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Colloque CSEEE-GCCP

Messieurs Aimon, Fillon et Tuffier

Positiver était le mot d’ordre des organisateurs du colloque CSEEE-GCCP, le 16 octobre dernier, à Paris. C’est peut-être la raison pour laquelle Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) a ouvert les débats avec une remarque encourageante : « La croissance est bien là, les indices sont en train de repartir. Tous les pays (Espagne, Grèce, Portugal, Irlande) qui ont fait un effort de compétitivité, et d’énormes sacrifices sur les dépenses publiques et le coût du travail, commencent à voir des signes de reprises », a-t-il affirmé.

Reste la France, où la situation est « plus compliquée », selon le vice-président du Medef, parce que les différents secteurs économiques ne sont pas touchés de manière égale par la crise. L’aéronautique se sent pousser des ailes, quand le secteur automobile s’enlise. « Mais il ne faut pas se tromper, prévient-il. Sans réforme majeure, sans efforts significatifs sur la fiscalité et le coût du travail, la reprise technique sera faible et ne s’accompagnera pas d’une reprise de l’emploi. »

« Nous sommes sur des taux de croissance quasi nuls et ils seront faibles en 2014, même si le gouvernement et les indicateurs Insee donnent des signes de croissance de 0,9 %, a renchéri le président de la CGPME, Jean-François Roubaud. S’il y a effectivement des signes de reprise dans certains secteurs (technologies de pointe en particulier), 66 % des chefs d’entreprise déclarent limiter l’investissement et l’embauche. »
Ceux qui s’en sortent sont les grandes entreprises qui innovent ou qui font leur chiffre à l’international. Pour le président de la CGPME, l’innovation est une voie de sortie de crise. « Il y a des progrès fantastiques dans le bâtiment, il faut les utiliser sachant que la reprise ne sera pas rapide. Il faut aussi aller chercher des points de croissance ailleurs. »
À l’export ? Pas si simple : la plupart des entreprises française comptent moins de 20 personnes. « Pour une petite entreprise, se placer sur des marchés européens passe par l’innovation, mais il ne faut pas se faire d’illusion, a tempéré Jean-François Roubaud, si vous n’avez jamais traité à l’international, vous pouvez vraiment vous prendre les pieds dans le tapis. »

Le vrai problème, selon le président de la CGPME, est le niveau des marges qui plafonne à 27 %. « C’est 12 points de moins qu’en Allemagne. Comment être compétitif pour avoir des réserves, investir et créer de l’emploi, surtout lorsque les règles du jeu changent constamment et n’offrent pas de vision claire aux chefs d’entreprise. Même ceux qui gagnent de l’argent le mettent de côté et attendent de voir comment le vent va tourner », s’est-il agacé, en appelant à moins de charges sociales et un financement de la protection sociale qui ne repose pas uniquement sur les salaires. Sur ce point, les représentants du Medef et de la CGPME ont rappelé qu’ils entendent mettre la fiscalité à plat pour retrouver un niveau de marge acceptable. « Si nous trouvons le chemin politique pour convaincre l’opinion et obtenir un cadre législatif stable pour les prochaines années, alors l’économie pourra repartir très vite parce qu’il y a un formidable tissu d’entreprises en France, a assuré Geoffroy Roux de Bézieux. Nous recevons plus de 1 000 dossiers par an de jeunes entrepreneurs et il faut être courageux, quand vous avez 25 ans, pour monter une entreprise en France. Ce qui nous frustre tous est que cette énergie française est bridée. »

Les deux représentants patronaux ont déjà eu quelques succès, notamment le retrait de la taxation EBE inscrite dans la loi de Finance 2014 : « Nous avons réussi à obtenir que les entreprises ayant un CA < 50 M€ ne soient pas touchées par ce projet de taxation parce qu’elles sont au taquet et ne peuvent plus supporter toutes ces taxes, s’est félicité Jean-François Roubaud. Quant aux grandes entreprises, ce projet EBE est catastrophique pour l’investissement. »

Comment aborder l’avenir avec confiance ?

