Depuis fin 2011, la surveillance de la qualité de l’air intérieur est devenue une obligation légale dans l’ensemble des bâtiments recevant du public (ERP). Avant janvier 2015, les établissements recevant des enfants de moins de six ans (écoles maternelles, crèches) devraient avoir réalisé deux campagnes de mesure, avec et sans chauffage des locaux. Élus, responsables décideurs des collectivités, acteurs de la vie publique, architectes et maîtres d’ouvrage doivent donc dès à présent prendre en compte cette obligation et y apporter une réponse efficace et pertinente.
L’air intérieur constitue un axe fort de progrès en santé environnementale. Pourquoi ? « Car nous passons 70 à 90 % de notre temps dans un habitat fermé (domicile, transport, école ou lieu de travail, commerces, etc.) et que de nombreuses substances et agents sont présents dans nos bâtiments. Ces polluants proviennent d’origines diverses : émissions extérieures, mais surtout activités humaines (appareils à combustion et gaz d’échappement), matériaux de construction, mobilier, colles et produits de décoration, produits ménagers d’entretien… qui font de la qualité de l’air intérieur une préoccupation de santé publique », précise Suzanne Déoux, directeur associée de Medieco, et organisatrice du colloque « Défi Bâtiment & Santé ».
La pollution de l’air intérieur se caractérise par un ensemble de polluants d’origine chimique (composés organiques volatils (COV), oxydes d’azote et de carbone, ozone, ammoniac, etc.), biologique (moisissures, acariens, pollens), mais aussi physique comme les particules fines et le radon pour certaines régions. Elle touche toute la population, mais, au coeur de cette préoccupation, s’inscrivent les enfants, car très sensibles aux polluants, et donc leur milieu scolaire, avec 9 000 crèches et 17 000 écoles maternelles concernées d’ici au 1er Janvier 2015.
« Ajoutons qu’une étude de l’OQAI (Observatoire de la qualité de l’air intérieur) estime que les coûts sociaux et économiques sont de l’ordre de 19 Mds d’€ », précise le Dr Déoux.
En effet, selon la plupart des données toxicologiques et épidémiologiques, la pollution de l’air est notamment impliquée dans la genèse d’insuffisances respiratoires, de maladies cardiovasculaires, de l’asthme et de cancers. Pour illustrer l’ampleur de la question, une autre étude conduite par l’OQAI auprès de 310 établissements scolaires concluait à l’usage au total de 584 produits d’entretien ménagers différents, contenant 164 substances chimiques dont… la moitié classées irritantes.
Une mise en oeuvre progressive de la surveillance avec quatre échéances
- Avant le 1er janvier 2015 pour les établissements d’accueil collectif en crèche et maternelle.
- Avant le 1er janvier 2018 pour les écoles élémentaires (38 000 environ).
- Avant le 1er janvier 2020 pour les accueils de loisirs (33 000) et les établissements d’enseignement ou de formation professionnelle du second degré (17 000).
- Avant le 1er janvier 2023 pour les autres établissements (ERP).
Suzanne Déoux précise : « Les décrets organisent la surveillance de trois composés chimiques principaux : formaldéhyde, benzène et CO2 » :
- Le benzène qui est une substance cancérigène principalement issue de toute combustion (gaz d’échappement notamment), et qui fait partie de la famille des COV.
- Le formaldéhyde est une substance irritante pour le nez et les voies respiratoires, et classé cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 2004.
- Le dioxyde de carbone (CO2) qui est sans effet sanitaire durable, mais représentatif du niveau de confinement des locaux et donc également signe d’une possible accumulation d’autres polluants dans les locaux. Le CO2 entraîne une baisse de vigilance et de performances, une somnolence.
La surveillance à réaliser porte à la fois sur la mesure des teneurs de ces polluants, et sur l’évaluation du fonctionnement des moyens d’aération.
Sur ce second point, un représentant du ministère public a confirmé qu’un décret, à paraître sous peu, permettra de ne pas restreindre la vérification des moyens d’aération à des organismes accrédités Cofrac ; le personnel de la collectivité pourra donc effectuer cette vérification (test à la feuille de papier devant la ventilation et contrôle de l’ouverture des fenêtres et entrées d’air), ajoute Suzanne Déoux.
Il doit être effectué a minima deux séries de prélèvements réalisées sur 4,5 jours au cours de deux périodes espacées de 5 à 7 mois (dont une série en période de chauffe) pour le formaldéhyde et le benzène. Pour le CO2, il n’y a qu’une série de mesures pendant la période de chauffage, précise Jean-Charles Ponelle.
La stratégie d’échantillonnage est clé ainsi que la façon dont on traite les données
Une fois la relève des capteurs réalisée, nous les adressons à un laboratoire d’analyse (il y a environ 50 laboratoires accrédités Cofrac (liste des organismes accrédités sur le site Internet du Cofrac). L’intérêt de cette mesure, au-delà du résultat légal restitué, est l’expertise et le devoir de conseil qui doit accompagner les résultats en cas de dépassement. La valeur guide pour le formaldéhyde est de 30 μg/m3 et la valeur limite est de 100 μg/m3. La valeur limite implique une obligation d’agir et d’alerter le préfet selon le décret.
