Retour sur les débats du colloque Cseee du 12 octobre 2011.
Jusqu’en 2007, le monde connaissait une croissance de 5 % par an. La violence de la crise à l’automne 2008 a été particulièrementimportante dans l’industrie avec, en quelques mois, une chute de la production de plus de 20 %, qui a particulièrement fait souffrir les PME. La croissance mondiale a reculé de 0,5 % en 2009, mais les effets de la crise se sont révélés différenciés selon les régions du monde. Touchée de plein fouet, la zone euro a vu ses perspectives de croissance pour 2011 et 2012 s’assombrir. Certaines PME se tirent encore bien de la situation. Cependant, la conjoncture laisse présager des ruptures très violentes avant 18 mois.
Secousses européennes
L’Europe est devenue un espace économique ouvert, sans réciprocité, sans gouvernement économique, ni politique de change, ni gouvernement stratégique, à la différence des États-Unis.
Selon Christian Saint-Étienne, favorable à une fédération européenne resserrée, pour que la monnaie unique fonctionne, la zone doit avoir trois éléments caractéristiques d’un État intégré : un gouvernement économique, un budget fédéral et un encadrement de la concurrence sociale et fiscale entre les États. La crise grecque a révélé les problèmes de conception de la zone euro et ses disparités internes entre la zone euro Sud et la zone euro Nord qui développent des politiques opposées. La cassure est possible. La France se trouve dans une situation financière difficile et ne respectera sans doute pas ses objectifs de réduction des déficits publics.
Les PME et leurs clients
Les témoignages des entrepreneurs font émerger la notion de risque client, autour de la question de la trésorerie et des délais de paiement. Entre autres solutions ressortent le factoring, mais il n’est pas adapté à tous les acteurs, l’étude de la solvabilité des clients et la répartition des risques entre les différents clients. Dans le secteur public, où l’on relève chez certains acteurs des délais de paiement très longs, les PME doivent continuer à se positionner en appliquant le même traitement de réduction des risques qu’au privé. Construire une base de données collective sur les acteurs publics pourrait être une piste.
PME, banques et incertitudes
Une étude a été réalisée à partir des bilans des entreprises de BTP, clientes de BTP Banque. Elle aboutit à des conclusions préoccupantes. Le chiffre d’affaires a beaucoup reculé en 2009 avant de remonter dans une moindre mesure en 2010. Les délais de paiement n’ont cessé de croître pour les clients alors que ceux des fournisseurs ont diminué, et cela touche particulièrement le second oeuvre et les entreprises d’équipement électrique. Côté trésorerie, les crédits court terme se développent actuellement. Par ailleurs, les charges de personnel par rapport à la valeur ajoutée ont augmenté de près de 10 %, entraînant une véritable dégradation des trésoreries. La profitabilité moyenne des entreprises a diminué et, en 2010, 20 % des entreprises de gros oeuvre enregistrent des pertes, contre 5 % en 2008. Les entreprises doivent veiller au niveau de leurs fonds propres, ainsi qu’à la liquidité de leur trésorerie. L’accumulation des contreperformances menace les entreprises les plus faibles et risque d’impacter ensuite des entreprises établies.
Les banques sont elles aussi touchées par la crise, ce qui complique le financement à long terme. D’autant plus que les collectivités locales sont endettées.
Cette situation va entraîner la nécessité pour les banques de produire des résultats et d’en mettre une partie significative en réserve pour assurer leur développement. Elles procéderont sans doute à un ciblage de clientèle plus fin pour une meilleure dévolution des fonds propres, ce qui risque d’aboutir à un désengagement des banques sur le marché des PME. Les banques vont également revaloriser leurs marges. Une véritable bataille s’engage pour respecter les nouvelles contraintes en matière de liquidité. La période à venir s’annonce donc pleine d’incertitudes. Les banques sont méfiantes par nature. Il serait ridicule de trop attendre d’elles. Les réformes de la taxe professionnelle et de la TVA et l’augmentation des moyens d’Oseo et du Fonds stratégique d’investissement ont montré l’importance du rôle des pouvoirs publics. Il paraît crucial de mieux coordonner les outils de soutien aux PME et d’augmenter leurs moyens. Il faut aussi encourager le développement de fonds régionaux de soutien aux PME. Les banquiers ne représentent qu’une troisième étape après le renforcement des fonds propres et la mise en place de structures publiques de soutien.
La taille des entreprises en question
Dans le secteur du BTP, PME et grands groupes peuvent se trouver en concurrence directe. Afin de réduire leurs risques, les De gauche à droite : Amaury de Pommereau, Jean-Luc Tuffier, Éric Bétrancourt, Laurent Vronski, Emmanuel Gravier, Patrice Renault-Sablonnière. Christian Saint-Étienne, économiste universitaire et analyste politique. grands groupes sont passés d’une logique de projets à une logique de récurrence et de fidélisation proche de celle d’une PME. Leur modèle économique consiste à assurer un maillage géographique le plus serré possible, par exemple en rachetant des PME. De ce fait, il existe une continuité culturelle entre grands groupes et PME.
