fait, d’ailleurs. Nous avons des outils de réflexion et un savoir-faire dans ce domaine également. Dans le cadre de la COP 21, dans l’agenda des solutions, la ville est en très bonne place. Compte tenu du fait qu’elle représente environ 70 % des consommations d’énergie, c’est l’endroit où l’on doit trouver des solutions. Mais il ne faut pas oublier qu’on ne bâtit pas une ville POUR lutter contre le changement climatique, mais qu’on peut la construire pour les hommes tout EN luttant contre le changement climatique ; nous insistons beaucoup sur ce point car il ne faut pas se tromper d’objectif si l’on veut vraiment avancer.
S’il fallait mentionner deux ou trois atouts français à faire valoir…
Globalement, ce sont nos villes qui portent l’image positive de notre savoir-faire, même si nous sommes souvent très critiques vis-à-vis de nous-mêmes, et que nous n’en sommes plus conscients, contrairement à tous les touristes qui viennent nous voir et nous envient.
En particulier, nous disposons d’« espaces publics » de grande qualité, qui ont su intégrer, avec le temps, les différents modes de transports, des commerces, des cafés, des lieux piétonniers, des services, des bureaux, des espaces verts organisés, vivants et harmonieux. C’est assez rare, quand on se promène sur la planète, de trouver des endroits aussi vivants parce que diversifiés. Cette multi-activité, dans son « fouillis » même, est difficile à créer ex nihilo. Cela, nous savons le faire, même si on ne sait pas toujours comment on le sait !
Notre deuxième point fort, c’est la diversité de nos entreprises dans tous les domaines urbains. Sur le plan technique, nous savons quasiment tout faire : de l’ingénierie au smart grid, en passant du génie civil aux entreprises de pointe et à la gestion des flux de personnes comme de ressources ou de déchets. Ce qui nous manque est peut-être l’assemblage de ces offres. Nous avons de nombreuses entreprises qui ont plus appris à se faire concurrence qu’à travailler ensemble. Bien sûr, il ne s’agit pas d’assembler des entreprises directement concurrentes, mais plutôt de faire travailler ensemble verticalement des entreprises complémentaires sur des projets globaux. C’est pourquoi nous invitons les entreprises à travailler en grappes pour faire avancer cette ville intégrée. Comment faire la ville intégrée en termes de business models ? Comment faire pour que toutes ces entreprises s’échangent de l’information et que ce soit rentable pour tous au final ? Comment mettre cela en ordre de marche juridiquement ? Pour cela, il faudrait travailler tous ensemble sur quelques sites pilotes dans des villes françaises, afin de tester de nouvelles formules juridiques et économiques. Cela fait partie des sujets qui sont examinés actuellement.