Pour autant, le président de la CGPME a reconnu qu’il y a du travail et que « si beaucoup se plaignent, ça ne va pas si mal ». Mais il faut prendre les bonnes mesures pour que la filière se désenglue de la réglementation qui bloque et empêche d’avancer vite. « Pour la première fois depuis 1 ou 2 ans, nous sommes face à un gouvernement qui commence à réaliser qu’on ne s’en sortira pas sans prendre en compte les PME parce qu’elles ne délocalisent pas et qu’elles créent de l’emploi, a-t-il ajouté. Il y a une vraie volonté des pouvoirs publics d’aider les PME, mais il y a tous les combats politiques. Dans les négociations sur la fiscalité, il va falloir trouver un chemin acceptable pour eux qui soit un progrès et une baisse de charges pour nous. »

Face à cette vision macroéconomique, difficile d’espérer des perspectives mirobolantes pour la filière du bâtiment en 2014. Sans disposer de tous les chiffres, le représentant de la FFB qui est intervenu alors l’a confirmé : « Après une année 2012 en recul de 1,2 % en production, nous avions prévu une baisse de 3,5 % en 2013, a exposé Jacques Chanut. Finalement, le recul devrait être de l’ordre de 2,6 %. » Le logement, qui représente 2/3 de l’activité bâtiment, reste un critère fort de l’activité de la filière, et sur ce point, le secteur du neuf (45 % de l’activité logement) a subi une baisse importante, même si elle est moins massive que prévu, a analysé le vice-président de la FFB. « Ce qui nous étonne beaucoup est la capacité de résistance du bâtiment dans le contexte actuel. » Deux éléments l’expliquent, selon lui :
– le moral des entrepreneurs, qui sont habitués aux cycles du bâtiment et sont optimistes par nature ;
– le plan de relance de 2008, très ciblé sur le secteur du bâtiment, qui a permis de maintenir un peu l’activité.
Mais le représentant de la FFB ne cache pas qu’il y a « des signes importants d’affaiblissement des entreprises : la profitabilité a été divisée par 2 et la trésorerie par 3, tandis que les délais de paiement des fournisseurs ont baissé et ceux des clients ont augmenté ». En clair, malgré un volume d’affaires qui ne paraît pas si catastrophique, les prix s’effondrent et il n’y a plus de corrélation entre le niveau des prix et le niveau d’activité.
Selon la FFB, cette baisse des prix s’explique aussi par la main-d’œuvre étrangère, détachée sur les chantiers français pour répondre à des prix d’appel d’offres très bas. « C’est un poison mortel dans nos professions, qui peut mettre en danger notre modèle social », a alerté Jacques Chanut.

Pour 2014, le vice-président de la FFB a annoncé la tendance : « Même s’il faut rester prudent avec les chiffres que l’on nous donne, nous ne nous attendons pas à une reprise en 2014, en particulier dans le neuf. La rénovation, en revanche, devrait être soutenue, grâce au taux de TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation énergétique. » Une certitude, selon le syndicat : les pertes d’emplois vont continuer du fait d’une inadéquation entre le volume d’affaires et le nombre d’emplois ; certains entrepreneurs vont continuer à ajuster leur outil de production et continuer à licencier.

Un nouveau positionnement du bâtiment

Pour autant, le bâtiment n’est pas en perdition, il a même de l’avenir : « Peu de secteurs économiques ont une telle assurance d’exister à long terme », a rappelé Alain Maugard. Le président de Qualibat a présenté une vision prospective qui pose le secteur du bâtiment sur des trajectoires pour le moins « constructives » :
– le bâtiment comme solution à la question énergétique par l’immense gisement d’économies qu’il représente et parce qu’il va devenir producteur d’énergie ;
– le chantier du bâtiment qu’il faut adapter pour répondre aux problématiques de l’allongement de la durée de vie et du maintien à domicile ;
– le bâtiment comme supplétif aux hôpitaux grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC).
« Ces 3 grands traceurs de la prospective vont élargir le champ du bâtiment pour en faire un objet de la transition énergétique. Mais la question du bâtiment est aussi celle du quartier et des villes pour lesquels il y aura des solutions à ces échelles, a-t-il complété en s’adressant alors directement, et légèrement accusateur, au représentant du Medef, Geooffroy de Bézieux : Dans la transition énergétique, vous avez privilégié les producteurs d’énergie centralisée et pas le champ de l’économie territoriale avec des productions localisées d’énergie. C’est pourtant tout aussi important, cela crée de l’emploi, peut-être même des PME, des champs d’innovation… »

Reste la compétence : « Est-ce qu’on est bon ? Interroge Alain Maugard avant de donner sa réponse : La compétence est un devoir ; on n’a jamais vu un secteur qui se modernise et qui n’a pas besoin de formation. Ancrer dans les métiers du bâtiment qu’il y a cet effort d’acquisition de la compétence et que cela mérite une qualification est essentiel. »
Sur ce point de la formation, Jean-Luc Tuffier, président de la CSEEE a évoqué le projet « Éco-campus » issu du rapprochement avec le GCCP. L’idée est de trouver un site, en Île-de-France, où implanter un bâtiment RT 2020 dans lequel apprentis et salariés pourront se former aux métiers de l’efficacité énergétique de demain, mais également apprendre à travailler ensemble, les professionnels du génie climatique et de l’électricité étant de plus en plus souvent amenés à collaborer dans la perspective de la convergence des métiers. Dont acte.