Mais, si nous relevons une concentration en formaldéhyde à 60 μg/m3 par exemple (et donc inférieure à la valeur limite de 100, mais significativement supérieure aux valeurs habituellement rencontrées dans ce type de locaux), nous conseillons une recherche des sources possibles d’émission.
Suzanne Déoux illustre un cas en crèche de valeurs supérieures aux seuils, qui a déclenché une expertise complémentaire pour identifier les sources : « Dans une crèche dans le sud de la France, hors contexte réglementaire, nous avions réalisé une première campagne de mesures assez complète (incluant benzène, formaldéhyde, mais aussi d’autres COV) à réception du bâtiment et avant la mise en place du mobilier et l’arrivée des enfants. Les résultats avaient été satisfaisants (< 10 μg/m3 en résultat sur le formaldéhyde). À l’issue de la seconde campagne de mesure, 6 mois après, les résultats pour le formaldéhyde étaient passés à 35 μg/m3 dans le dortoir et 25 dans la salle d’activité. S’est ensuivi un véritable travail de détective pour déterminer au final que les lits en mousse polyuréthane posés à même le plancher chauffant étaient la cause principale de cette augmentation. »
Deux types de solutions possibles
Selon l’Ademe, seulement 50 % des crèches sont équipées d’un système de ventilation et 15 % des écoles sont équipées… partiellement.
François Lavogiez, responsable d’exploitation chez Mydatec, complète : « Dans ce contexte, la problématique d’équipement en rénovation est donc majeure, et, pour avoir une bonne qualité de l’air intérieur, deux familles de solutions sont possibles » :
1) Les solutions de ventilation mécanique vont permettre d’assurer un renouvellement d’air suffisant, quand on en a besoin, c’est-à-dire avec un pilotage intelligent en fonction de l’occupation, des activités et de la teneur en CO2 par exemple, et surtout avec des débits d’air conséquents.
Les systèmes de ventilation mécanique sont nombreux : simple flux, double flux, double flux thermodynamique, couplés ou non à un système de chauffage et de rafraîchissement (CTA), etc. Mais l’important sera aussi dans le bon dimensionnement, l’équilibrage du réseau aéraulique et le choix des moyens de diffusion d’air. L’ensemble se doit d’être adapté au lieu avec une circulation d’air favorisant l’élimination des polluants, précise l’expert de Mydatec. Enfin, il est possible de rafraîchir en demi-saison sans climatiser en surventilant la nuit pour rafraîchir la classe avant l’arrivée des enfants.
En rénovation, les solutions locales, classe par classe, sont souvent privilégiées, car plus faciles à mettre en oeuvre, notamment au niveau des réseaux et des exigences coupe-feu ; elles sont pilotées le plus souvent en fonction de la température, de la teneur en CO2 et éventuellement COV.
L’efficacité de la filtration est importante, mais doit être adaptée en fonction de l’usage : y a-t-il une pollution extérieure forte ? Plus on filtre finement, plus il y a de pertes de charge et plus la consommation des auxiliaires de ventilation sera importante. En général, sur les entrées d’air, il faut au minimum un filtre F7, la haute filtration en entrée n’est pas toujours utile et entraîne des coûts d’exploitation et de maintenance non négligeables qu’il est nécessaire d’évaluer avant d’investir, complète François Lavogiez.
2) Second dispositif, les solutions d’épuration de l’air : « Le principe du purificateur d’air est simple ; il s’agit de filtrer l’air ambiant en permanence pour l’assainir », énonce Yves Bigay, directeur général de la société Ethera. Nous avons développé avec le CEA un système qui repose sur un matériau nano-poreux fonctionnantcomme une véritable éponge à polluants ; contrairement au filtre classique à charbon actif, les polluants sont retenus dans la structure moléculaire. Avec ce matériau, nous avons développé une offre de diagnostic « flash » permettant aux collectivités de faire des mesures rapides et d’entreprendre des actions en conséquence et ce avant le contrôle complet du décret qui ne pourra s’effectuer que de façon progressive. La ville de Grenoble a ainsi utilisé nos capteurs et a mis en évidence, par exemple, que l’ouverture de pots de colle la veille au soir de l’activité générait des pics d’émissions de polluants. »
D’autres villes sont d’ailleurs aussi dans cette démarche de sensibilisation : diagnostic flash bien sûr, mais aussi formation de sensibilisation aux impacts sanitaires et amélioration de la QAI auprès des services achats, des personnels enseignants et services d’entretien, etc. Signalons enfin l’appel à projet AACT’Air de l’Ademe, qui se rouvrira à l’automne pour accompagner les collectivités dans la mise en place d’actions de préservation et d’amélioration de la qualité de l’air intérieur.
Un enjeu global, à suivre
La qualité de l’air est un enjeu global pour le bâtiment ERP tant neuf que rénové : tout d’abord, depuis les matériaux constructifs (certains, comme Knauf, proposent des produits incluant un catalyseur pour la dépollution), en passant par un système de ventilation intelligent et bien dimensionné, et enfin avec un usage responsable et adapté (notamment avec des produits et mobiliers faiblement émissifs).
Nous reviendrons sur la QAI, car le renouvellement de l’air dans les bâtiments est un enjeu clé qui se doit d’être maîtrisé et adapté à l’usage du bâtiment pour apporter confort et qualité de l’air, mais aussi efficacité énergétique. « Une filière de la QAI est en cours de structuration, en 2020 son développement sera complet », conclut Yves Bigay.