Il y a 222 ans, les musées ouvraient leurs portes au public, et livraient par là même leurs œuvres à tous les risques, en particulier celui de la détérioration. S’est alors posée la question de leur protection, contre le froid, la chaleur, et bien entendu la lumière, pourtant indispensable à leur découverte. Qu’elle soit naturelle ou artificielle, la lumière peut aujourd’hui être contrôlée, donc maîtrisée ; tout d’abord via des dispositifs qui laisseront pénétrer les rayons du soleil mais en les détournant, des sources sans ultraviolet ni infrarouge, des luminaires équipés de cadreurs et enfin grâce à une gestion de plus en plus sophistiquée de l’éclairage naturel. Alors, lighting or not lighting ? Ce n’est peut-être pas là, la question…
Le compromis au service de la qualité
Partant de ce postulat, Pierre Baptiste relève la contradiction sous-jacente dans l’art d’éclairer les œuvres : le rôle du conservateur est de permettre au plus grand nombre de les voir, mais aussi de les préserver de dégradations liées à leur exposition. Entre ombre et lumière, les solutions sont souvent nées de compromis issus d’échanges entre l’architecte, le conservateur et le concepteur lumière tandis que de nouvelles technologies ouvrent d’autres perspectives.
Selon vous, il ne saurait y avoir de « réponse » éclairage, compte tenu de la diversité des œuvres. Comment, dans ce cas, abordez-vous la mise en lumière au musée Guimet ?
La question est complexe et l’objectif utopique : il s’agit de montrer les œuvres le mieux possible le plus longtemps possible pour les faire apprécier du public. Or, les salles d’exposition n’ont, le plus souvent, pas été prévues spécifiquement pour elles. Prenons l’exemple des reliefs des temples d’Angkor qui, dans leur lieu d’origine, étaient exposés à la lumière naturelle. Doit-on reproduire leur environnement lumineux à l’intérieur du musée ? Il nous faut donc traiter ce déséquilibre, et le concepteur lumière n’a pas d’autre choix que de répondre à ces contraintes de façon arbitraire : il est face à un débat cornélien, ou l’éclairage est trop important ou il est insuffisant. Autre dilemme : lorsque, dans un même espace, sont réunies des œuvres d’une grande hétérogénéité.
Vous voulez parler des contraintes liées à leur exposition à la lumière ?
Oui. Comment obtenir l’harmonie lumineuse lorsque, par exemple, nous devons éclairer dans la même salle de la statutaire en pierre et des documents graphiques très fragiles ? Ces derniers ne peuvent être éclairés que pendant trois mois, tous les trois ans, tandis que les temples bénéficiaient, dans leur environnement naturel, d’un très fort ensoleillement Dans les années 1960, une des solutions consistait à protéger les œuvres à tout prix de la lumière du jour. Résultat : les musées étaient devenus de véritables boîtes noires. Aujourd’hui, il existe des fi qui permettent de laisser passer les rayons de la lumière du jour sans pour autant endommager les objets exposés. La question de la relation du musée avec son environnement est devenue essentielle. Elle permet au visiteur de se repérer. Une fois que la décision est prise d’éclairer, reste à créer les effets.
Cette mise en scène lumineuse n’est-elle pas subjective ?
L’éclairage revêt toujours un aspect subjectif. Dans l’ancien musée Guimet, par exemple, les œuvres du Cambodge, datant des XIIe et XIIIe siècles et célèbres pour la spiritualité qui les caractérise, avaient été disposées dans une salle très sombre aux murs vert foncé et bénéficiaient d’un éclairage incandescent offrant un effet dramatique. Lors de la rénovation du musée, en 2001, le travail avec Georges Berne et Bruno Gaudin a, au contraire, donné à voir les détails des œuvres sous une lumière plus généreuse afin de sortir ces œuvres d’une théâtralité trop subjective. Au-delà de la subjectivité des conservateurs et des éclairagistes, on est aussi assujetti à des effets de mode. Plus récemment, nous sommes aussi contraints aux les restrictions budgétaires qui nous obligent à tenir compte des consommations et de la maintenance des sources lumineuses.
N’est-ce pas plutôt un mal pour un bien ? La LED n’apporte-t-elle pas une réponse efficace en termes d’énergie et de qualité de lumière ?
Ses performances chromatiques ne suffisent pas toujours à rendre les couleurs de manière optimale, même si, par ailleurs, la LED constitue la réponse à bon nombre de nos préoccupations. Il convient toutefois d’être vigilant à l’égard de son impact chromatique sur les œuvres, source de gêne, parfois. Dernier aspect, il arrive fréquemment que les architectes insistent sur l’utilisation de l’éclairage comme mise en valeur de l’architecture, ce qui peut parfois aller au détriment de celui des œuvres. Finalement, la mise en lumière d’un musée est (et doit être) toujours un savant jeu de compromis entre l’architecte, le conservateur et le concepteur lumière.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud