Il est difficile de savoir combien de bornes de recharge ouvertes au public étaient en service fin 2013. Arnaud Montebourg promettait en mars 2013 de passer de 5 800 à 8 000-10 000 à la fin 2013 avec un plan d’aide de 50 M€ du programme d’investissements d’avenir. Ces chiffres ne comptabilisent pas les bornes installées dans le résidentiel (particulier ou collectif) et les entreprises. Sophie Breton, directeur général d’Hager France, estime que « les ventes devraient doubler en 2014 avec une offre de véhicules électriques plus diversifiée due à l’arrivée de nouveaux constructeurs comme VW ou BMW ; elles pourraient atteindre 20 000 bornes. De plus, les constructeurs équipent leurs sites et parkings : ainsi, Renault va équiper 15 sites, soit 400 points de charge ». Pour les bornes installées dans les immeubles de bureaux et d’habitation, le développement viendra de la mise en application du « droit à la prise » de la loi de juillet 2011 : des installations électriques dédiées doivent pouvoir desservir au moins 10 % des places de parking. Applicable à tous les nouveaux immeubles depuis juillet 2012, ce décret s’appliquera à tous les immeubles anciens ou neufs au 1er janvier 2015. Mais, pour Vincent Brunel, responsable Véhicule électrique de Schneider Electric, « le marché n° 1 en 2014 sera celui des entreprises, et les installateurs doivent s’y intéresser ». Ces installations sur le domaine public ou privé vont développer les services, voire en générer de nouveaux, en particulier pour la gestion technique et financière de ces bornes.
Le conseil en amont est important avec l’audit de l’installation pour éviter les TGBT saturés, le mauvais choix du tarif et pour favoriser des recharges intelligentes avec une vision moyen/long terme de gestion et de maîtrise de l’énergie.
Vincent Brunel, Schneider Electric
Investir en compétences
Les services commencent souvent en amont du projet, par la définition du besoin en fonction du nombre de véhicules et de leur usage pour arrêter le choix des points de charge : nombre, mode de charge, puissance par point de charge. La seconde étape va passer par l’audit de l’installation électrique : puissance du point de livraison, puissance résiduelle pour les bornes, audit d’implantation. Ces points sont importants, note Jacky Dubuc, responsable Prescription et Grands Comptes, chez Hager. « Il faut aider au dimensionnement pour utiliser au mieux le tarif (bleu ou jaune), décaler éventuellement des recharges pour éviter de dépasser la puissance souscrite et avoir à augmenter cette puissance. » Ce que confirme Pascal Toggenburger, vice-président de la FFIE (1) : « Le conseil lié à l’installation est crucial ; en incluant bien la conformité aux normes, en particulier pour des installations quelquefois vétustes dans l’habitat ancien. Une borne ne se branche pas comme une machine à laver. Des formations sont d’ailleurs organisées en Régions, par la FFIE, à destination des installateurs électriciens, pour les sensibiliser à ces problèmes. » Des fabricants assurent également des stages de formation. Ainsi, Hager a formé plus de 650 entreprises et Schneider Electric annonce plus de 400 installateurs qualifiés. Ces entreprises auront la charge de ces mises en oeuvre, de l’artisan-installateur dans le résidentiel à l’installateur régional ou national pour les projets et appels d’offres conséquents. Les services ne s’arrêtent pas à la mise en service, ils restent importants pendant toute la vie de l’installation.
« L’utilisateur particulier ne tolère pas la panne de sa borne, qui pourrait l’empêcher de se déplacer ; il peut être prêt à s’intéresser à un contrat de continuité de service ou à un contrat de maintenance. Cette maintenance demande de l’expertise et une compréhension des réseaux, y compris chez le particulier. Il y a un marché pour la maintenance. »
Vincent Brunel, Schneider Electric
La maintenance est essentielle car « les bornes dans les espaces publics sont exposées aux dégradations ou à une mauvaise utilisation, explique Vincent Brunel. L’utilisateur particulier ne tolère pas la panne de sa borne, qui pourrait l’empêcher de se déplacer – c’est le cordon qui lui permet de rouler – et peut être prêt à s’intéresser à un contrat de continuité de service ou à un contrat de maintenance. Ce dépannage peut être fait par l’installateur, qui pourra disposer d’un outil de test multiborne. Cette maintenance demande de l’expertise et une compréhension des réseaux, y compris chez le particulier. Il y a un marché pour la maintenance. Et il ne faut pas oublier que la borne est aussi un organe de communication entre le réseau et le véhicule ». Un dépannage rapide nécessitera dans certains cas de disposer de sous-ensembles et l’assistance d’un télédiagnostic, mais les maîtres mots restent compétence et formation.