Défendre la voie de l’apprentissage
Dans le temps consacré aux questions/réponses, a été évoqué le problème de l’apprentissage et du manque de compétences. Le gouvernement, en retirant les aides à l’apprentissage pour les entreprises de plus de 20 salariés et en ne les conservant que pour les entreprises de moins de 10 apparaît totalement incompréhensible pour les professionnels du secteur du bâtiment.
Alors que l’apprentissage est une voie pour les jeunes qui n’ont pas fait de grandes écoles, cette mesure rend plus difficile encore leur placement en entreprises, surtout en période de crise. Le président de la CGPME a annoncé qu’une action serait entreprise pour revoir cette mesure « complètement paradoxale », selon Geoffroy de Bézieux : « Les pouvoirs publics sont favorables à l’apprentissage et ils suppriment les aides, a-t-il ironisé. En Suisse, 70 % des jeunes passent par la voie de l’apprentissage et pour eux, ce n’est pas un aveu d’échec, c’est une voie normale de formation professionnelle. » Illustration d’une autre dimension culturelle qui n’est pas ancrée en France où cette orientation n’est pas valorisée.

L’économie accélère et l’Éducation nationale ne suit pas. « Le problème, lorsque l’on veut faire une nouvelle formation, est qu’il faut passer par le ministère de l’Éducation nationale. Ça prend 10 ans, et quand la formation est en place elle est obsolète. Si l’on pouvait mettre en place, dans nos CFA, les formations en adéquation avec les besoins de nos entreprises, nous serions 100 fois plus efficaces. Nos organisations professionnelles ont un gros travail à faire pour faire passer ce message. »
Jean-Luc Tuffier, CSEEE

François Fillon

Un train de mesures sous forme d’électrochoc
La dernière partie du colloque CSEEE-GCCP portait sur la vision politique de la relance économique. Invité d’honneur de ces rencontres, François Fillon a livré son analyse de la situation, suggérant toute une série de pistes de réformes pour sortir le pays de la crise dont il affirme qu’elle n’est pas conjoncturelle. « Depuis 15 ou 20 ans, l’économie européenne décline tout doucement, perd des parts de marché dans le monde. Parce qu’ils ne sont pas conscients ou ne veulent pas l’être, les Européens n’ont rien changé à leurs habitudes. Ils continuent à dépenser autant et de la même manière alors que leurs revenus sont moins importants ; alors, ils s’endettent. Ça ne peut pas durer. »
Dans le vaste train de mesures proposé par l’ancien Premier ministre :
– une coupe claire dans les emplois de la fonction publique, au niveau des collectivités et de l’État, parce que « personne ne sait réduire la dépense publique sans diminuer la dépense principale qui est la masse salariale » ;
– la suppression de la durée légale du travail « pour donner aux entreprises une marge de manœuvre significative en fonction de leurs contraintes, des secteurs… » ;
– l’allégement du coût du travail et l’élargissement des bases fiscales « pour que tout le monde paye un peu d’impôt » ;
– une réforme de la formation professionnelle « pour être au service des besoins des entreprises » et un soutien à l’apprentissage ;
– une déréglementation en matière d’urbanisme et de construction.

« Quand on parle de “passer le rabot sur la fonction publique” on pourrait penser que c’est stupide, mais je crois que si vous n’avez pas une baisse simple et brutale des dépenses publiques, vous n’avez aucune chance d’atteindre vos objectifs. »
François Fillon

François Fillon s’est également largement exprimé sur la question du logement, en particulier la garantie universelle des loyers qui lui paraît dangereuse parce qu’elle déresponsabilise le locataire et ne fera qu’accroître la pression fiscale par un impôt supplémentaire de 2 %. Il a proposé un nouveau modèle économique favorisant notamment l’investissement dans la construction, davantage de mobilité dans le parc HLM et un nouveau cadre juridique dans lequel le propriétaire renoncerait aux garanties à l’entrée (caution) en échange d’un délai de préavis plus court.

