Interview de Jean-François Arnaud (Atelier du son et lumière)
JEAN-FRANCOIS ARNAUD (Atelier du Son et Lumière)
Qu’y a-t-il de commun entre le château de Chenonceau, l’acropole d’Athènes et les sites antiques de Karnak, en Égypte, et de Persépolis, en Iran ?
La réalisation, dès 1953, de spectacles son et lumière par Pierre Arnaud. Trente ans plus tard, rejoint par son fi ls Jean-François, ils réalisent ensemble le son et lumière de la Citadelle, à Jérusalem, premier spectacle de ce type à avoir utilisé le pilotage numérique en temps réel(1).
Une douzaine d’autres réalisations suivirent dont le son et lumière du Pegasus Bridge, à Bénouville. En janvier dernier, en témoignant de la vitalité de ces spectacles pérennes, Jean-François Arnaud crée, avec son fils Thibault, l’Atelier du Son et Lumière. Trois générations plus tard, travaillent-ils à la même lumière ?
(1) En collaboration avec l’informaticien Thierry Arnaud, autre fils de Pierre.
Lumières – L’expertise de votre père, Pierre Arnaud, porte, depuis une cinquantaine d’années, sur la création de spectacles son et lumière. Avec votre fils, Thibault, vous venez de créer l’Atelier du Son et Lumière. Que représente pour vous, aujourd’hui, cette discipline ?
Jean-François Arnaud – Un spectacle son et lumière reste une représentation nocturne, généralement réalisée en plein air, sur un site où s’est réellement déroulée son histoire. En résumé, il s’agit d’un roman théâtralisé où musique et effets sonores, le plus souvent enregistrés, sont synchronisés à des jeux de lumière, projections et autres effets spéciaux (pyrotechnie, hologrammes laser, vidéo mapping…). Au regard des moyens mis en œuvre, la création d’un son et lumière demande une durée minimale de 6 mois d’étude et de préparation.
On peut toutefois regretter que, aujourd’hui, l’appellation « son et lumière » soit vulgarisée. Pour « M. Toulemonde », il s’agit de n’importe quel spectacle nocturne. Pour nous, nous nous appliquons à transmettre l’histoire et l’ambiance du site en choisissant les justes moyens techniques permettant de susciter auprès des spectateurs, comme s’ils en étaient les témoins. Avec la lumière, on plante le décor. Avec le son, on crée le spectacle. Avec la voix, on évoque. Ce qui nous oblige notamment à mixer parole, bruitage, musique et à piloter le tout numériquement afin que l’exploitant « n’ait à appuyer que sur un simple bouton » pour lancer son spectacle.
Lumières – Dès 1974, votre frère Thierry, informaticien intervenant dans l’univers des radios, s’est intéressé au développement de la gestion électronique de vos spectacles pour, en 1983, participer à Jérusalem à la réalisation du premier son et lumière piloté en temps réel. Quelle place occupe, aujourd’hui, la numérisation dans vos projets ?
J-F. A. – De 1967 à 1986, parallèlement à sa fonction de directeur artistique au sein du département Grands Projets de Philips, mon père a créé ECA en 1967 (Études et Créations d’Ambiances) dont il a également assuré la direction. Au sein de cette entité dédiée aux spectacles son et lumière, a été créé le département ECA2 notamment animé par Yves Pépin, Yves Devraine et mon frère Thierry. Dès 1974, cette structure est devenue autonome(2) pour assurer la création et la production d’événements et de spectacles multimédia sous le nom d’ECA2… dont le fameux spectacle de la tour Eiffel organisé pour le passage à l’an 2000.
En 1983, date au cours de laquelle j’ai rejoint mon père au sein d’ECA, c’est à la Sarl ECA2 que fut confié le pilotage numérique temps réel du son et lumière de la Citadelle, à Jérusalem… Ce qui a représenté une première informatique à porter au crédit de Thierry et de son équipe. C’est ce savoir-faire que l’on développe toujours aujourd’hui en y associant les nouvelles technologies.
Lumières – Vous préférez l’appellation de « metteur en ambiances » à celle de concepteur lumière. Pourquoi ?
J-F. A. – Peut-être en raison de mon enfance bercée sur Europe 1, de 1956 à 1960, par le fameux « Et de qui la mise en ondes ?… De Pierre Arnaud de Chassy-Poulay ! »(3) Faut- il rappeler aux jeunes générations qu’il s’agissait de la conclusion quotidienne des 1 034 épisodes du feuilleton radiophonique « Signé Furax » créé par Pierre Dac et Francis Blanche… et dont l’une des 5 saisons s’est intitulée « La lumière qui éteint »(4).
De la « mise en ondes » à la « mise en lumière », il n’y a donc qu’un pas à franchir pour prolonger la création d’ambiances. Pour moi, bien qu’une appellation générique soit indispensable pour singulariser le métier, c’est la valorisation de notre savoir- faire qui importe.
Dans ce contexte, je préférerais la notion d’artisan. Ce professionnel, riche de son savoir-faire et de son expérience, conçoit en permanence, puis réalise avec sa petite équipe chacun de ses projets, jusqu’à leur achèvement. Dans certains cas, cette notion se rapproche de celle de l’artiste qui joue essentiellement sur l’émotion mais quelque- fois sur la provocation gratuite.
Lumières – Vous refusez de répondre aux appels d’offres. Pourquoi ?
J-F. A. – Nous ne refusons pas d’y répondre lorsque c’est justifié, mais nous évitons d’y répondre pour gagner du temps et ne pas devoir nous expliquer devant des gens qui ne reconnaissent pas notre métier et nous affirment que nous manquons de références ou que notre méthodologie n’est pas la bonne. Par délicatesse, je ne donnerai pas de noms ! De plus, la « loi MOP » (5), relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée a desservi le développement des spectacles son et lumière puisque les deniers publics n’ont plus été attribués aux artistes. Nous vendons du « bon sens » à ceux qui sont attachés à cette valeur. Pour notre type d’activité, la procédure de l’appel d’offre manque, quant à elle, de « bon sens ». C’est pourquoi nous n’y répondons pas ! Il y a de nombreuses autres possibilités légales, moins coûteuses et plus efficaces que les appels d’offres pour monter une création artistique ou un son et lumière.
// Propos recueillis par Jacques Darmon
(2) En 2002, ECA2 a rejoint le groupe Publicis Events Worldwide. L’agence est dirigée, depuis 2008, par Christophe Canizares.
(3) Pierre Arnaud de Chassy-Poulay est le pseudonyme « radio » choisi par Pierre Arnaud.
(4) Une étrange lumière bleue, qui éteint les volontés des habitants, émise par la centrale hydraulique de Morzy-les-Gaillardes.
(5) Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 dont la dernière version a été « consolidée » le 9 décembre 2010.