Le boom des services liés à la gestion des bornes et à la facturation
Pour Pascal Toggenburger, par ailleurs gérant de la société Park’nPlug qui commercialise des équipements de recharge pour l’habitat collectif, les entreprises et les collectivités, « les syndics de copropriétés ou les bailleurs sociaux sont demandeurs de services pour l’aide à la gestion et à la facturation des recharges : contrôle sécurisé des accès à l’immeuble et aux bornes (badge RFID-Vigik) et gestion des utilisateurs et des bornes, puis facturation individuelle des coûts de recharge avec possibilité de contrôle à distance des consommations ». Pour les bornes d’accès public, le groupement Gireve, créé en 2013 par EDF, ERDF, CNR, Renault et la CDC, va proposer des services pour faciliter l’usage de tous types de bornes pour arriver à une véritable interopérabilité comme dans le domaine des télécommunications. L’objectif est de constituer une plate-forme commune de gestion des données avec :
- localisation des bornes d’accès public via les services de navigation, smartphones ou Internet ;
- information sur leur disponibilité et possibilité de les réserver ;
- possibilité de payer la recharge, même lorsque la borne n’est pas exploitée par l’opérateur habituel de l’utilisateur.
De quoi favoriser l’électromobilité et augmenter l’usage des bornes. Vincent Brunel le souligne, « Gireve a des implications importantes pour le matériel par son contenu en technologie de l’information ».
Pour le paiement par une carte unique, Green Park a développé la carte rechargeable KiWhi Pass qui permet à l’utilisateur, à partir d’un compte crédité par carte bancaire et de sa carte sécurisée, d’utiliser toutes les bornes du réseau d’adhérents (Vinci Park ou Sodetrel, par exemple), les bornes de la plupart des constructeurs étant compatibles.
Le retour d’expérience est important
Les expérimentations et investissements réalisés ces dernières années pour des services d’autopartage, l’équipement d’entreprises ou de collectivités, l’équipement des concessionnaires automobiles (700 bornes de 22 kW chez Renault) mais aussi les particuliers, ont permis d’avoir de nombreux retours d’expériences et permettent de lister les améliorations à apporter ou les pièges à éviter. « Afin d’appréhender concrètement le marché des bornes de recharge, nous avons mené des projets avec différents constructeurs automobiles : Toyota à Strasbourg, BMW à Paris, Auto Bleue à Nice pour un projet d’autopartage 100 % électrique, explique Jacky Dubuc. Le bilan, au bout de 24 mois, rend compte de près de 4 300 adhérents qui profitent des 162 véhicules en libre-service et des 62 stations de recharge. »
Plusieurs enseignements ont pu être tirés de ces expériences, notamment concernant les questions d’ergonomie (attache du câble, interface homme-machine, parcours client…). Cela a permis d’identifier de potentiels dysfonctionnements (échauffements, raccordement au réseau…) et de mieux appréhender les différentes étapes de mise en place d’une infrastructure de charge depuis l’installation jusqu’à la maintenance. D’une façon générale, ces expériences auront permis d’approfondir la connaissance des systèmes de communication et de gestion de l’énergie dans le cadre de projets liés aux infrastructures de charge.
Et tous les partenaires sont d’accord : le conseil en amont est important avec, comme le souligne Pascal Toggenburger, l’audit de l’installation pour éviter les TGBT saturés, le mauvais choix du tarif et pour favoriser des recharges intelligentes avec une vision moyen/long terme de gestion et de maîtrise de l’énergie. On revient à la formation déjà évoquée car « ce n’est pas de l’électrotechnique de base, rappelle Vincent Brunel, il faut connaître le véhicule et ses particularités : certains d’entre eux peuvent être sensibles à des problèmes de réseau de terre ou de déformation de l’onde. Ce sont des problématiques qui demandent de l’expertise et de la compréhension des réseaux, y compris pour les installations chez les particuliers ». En 2014, c’est donc toute une filière électrique qui va être concernée par ce marché en fort développement, qui allie conseils et audits, équipements, travaux d’installation et tout un panel de services où l’innovation a encore sa place quelle que soit la taille de l’entreprise. Et cela devrait durer quelques années même si l’on n’atteint pas l’objectif des 4,4 millions de bornes en 2020.
Jean-Paul Beaudet
(1) Fédération française des entreprises du génie électrique et énergétique.