Défendre l’idée d’une « place forte européenne »
Enfin, à Jean-Luc Tuffier qui pointait l’impact pernicieux de la directive Bolkenstein autorisant des étrangers à venir travailler en France à des coûts qui ne sont pas les nôtres, l’ancien Premier ministre a admis le risque de déstabilisation du marché du bâtiment tout en plaidant pour une Europe unie et harmonisée : « Je pense que l’Europe est notre avenir. Si nous la laissons se déliter, nous allons être emportés par la mondialisation et nous deviendrons un pays vieillissant. Ce serait l’accélération du déclin. Il faut au contraire reconnaître que quelques pays européens ont vocation à mettre en œuvre un espace beaucoup plus intégré où la fiscalité serait identique, les conditions sociales comparables. Il faudra peut-être 10 ans pour y arriver, mais il faut y aller. Cela suppose de convaincre l’Allemagne, d’accepter une nouvelle autorité et de partager des éléments de notre souveraineté. Les Allemands sont pour l’Europe, mais si elle devait prendre fin, ils pourront se construire une aire d’influence. »
Pour François Fillon, il faudrait défendre l’idée d’une « place forte européenne » : « Quand vous partez à la conquête du monde, vous partez avec une base assez protégée. Cette place forte européenne ne peut pas se faire à 28, mais à 5 ou 10 pays qui défendent une monnaie unique et veulent s’engager dans le système. Ce pourrait être aussi une façon d’approcher la réglementation, car pourquoi serait-elle différente entre la France et l’Allemagne ? J’ai connu un échec cuisant quand j’étais aux affaires, a-t-il illustré, nous n’avons pas été capables de trouver une prise de recharge pour le véhicule électrique qui soit identique pour la France et l’Allemagne. Il y avait pourtant une volonté gouvernementale mais on n’y est pas arrivé. »

P.R.

(1) CSEEE : Chambre syndicale des entreprises d’équipement électrique de Paris et sa région.
(2) GCCP : Syndicat des entreprises de génie climatique et de couverture plomberie.

 

Comment gérer l’excès de réglementation ?
« La crise est telle qu’il faut accepter un certain sacrifice pour avoir des résultats et aller au bout des choses, a martelé François Fillon. L’ancien Premier ministre a avancé plusieurs idées pour alléger la réglementation française devenue insupportable pour les professionnels du bâtiment, notamment celle de ne pas pouvoir changer une règle fiscale moins de 5 ans après qu’elle a été édictée. Selon lui, l’administration est incapable de générer une politique de déréglementation, « cela va contre ce qu’on lui a toujours demandé de faire, c’est contre sa nature », a-t-il affirmé. Il a donc proposé que ce travail soit fait par les professionnels : « Ils vous arrivent souvent, individuellement, de vous opposer à une déréglementation parce que vous considérez que cette réglementation-là est bonne pour vous », a-t-il pointé en s’adressant au parterre de professionnels assis dans la salle. Cette déréglementation par les professionnels aurait l’avantage de les engager sur un terrain qui fait rarement l’unanimité.

L’Île-de-France, une région à part
Au milieu de la crise, l’Île-de-France s’en sort un peu mieux que le reste du pays. Le chômage y est de 9 %, contre 11 % en moyenne pour le reste de la France. Si les carnets de commande sont moins impactés, des problèmes sérieux demeurent, comme dans le logement et les transports. Selon Patrick Aimon, président du GCCP, la région n’a jamais enregistré autant de faillites d’entreprises.
Autre spécificité de l’Île-de-France, évoquée par Jacques Chanut, vice-président de la FFB, le nombre insuffisant de constructions de logements neufs. « Les ratios sont explicites : 3,6 logements construits pour 1 000 habitants en IDF contre 7,2 en Rhône-Alpes ; 50 000 logements neufs sont construits chaque année quand il faudrait en construire 100 000. »
Par ailleurs, l’IDF est en première ligne face au détachement sur les chantiers d’une main-d’œuvre étrangère qui vient en concurrence du modèle économique français.
« L’Île-de-France est une des régions les plus en retard en matière d’adaptation des institutions locales à l’évolution de la société, a noté pour sa part François Fillon, lors de son intervention. Nous avons poussé les territoires à se rassembler parce qu’ils doivent, à terme, aboutir à des entités à part entière qui se substituent pour une large part au découpage communal. En IDF, qui rassemble des zones riches, personne ne veut partager et le retard de coopération est énorme. L’idée du Grand Paris était de bousculer le système en rassemblant les gens autour d’un projet ; celui d’une grande capitale mondiale. »

Geoffroy Roux de Bézieux

« Un entrepreneur est quelqu’un d’optimiste par définition. Il se lève le matin avec l’envie de trouver des clients et de développer son CA, mais il faut être lucide : on risque d’avoir une croissance molle pendant des années si on ne fait pas les réformes nécessaires. »
Geoffroy Roux de Bézieux, Medef

« Karine Berger, députée des Hautes-Alpes et secrétaire nationale à l’Économie du PS, porte un amendement concernant un impôt sur les sociétés qui serait de 15 % pour les PME ayant un CA < 50 M€ au lieu des 33,33 % actuels, la moyenne pour les grandes entreprises étant de 18 %. Cette proposition d’optimisation est une bonne chose. »
Jean-François Roubaud

Filière 3e: