j3e – Une plate-forme Datacenters existait déjà au sein du Gimélec. Pourquoi avoir créé ce comité de marché Datacenter ?
André Rouyer – En effet, nous avons une plate-forme Datacenter au Gimélec où sont regroupés des acteurs de l’infrastructure électrique, qui interviennent dans ce secteur au niveau des onduleurs, de la distribution, du monitoring… Mais le datacenter devient un écosystème à part entière, qui demande une approche beaucoup plus globale. Si nous voulons que la France se positionne sur ce secteur et fasse valoir son attractivité, nous devons travailler avec les autres acteurs qui interviennent dans ce domaine : les entreprises du cooling, de l’informatique, des télécoms, mais également les fournisseurs d’énergie, les sociétés de services… Les membres de la plate-forme Datacenters du Gimélec comprenaient cette problématique globale, bien sûr, mais ils étaient focalisés sur leur périmètre. Il faut aujourd’hui nous fédérer. La France est au 4e rang sur le marché mondial des DC, mais cela n’apparaît pas au niveau des institutions européennes où nous ne sommes pas suffisamment représentés dans les commissions de normalisation ou dans les projets menés et subventionnés par l’Europe.
Nous avons des experts de haut niveau, des compétences mondialement reconnues, mais nous travaillons de manière désorganisée. Combien de projets sont mis en place alors qu’ils ont déjà été lancés dans une autre région ou par un autre pays ? On réinvente parfois ce qui existe depuis des années, des projets sont menés puis mis de côté…
Travailler ensemble permettra d’adopter cette approche globale indispensable, de parler d’une seule voix pour porter le message de la France au plan européen et même international. Nos politiques doivent aussi comprendre l’intérêt de ce marché. Des actions ont été mises en place dans le cadre des 34 plans de la Nouvelle France industrielle, notre rôle est de montrer l’intérêt que représente cette « usine numérique » qu’est devenu le datacenter.
j3e – Comment se traduit concrètement cette opportunité économique ?
A. R. – Les statistiques montrent une croissance exponentielle du volume des données numériques, et cette courbe ne va pas s’inverser. Cela va exiger des capacités de transfert plus importantes, la taille des DC va devoir évoluer en conséquence. Ces usines numériques vont véritablement devenir le microprocesseur des smart cities, mais elles consomment beaucoup de ressources énergétiques. Ils ont un rôle à jouer dans la transition énergétique. L’idée, assez futuriste mais déjà à l’étude à travers plusieurs projets européens, est de créer un smart grid des datacenters au coeur des smart cities. En clair, il s’agit d’intégrer ces usines numériques dans les réseaux urbains (électrique, de communication, d’eau…) et de mutualiser leurs ressources énergétiques pour pouvoir transférer la charge en fonction de leur niveau d’activité. Il y a souvent beaucoup de redondance dans des DC de taille équivalente, on peut imaginer des mouvements de charges entre plusieurs DC d’une smart city pour lisser la pointe, pour utiliser des ressources décarbonées disponibles entre différents DC, l’énergie solaire, éolienne,hydraulique… car l’objectif visé par la Commission européenne, avant la réduction des consommations énergétiques, est la réduction des émissions de carbone : d’ici à 2030, 80 % des ressources énergétiques utilisées par les DC devraient être décarbonées. Bien sûr, il n’est pas question de prendre de risques, il faudra contractualiser ces échanges, garantir la sécurité de la data et la disponibilité électrique… Des solutions logicielles sont en cours de développement depuis plusieurs années et la Commission a déjà des velléités de fédérer des datacenters au niveau européen pour tout ce qui concerne les données non critiques (grand public). Elle subventionne actuellement plusieurs projets de R&D. Des projets, qui représentent chacun entre 6 et 7 M€ en moyenne, réunissent jusqu’à 30 personnes à temps plein pendant 3 ans. Ce n’est pas rien ! Des entreprises françaises participent à un projet sur le stockage et la gestion de l’énergie ; ce projet rassemble 7 partenaires majeurs dont le CEA, Eaton France, le Crédit suisse et Nissan, entre autres. C’est bien, mais c’est un projet, ce n’est pas suffisant, nous devons être plus présents.
j3e – Les acteurs de l’IT et ceux des télécoms, qui n’ont pas toujours les mêmes vues, ont accepté de se fédérer ?
A. R. – Je participe à des commissions de normalisation internationales, et je peux vous assurer que les acteurs américains du monde de l’IT sont proches de l’Europe. Ils ont certes un leadership incontestable en informatique, mais nous avons la compétence dans les télécoms et l’infrastructure électrique. Je dirai que nous sommes davantage dans une relation de complémentarité que dans une opposition, surtout face à l’Asie qui est très active et évolue beaucoup plus vite que nous. Les Coréens annoncent déjà la 5G quand nous avons du mal à déployer la 4G. Leurs gouvernements financent la R&D ; ils ont 2 000 personnes en recherche et une centaine en normalisation, chaque avancée technologique est normalisée dans la foulée. En France, nous ne sommes pas structurés de cette manière, les comités de normalisation, tel l’Afnor, n’ont pas d’activité en R&D… Nous devons surmonter ces difficultés en mettant nos forces en commun. Il faudra aussi nous entendre avec les acteurs des télécoms dans le sens où notre approche du réseau de communication et des datacenters est quelquefois différente. Nous devons être partenaires et non concurrents. Fédérer tout le monde est effectivement un challenge et c’est la raison pour laquelle, pour le moment, nous allons commencer par créer des liens, expliquer notre démarche, faire tomber les craintes et les suspicions. Il ne s’agit pas d’aller « piquer » le travail des autres, mais bien d’adopter un fonctionnement global et proactif, de faire en sorte que chacun prenne conscience de l’intérêt à s’engager dans un fonctionnement plus global. C’est en travaillant ensemble que nous pourrons tous tirer le bénéfice de cette usine numérique qui va devenir déterminante dans les années à venir.
Les 7 objectifs du nouveau comité de marché Datacenters du Gimélec
Le nouveau comité de marché Datacenters rassemblera les entreprises du Gimélec actives dans ce domaine. Il sera partie intégrante de la filière française et de l’ensemble de ses composantes : infrastructures de puissance et distribution électrique, du refroidissement, de l’IT, du logiciel, des réseaux et de l’efficacité des ressources. Il traitera des technologies et des services associés aux datacenters ainsi qu’à leur intégration dans les réseaux, en ciblant particulièrement les objectifs suivants :
• performance énergétique et environnementale des datacenters ;
• infrastructures des datacenters tant au niveau matériel que logiciel ;
• intégration des datacenters dans les réseaux d’énergies renouvelables ;
• réutilisation de la chaleur produite par les datacenters ;
• intégration efficiente des datacenters dans les smart cities et les smart grids ;
• sécurité des systèmes et des données ;
• participation aux groupes normatifs et industriels. Des partenariats seront noués entre le comité de marché Datacenters du Gimélec et l’ensemble des acteurs opérationnels du marché, ainsi que les organismes institutionnels, de recherche et universitaires concernés.
Propos recueillis par Pascale Renou