Quarante ans. C’est l’âge de l’AIE et c’est aussi la portée de ce rapport butoir, premier d’une série désormais annuelle, sous la direction de Maria Van der Hoeven. Comme elle le souligne dans sa préface, à l’objectif urgent de sécurité énergétique défini en 1974 lors de la création de l’Agence, s’ajoute désormais l’objectif non moins impératif de privilégier les énergies renouvelables. Une vision à long terme qui ne va pas de soi : objectifs et analyses sont en effet souvent remis en cause par des bouleversements comme l’enthousiasme pour le gaz de schiste en Amérique du Nord, les réductions de coût de certaines énergies renouvelables, ou encore l’incertitude concernant l’avenir de la filière nucléaire. Cette difficulté apparente fait pourtant la force du rapport : devant la conjonction de l’accroissement de la demande énergétique et du réchauffement climatique, l’AIE propose justement d’abandonner une attitude de réaction face aux évolutions des systèmes énergétiques pour au contraire les anticiper, les gouverner et les orienter vers un approvisionnement énergétique propre, sûr et économiquement viable. Là est la véritable valeur ajoutée de ce rapport : un cap pour sortir de la passivité et développer les technologies nécessaires à la réalisation de ces objectifs essentiels.
L’accent est ainsi mis sur le potentiel électrique, en réponse à un double défi : celui de la demande globale d’électricité, d’abord ; celui de la nécessité de mettre en place des systèmes cohérents et intégrés, ensuite. Il est en effet regrettable que la production d’électricité repose à 40 % sur les énergies fossiles et soit en conséquence responsable de rejet de gaz carboniques, alors même que les solutions existent pour augmenter l’efficacité du système de production électrique, tout en diminuant son empreinte carbone et en étant économiquement plus intéressantes. Les deux grandes parties de la publication se penchent sur ce paradoxe, la première en dressant un état des lieux de ce qui a déjà été fait et de ce qui peut être réalistement faisable à court terme, la seconde en faisant huit recommandations pour mobiliser le potentiel électrique, et qui seront analysées par nos soins lors de prochains articles.
Le raisonnement s’articule autour d’un quadruple constat. Tout d’abord, la tendance actuelle à la hausse mondiale de consommation de charbon n’est absolument pas compatible avec les objectifs de lutte contre le changement climatique. En outre, l’utilisation de gaz naturel ne peut être admise comme une alternative durable, mais doit seulement être considérée comme une ressource de transition et de support au développement des énergies renouvelables variables (ERV). Le déploiement de ces dernières progresse et parfois même entre en concurrence avec les autres sources d’énergie (en Europe, pour la première fois, les énergies renouvelables – y compris hydro-électricité et biomasse – ont dominé le mix électrique en 2013). Enfin, le rapport estime que le stockage d’électricité n’est qu’une solution parmi beaucoup en compétition, certes prometteuse, mais qui ne peut ni ne doit être envisagée isolément comme pilier du système énergétique à venir.
L’ultime innovation du rapport de l’AIE est la présentation dans le dernier chapitre d’une étude de cas mettant en exergue les défis et promesses du secteur électrique : l’Inde a ici été choisie comme illustration de la nécessité à la fois environnementale, démographique et économique de faire évoluer la production d’énergie électrique par l’alliance de la technologie et de la volonté politique.
Jean-Marc Guillier