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AVIS D’EXPERT
JEAN-RÉMY GAD, directeur Mobilité électrique, groupe Citelum
Des investissements, des moyens supplémentaires en installation, exploitation, maintenance et gestion avec la coordination de nombreux acteurs.
Le développement du véhicule électrique doit passer par une offre publique de charge sur la voirie, dans les parkings et dans les espaces dédiés. La mise en place d’un tel service exige des villes ou des communautés, en plus des investissements, des moyens supplémentaires en installation, exploitation, maintenance et gestion avec la coordination de nombreux acteurs. Les services proposés commencent au niveau de la conception des stations mixant tout type de charge : des bornes à recharge lente (2 à 8 heures) pour la recharge de nuit ou en centre commercial, et dans les endroits de vie des stations de recharge rapide pendant un bref arrêt pour avoir 30 à 50 km d’autonomie supplémentaire. L’aide à l’implantation des stations est nécessaire et demande une parfaite connaissance du métier de la voirie, plus particulièrement dans des solutions d’autopartage pour tenir compte des dispositions légales (plan Vigipirate), de la sécurité des utilisateurs lors de la charge, de la protection des places dédiées à la recharge contre le stationnement abusif, du type de mobilier urbain à retenir, mais aussi en implantant les bornes en minimisant les travaux de raccordement au réseau ou la gêne au trafic pendant ces travaux. L’étude permet aussi de modéliser sur 10 ans les coûts d’investissement, d’exploitation, de maintenance, de facturation, pour trouver un équilibre économique selon différents modèles économiques. Elle peut aussi inclure la négociation avec le gestionnaire de réseau de distribution pour trouver les meilleures solutions d’implantation en fonction du réseau existant et des puissances nécessaires. Le projet TeleWatt, solution complète de recharge intelligente à partir du réseau existant d’éclairage public élaboré par Citelum et qui sera mis en oeuvre à Aix-en- Provence en 2014, est un exemple dans ce domaine. L’usager sera guidé vers la borne la plus appropriée grâce au maillage des installations, à la disponibilité du réseau d’éclairage, de jour comme de nuit, en utilisant une interface dédiée sur téléphone mobile.
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Bilan des expériences et perspectives pour 2014
La grande phase d’expérimentation que nous avons menée dans les années 2000, en partenariat avec des constructeurs, des fabricants de batteries, des équipementiers et des collectivités, avait pour objectif de préparer le lancement du marché. Ces expérimentations nous ont donné des retours d’expériences techniques et sociologiques (sur les comportements des usagers notamment) qui ont été précieux pour notre développement commercial.
L’erreur à ne pas commettre serait de vouloir calquer les usages du véhicule électrique sur ceux du véhicule thermique. Conduire une voiture électrique est une façon de se déplacer totalement nouvelle. Cela implique que l’on ne recharge pas sa voiture électrique comme on fait le plein. On ne s’arrête pas pour recharger son véhicule, mais on recharge son véhicule quand on est arrêté (95 % du temps !). Il ne s’agit donc pas de déployer des quantités considérables de bornes n’importe où et de n’importe quelle puissance, mais d’en déployer un nombre compté, en des endroits judicieusement choisis, là où les véhicules stationnent longtemps de manière naturelle. D’où l’importance des audits et études d’implantation. Dans le domaine de la mobilité électrique, la qualité de service est directement liée au niveau d’information que les bornes de recharge fournissent. Elles doivent donner accès à toutes les informations et services dont l’usager peut avoir besoin : disponibilité des bornes, vitesse de charge, places disponibles en parking, accès au paiement, points d’intérêt locaux, etc. Autre axe de progrès : l’interopérabilité des bornes. Tous les modèles de voitures électriques doivent pouvoir se recharger sur toutes les bornes de recharge, de tous types et de toutes marques, si possible dans toute l’Europe. Chez Sodetrel, nous avons anticipé cette exigence. Notre système de supervision est dit « ouvert », ce qui veut dire qu’il peut intégrer toutes les nouvelles bornes, quelle que soit leur marque. En outre, les exploitants de bornes, avec l’aide du projet Gireve, travaillent à un accord pour permettre, avec un badge unique, d’accéder au plus grand nombre de points de charge.
Enfin, la véritable révolution de 2014 pourrait être le développement massif de recharges rapides sur l’ensemble des grands axes nationaux et européens (autoroutes, nationales) ou sur des noeuds routiers, permettant aux véhicules électriques de franchir le cap du local pour devenir de véritables « véhicules intercités ».
Michel Couture, P-DG de Sodetrel, filiale à 100 % d’EDF.