Cependant, il manque aujourd’hui la charnière entre PME et grand groupe, c’est-à-dire l’entreprise intermédiaire, nettement plus répandue en Allemagne qu’en France. La question de la levée des freins à l’augmentation en taille des PME paraît cruciale pour relancer la croissance. La France manque d’un tissu dense de grosses PME. Les petites PME ont du mal à grandir ou sont rachetées par de grands groupes. Les 25 dernières années jusqu’à la crise ont vu la création de 2,5 millions d’emplois. Or les entreprises de plus de 250 salariés ont détruit 400 000 emplois sur la même période. On estime qu’un million d’emplois supplémentaires seraient nécessaires pour sortir de la crise. Il faudrait 10 000 entreprises de 300 salariés pour créer de l’emploi et relancer les exportations.
Les seuils sont fixés à 10 salariés pour l’instauration de délégués du personnel et à 50 salariés pour l’installation d’un CE. Ce dernier seuil bloque le développement de nombreuses entreprises et ne paraît plus raisonnable aujourd’hui. On observe que le seuil de 70 salariés est plus adapté. Il correspond au moment où le fondateur historique ne peut plus gérer seul son entreprise, qui doit passer par une phase de transformation organisationnelle et de changement de management. Le délégué du personnel, dans un cadre renforcé, suffirait à représenter les intérêts des salariés jusqu’au seuil de 150 ou 200 personnes. Une telle réforme permettrait de créer des centaines de milliers d’emplois et de réaliser une excellente opération pour les finances publiques. Le partage de la valeur devra naturellement s’effectuer de manière équitable afin de susciter l’adhésion de tous.
La médiation, une pratique en expansion
La médiation correspond à un mode de règlement alternatif des conflits. Il s’agit d’éviter de recourir à la justice pour régler les litiges en préservant les intérêts de chacune des parties afin de leur permettre de continuer à travailler ensemble. Cette solution doit faciliter le dialogue entre les acteurs tout en appelant le respect des textes. Une médiation peut être individuelle (entreprise) ou collective (groupement collectif). Les demandes se multiplient, et le taux de satisfaction s’élève à environ 85 %. Chaque région de France comprend 2 médiateurs régionaux. Une charte a été rédigée. La médiation vise à régler les litiges entre entités privées, mais aussi vis-à-vis des pouvoirs publics. La spécificité française des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants est marquée par un rapport de force très désavantageux pour ces derniers. La consolidation majeure de l’action de l’État dans la médiation est à souhaiter, car il me paraît le seul à pouvoir discuter avec les quelques grands leaders du secteur. L’urgence consiste à faire évoluer le système de production pour que les grands groupes apprennent à protéger leurs soustraitants.
Les PME doivent faire valoir leur poids économique
En clôture de ce colloque, Laurent Vronski a tenu un discours mobilisateur, rappelant que les recettes fiscales viennent du portefeuille des contribuables et de celui des PME, qui représentent 80 % des effectifs salariés en France, 57 % de la valeur ajoutée, 40 % des exportations et les deux tiers des investissements. Les entrepreneurs doivent jouer le rôle de force de proposition auprès des pouvoirs publics pour influencer les projets de loi, proposer des solutions concrètes et réformer le système. Il est beaucoup trop tôt pour jeter l’éponge et les entreprises doivent se mobiliser, notamment à travers leurs organisations. Au vu de la crise économique actuelle, les prochains décideurs politiques devront remettre l’accent sur la production, donc sur les PME. Même si la concentration au niveau mondial progresse, les marchés régionaux demeurent dynamiques. Les entreprises qui se développent souhaitent travailler avec des sous-traitants du même niveau de qualité qu’elles-mêmes, ce qui implique que l’ensemble de la filière doit progresser.
que faire ?
La situation est sérieuse puisque les banques font face elles aussi à une tension dans leur activité.
Le chef d’entreprise doit plutôt envisager d’emprunter à taux fixe et à long terme, quitte à réduire le chiffre d’affaires, et de renforcer ses fonds propres. Cette augmentation nécessite de dégager des résultats. Le suivi méthodique du niveau de trésorerie est indispensable. Cette gestion doit s’accompagner du choix des options stratégiques pour l’avenir de l’entreprise, son organisation, ses compétences et la réflexion sur son coeur de métier et ses diversifications envisageables.
La croissance est toujours possible. Simplement, il s’agit d’une autre croissance, d’une qualité écologique supérieure. Les économies d’énergie, l’isolation des bâtiments anciens devraient être intégrés dans la stratégie à adopter si la rupture vient.